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Le billet
La plateforme Web « Parlement & Citoyens » : un exemple de Webocratie 2.0
En démocratie, les termes du débat sont connus. La France fut, avec E. Siéyès, un État représentatif mais non une démocratie : « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique […] » (v. E. Siéyès). Elle devint une démocratie représentative lorsque le suffrage universel fut consacré. Avec les années, le système juridico-politique français a connu de multiples crises de confiance : crise de la Raison, crise de l’État, crise du droit, crise de la démocratie. Est ainsi apparue l’idée de superposer, sans substituer, à la démocratie représentative une démocratie participative, démocratie de proximité permettant de rapprocher les citoyens de leurs élus et de les faire participer à la construction de la Chose publique. C’est dans ce contexte, très (trop) brièvement exposé, que l’association SmartGov, créée par cinq jeunes militants, propose aujourd’hui d’enrichir le paysage de la démocratie participative d’un nouvel instrument, en mettant en place le 13 février 2013 un nouvel outil de dialogue, une sorte de webocratie 2.0 : la plateforme Web « Parlement & Citoyens ». Avant de savoir ce que l’on peut en penser, il est utile de rappeler brièvement les ambitions de cette démarche.
▪ L’ambition de cette plateforme est simple puisqu’elle entend, pour remédier à la défiance des citoyens à l’égard de leurs élus, permettre à des citoyens de participer, en amont, à la construction des propositions de loi et de faire valoir leur opinion, avis ou expertise. Le fondement de cette participation active des citoyens se situerait au sein même de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ». On compte aujourd’hui un peu plus de 1000 préinscriptions sur le site et l’engagement de 5 députés et 1 sénateur, élus qui ont déjà proposé des sujets à débattre. De cette manière, la démocratie participative et citoyenne devrait être revitalisée !
La démarche démocratique se fait en 7 étapes. Le parlementaire dépose son projet éventuellement sous forme de vidéo. Les participants proposent des sources d’information sur le thème. Ils émettent des avis et des expertises. Une synthèse est proposée. Le débat peut alors commencer et être « web-diffusé ». Arrive alors la proposition de loi et est organisé un suivi de cette proposition. On aurait ainsi une forme de punctation de la proposition de loi, proposition qui se forme par étapes successives.
▪ Que peut-on en penser ? Il est vrai qu’avec la crise de la représentativité, les citoyens revendiquent une participation plus active au débat public. Ce dialogue entre les gouvernants et les gouvernés n’est pas sans rappeler la fameuse démocratie dialogique et discursive de Jürgen Habermas. Cette démarche existe déjà, d’ailleurs, selon des modalités très précises et de manière sectorielle. Prenons le cas des questions environnementales, pour lesquelles l’article 7 de la Charte de l’environnement prévoit que « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » et le Conseil constitutionnel veille scrupuleusement à son respect (Cons. const. 13 juillet 2012). Mais entre la participation sectorisée et conditionnée du public, le plus souvent des représentants de la société civile expérimentés, et la participation en continue des citoyens à des débats de société, il y a un monde ! Quoi qu’il en soit, il est indéniable que cette initiative constitue une pierre supplémentaire à l’édifice de la cyberdémocratie (v. Pierre Lévy).
Reste, cependant, que les doutes sont encore nombreux et les questions multiples. Le propre d’une démocratie est-elle de faire participer l’ensemble des citoyens, quelle que soit leur compétence, à une proposition de loi ? La loi n’est-elle pas plus que la somme des intérêts particuliers qui se sont exprimés ? Le citoyen lambda est-il compétent pour mener un débat constructif sur des thèmes qui sont parfois, même pour nos élus, d’une grande complexité ? Est-il raisonnable, par exemple, d’ouvrir un débat citoyen sur les modalités de la révision de la Constitution, proposition faite par une élue du Front national ? Ne devrait-on pas, avant de pratiquer le débat politique, être formé à cette forme de débat ? En outre, l’expérience passée montre que les internautes utilisent plus Internet comme un défouloir que comme un lieu de débats, en se livrant à une flame war (guerre d’injure). Ce risque peut-il être évité sur la plateforme « Parlement & Citoyens » ? Malheureusement, la démocratie sur Internet ne se décrète pas (en ce sens, v. Dominique Cardon). Il faut avouer que, souvent, sur la toile, on est assez loin de l’être raisonnable qui argumente de manière loyale selon les principes de l’éthique de la discussion chers à Jürgen Habermas. En outre, quelle garantie a-t-on que cet instrument ne fera pas partie, à l’avenir, du répertoire d’action des lobbys, qui verraient dans cette plateforme une voie d’accès opaque et discrète pour influencer nos élus ?
▪ Certes, le symbole est fort mais le résultat risque d’être décevant. La démocratie n’est viable qu’à la condition de prendre conscience qu’elle ne peut être purement citoyenne et populaire. La participation active des citoyens à la construction de la Chose publique est aujourd’hui une nécessité. Cependant, il y a d’autres moyens que celui-là d’impliquer davantage les citoyens dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques. Internet doit être le lieu d’une autre démocratie, une démocratie hors les murs de l’Assemblée, en contrepoids de la démocratie représentative. Il n’est pas certain qu’il soit bon de mélanger les genres. La combinaison de la démocratie représentative et de la démocratie participative est une chose, la fusion, voire la confusion, des deux en est une autre. Méfiance alors à l’égard de cette nouvelle technologie mise au service de la démocratie et gageons qu’à l’avenir nous n’aurons pas besoin de reprendre la formule de notre collègue et ami Hervé Lécuyer à propos du divorce sur Internet selon laquelle « il y a parfois des clics qui se perdent » !
Références
■ E. Siéyès, « Sur l’organisation du pouvoir législatif et la sanction royale », in Les orateurs de la Révolution française, La Pléïade, 1989, p. 1026.
■ Cons. const. 13 juillet 2012, n° 2012-262, QPC.
■ Pierre Lévy, Cyberdémocratie, éditions O. Jacob, 2002.
■ Dominique Cardon, La démocratie Internet : Promesses et limites, éd. du Seuil, coll. "La république des idées", 2010.
■ Article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen
« La Loi est l'expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
■ Article 7 de la Charte de l’environnement
« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »
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