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Le billet
La précision des éthylomètres et l’unité de la jurisprudence
Dans un arrêt du 26 mars 2019 (n° 18-94.900), dont la motivation est augmentée, la chambre criminelle de la Cour de cassation a effectué un revirement de jurisprudence à propos de la prise en compte des marges d’erreur des éthylomètres lors de la constatation d’une infraction routière.
Pour vérifier le niveau d’imprégnation alcoolique des conducteurs dont l’éthylotest s’est révélé positif, et caractériser en conséquence une infraction, les forces de l’ordre peuvent recourir à des éthylomètres dont la fonction est de mesurer la concentration d’alcool dans l’air expiré.
Ces éthylomètres doivent respecter un certain nombre de normes et faire l’objet de vérifications périodiques destinées à contrôler leur bon fonctionnement.
Or, un arrêté du 8 juillet 2015 fixe la marge d’erreur maximale qui est tolérée pour ce type d’appareil à :
« - 0,032 mg/l pour les concentrations en alcool dans l'air inférieures à 0,400 mg/l ;
- 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l et inférieures ou égales à 2,000 mg/l ;
- 30 % de la valeur mesurée pour les concentrations supérieures à 2,000 mg/l ».
La question s’était alors posée de savoir s’il fallait prendre en compte cette marge d’erreur lors de la constatation des infractions.
Par exemple, si un automobiliste était contrôlé avec un taux de 0,27 mg/l, fallait-il interpréter strictement ce taux, et considérer que le seuil contraventionnel était atteint, ou lui retrancher la marge d’erreur maximale au bénéfice du doute, ce qui, en faisant chuter son taux à 0,238, devait entraîner l’absence de poursuite ou la relaxe.
À cette question, la Cour de cassation répondait traditionnellement, et de manière assez étonnante, que les juges du fond pouvaient prendre en compte la marge d’erreur, sans en avoir l’obligation.
À plusieurs reprises en effet, les hauts magistrats avaient reproché à des juges du fond d’avoir énoncé que les marges d’erreur visées par l’arrêté du 8 juillet 2005 n’avaient pas vocation à être appliquées lors des contrôles d’alcoolémie, tout en refusant de censurer les décisions déférées au motif que « l'interprétation des mesures du taux d'alcoolémie effectuées au moyen d'un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation » (Crim. 24 juin 2009, n° 09-81.119 ; Crim. 3 sept. 2014, n° 13-88.233 ; Crim. 16 sept. 2009, n° 09-81.120 ; Crim. 18 févr. 2015, n° 14-80.828).
D’une juridiction à une autre, le risque était donc grand que les justiciables ne soient pas traités de la même manière. Comme le reconnaissent les hauts magistrats dans l’arrêt du 26 mars 2019, cette situation aboutissait à une violation potentielle de la règle en vertu de laquelle « les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles » (C. pr. pén., art. prélim., I).
Toutefois, l’unité de la jurisprudence des juges du fond n’est peut-être pas l’argument qui a décidé la Cour de cassation à revenir sur sa position. Après tout, en dix ans, la question lui avait été posée à plusieurs reprises, sans que l’argument tiré de la rupture d’égalité des citoyens devant l’application de la loi pénale ne l’ait émue.
Sans exclure que le revirement de jurisprudence soit essentiellement dû au renouvellement des membres de la Cour de cassation, la justice étant rendue par des Hommes, l’élément déclencheur est sans doute constitué par un arrêt du Conseil d’État rendu le 14 février 2018 (n° 407914), expressément mentionné dans l’arrêt du 26 mars 2019.
Dans celui-ci, la Haute juridiction administrative a imposé au préfet, avant de prononcer une mesure de suspension de permis en raison du dépassement du taux légal d’alcool autorisé, de vérifier qu’il avait été fait application de la marge d’erreur et, à défaut, de l’appliquer.
Dans ces conditions, comment aurait-on pu expliquer que la marge d’erreur soit prise en compte pour l’application des sanctions administratives, mais non pour les sanctions pénales ? Un même fait aurait pu être considéré comme constitutif d’une infraction par la juridiction judiciaire, mais non par la juridiction administrative.
À la nécessité d’assurer l’unité de la jurisprudence des juridictions judiciaires du fond s’ajoutait donc celle de mettre en concordance les doctrines des juridictions judiciaires et administratives.
Sans doute pourrait-on dire que le signal envoyé par les Hautes juridictions, rapporté à la lutte contre les accidents de la route, n’est pas bon. Reste que la prise en compte automatique des marges d’erreur des appareils de contrôle n’est pas, en soi, une nouveauté puisqu’elle était déjà appliquée à propos de la vitesse…
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