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[ 12 novembre 2014 ] Imprimer

La prescription en droit pénal

La prescription extinctive est un concept que le juriste a parfois du mal à expliquer au profane, notamment lorsqu’elle est appliquée en matière pénale. En effet, que l’action publique puisse disparaître avec l’écoulement du temps ne tombe pas nécessairement sous le coup de l’évidence.

Les justifications que l’on avance pour soutenir la prescription de l’action publique, même non dénuées de toute pertinence, peinent souvent à convaincre l’opinion. Ces justifications sont généralement au nombre de trois :

– avec l’écoulement du temps, le trouble à l’ordre public s’apaise, les esprits se calment et les plaies se pansent. Lancer des poursuites « tardives » aurait ainsi le tort de raviver un trouble à l’ordre public qui s’était éteint, et ce d’autant que l’inertie de ceux qui auraient pu agir démontre leur désintérêt pour les poursuites ;

– le temps passant, la mémoire des témoins s’altère, et les preuves matérielles s’effacent : les poursuites deviendraient donc illusoires, et le risque « d’erreur judiciaire » augmenterait ;

– enfin, il est parfois affirmé que la culpabilité que peut ressentir l’auteur est en elle-même une peine, peine qui rendrait inutile les poursuites tardives…

Plus l’infraction est grave et moins ces justifications peuvent paraître adéquates. Quant au dépérissement des preuves matérielles, il est aujourd’hui retardé par les progrès de la science, qui ont récemment permis de confondre des auteurs d’infractions anciennes.

D’ailleurs, la prescription de l’action publique n’est pas universellement reconnue. Les pays de Common Law l’écartent en principe.

Reste que, comme souvent, les systèmes de Common Law et de tradition romano-germanique ne sont pas foncièrement différents en pratique. Par le jeu des exceptions, à l’absence de prescription pour les pays de Common Law, et à la prescription pour les pays de droit civil, les systèmes se rapprochent.

Nul n’ignore ainsi, qu’en France, la durée de la prescription varie en fonction de la gravité de l’infraction. Elle est, en principe, de 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits, et 1 an pour les contraventions (C. pr. pén., art. 7 à 9). Il existe toutefois pléthore d’exceptions, de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité (C. pén., art. 213-5), summum de la barbarie, au rallongement des délais de prescription des infractions considérées comme particulièrement odieuses, notamment lorsqu’elles concernent des mineurs victimes (C. pr. pén., art. 706-47 : 20 ans ; le point de départ de la prescription est également repoussé au jour de la majorité de la victime), ou sont commises à des fins terroristes (C. pr. pén., art. 706-25-1 : 30 ans pour les crimes ; 20 ans pour les délits).

Si le délai de la prescription varie, son cours peut également être perturbé. La prescription est notamment interrompue par tout acte d’instruction ou de poursuite (C. pr. pén., art. 7, al. 1er). Ces actes étant entendus très largement par la jurisprudence, il n’est pas rare d’arriver à des imprescriptibilités de fait.

Il existe ainsi une certaine réticence jurisprudentielle à l’endroit de la prescription de l’action publique, réticence que vient confirmer un arrêt du 7 novembre 2014, rendu en assemblée plénière (Ass. plén. 7 nov. 2014). Dans cette décision, la Cour de cassation est venue affirmer « que si, selon l’article 7, alinéa 1er, du code de procédure pénale, l’action publique se prescrit à compter du jour où le crime a été commis, la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites ».

Il n’est pas question de commenter ici cet arrêt fondamental. On se contentera de trois brèves remarques.

D’abord, cet arrêt est venu généraliser une exception qui, jusque-là, était essentiellement réservée aux infractions économiques, comme l’abus de confiance (Crim. 18 juill. 1974). Le point de départ de ces infractions est, en effet, fixé au jour où elles peuvent être constatées, et donner lieu à des poursuites. L’idée sous-jacente est que l’on ne peut reprocher au ministère public de ne pas avoir poursuivi des infractions dont il ne pouvait avoir connaissance. Pourtant, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de l’Assemblée plénière, qui était relative à de nombreux infanticides dissimulés, la Cour de cassation avait refusé, dans un premier temps, l’application de cette exception (Crim. 16 oct. 2013).

Ensuite, le principe posé, en vertu duquel la prescription est suspendue en cas d’obstacle insurmontable à l’exercice des poursuites, semble valoir pour toutes les infractions. L’arrêt vise certes les crimes, mais la formulation du principe, et sa justification, à savoir que la prescription ne saurait courir à l’encontre de celui qui ne peut agir, plaident pour une application généralisée à l’ensemble des infractions.

Enfin, la Cour de cassation fait de l’« obstacle insurmontable », une cause de « suspension de la prescription ». Pourtant, il n’y a suspension d’une prescription que si celle-ci a déjà commencé à courir. Techniquement, la Cour de cassation semble donc plutôt consacrer un report du point de départ de la prescription au jour où elle a pu être découverte. Le communiqué de la Cour de cassation laisse toutefois entendre, en faisant le parallèle avec la qualité de chef de l’État, qui fait obstacle aux poursuites, que « l’obstacle insurmontable » est, à la fois, une cause du report du point de départ de la prescription, et une cause de suspension de la prescription qui a déjà commencé à courir.

L’affaire ayant donné lieu à cet arrêt d’Assemblée plénière est particulièrement sordide. Une femme aurait donné la mort à huit de ses nouveaux nés. Invoquant la prescription, les infanticides ayant été commis plus de 10 ans avant les poursuites, l’auteur a été débouté par les juridictions du fond, qui ont notamment résisté à un arrêt de cassation ayant fait droit à son argumentation (Crim. 16 oct. 2013, préc.).

Chacun se fera sa propre opinion, « en pensant par soi-même ». Mais quid des justifications traditionnelles de la prescription ?

La justification de la disparition du trouble à l’ordre public est sans objet, le trouble étant né de la découverte des cadavres. Le dépérissement des preuves, lié à l’écoulement du temps, est également peu pertinent en l’espèce, la découverte des cadavres ayant donné lieu aux aveux de l’auteur des faits. Quant à la culpabilité qu’a pu ressentir l’auteur pendant toutes ces années, n’est-ce pas aux juges d’en tenir compte, avec l’ensemble des autres éléments de la personnalité de l’auteur, au moment de fixer la peine éventuelle ?

Toujours est-il que cet arrêt fera couler beaucoup d’encre, notamment parce que la notion « d’obstacle insurmontable » est entourée d’un halo d’incertitude, et qu’elle vient sérieusement entailler le principe de la prescription de l’action publique.

Références

Ass. plén. 7 nov. 2014, n° 14-83.739.

Communiqué de la Cour de cassation : http ://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/assemblee_pleniere_22/arret_n_30460.html

Crim. 18 juill. 1974, n° 258.

Crim. 16 oct. 2013, n° 11-89.002 et 13-85.232, RSC 2013. 803, note Mayaud ; AJ pénal 2014. 30, note Pradel.

■ Code de procédure pénale

Article 7

« En matière de crime et sous réserve des dispositions de l’article 213-5 du code pénal, l’action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n’a été fait aucun acte d’instruction ou de poursuite.

S’il en a été effectué dans cet intervalle, elle ne se prescrit qu’après dix années révolues à compter du dernier acte. Il en est ainsi même à l’égard des personnes qui ne seraient pas impliquées dans cet acte d’instruction ou de poursuite.

Le délai de prescription de l’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-47 du présent code et le crime prévu par l’article 222-10 du code pénal, lorsqu’ils sont commis sur des mineurs, est de vingt ans et ne commence à courir qu’à partir de la majorité de ces derniers. »

Article 8

« En matière de délit, la prescription de l’action publique est de trois années révolues ; elle s’accomplit selon les distinctions spécifiées à l’article précédent.

Le délai de prescription de l’action publique des délits mentionnés à l’article 706-47 et commis contre des mineurs est de dix ans ; celui des délits prévus par les articles 222-12, 222-29-1 et 227-26 du code pénal est de vingt ans ; ces délais ne commencent à courir qu’à partir de la majorité de la victime.

Le délai de prescription de l’action publique des délits mentionnés aux articles 223-15-2, 311-3, 311-4, 313-1, 313-2, 314-1, 314-2, 314-3, 314-6 et 321-1 du code pénal, commis à l’encontre d’une personne vulnérable du fait de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse, court à compter du jour où l’infraction apparaît à la victime dans des conditions permettant l’exercice de l’action publique. »

Article 9

« En matière de contravention, la prescription de l’action publique est d’une année révolue ; elle s’accomplit selon les distinctions spécifiées à l’article 7. »

Article 706-25-1

« L’action publique des crimes mentionnés à l’article 706-16 se prescrit par trente ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour l’un de ces crimes se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive.

L’action publique relative aux délits mentionnés à l’article 706-16 se prescrit par vingt ans. La peine prononcée en cas de condamnation pour ces délits se prescrit par vingt ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive. »

Article 706-47

« Les dispositions du présent titre sont applicables aux procédures concernant les infractions de meurtre ou d'assassinat d'un mineur précédé ou accompagné d'un viol, de tortures ou d'actes de barbarie ou pour les infractions d'agression ou d'atteintes sexuelles, de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur ou de proxénétisme à l'égard d'un mineur, ou de recours à la prostitution d'un mineur prévues par les articles 222-23 à 222-31,225-4-1 à 225-4-4, 225-7 (1°), 225-7-1225-12-1, 225-12-2 et 227-22 à 227-27 du code pénal.

Ces dispositions sont également applicables aux procédures concernant les crimes de meurtre ou assassinat commis avec tortures ou actes de barbarie, les crimes de tortures ou d'actes de barbarie et les meurtres ou assassinats commis en état de récidive légale. »

■ Code pénal

Article 213-5

« L'action publique relative aux crimes prévus par le présent sous-titre, ainsi que les peines prononcées, sont imprescriptibles. »

 

Auteur :Mathias Latina


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