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La présomption de légitime défense (Billet dans lequel on parle un peu de la campagne présidentielle)
L’actuel président de la République vient d’ajouter une nouvelle promesse à son projet présidentiel, à savoir la mise en place d’une présomption de légitime défense au profit des forces de police.
Comme souvent, cette proposition de modification de la loi pénale a été faite à la va-vite, sous le coup de l’émotion suscitée par un fait divers. En l’espèce, un policier qui recherchait activement un délinquant a ouvert le feu sur celui-ci dans des circonstances aujourd’hui incertaines. Le policier affirme avoir agi en légitime défense, le délinquant ayant jeté vers lui une grenade qui s’est révélée inoffensive (ce qu’il ne pouvait pas savoir au moment des faits) et ayant pointé son arme vers lui. D’abord ouverte pour « coup mortel », l’information judiciaire a été requalifiée et le policier mis en examen pour « homicide volontaire ». L’autopsie aurait en effet révélé que le coup de feu mortel était entré dans le dos de la victime. En outre, un témoin rapporterait un déroulement des faits sensiblement différent.
La mise en examen du policier pour « homicide volontaire » a suscité une vive émotion chez certains fonctionnaires de police qui se sont réunis « spontanément » sur les Champs-Élysées, d’où la réaction immédiate de l’actuel locataire du Palais de l’Élysée... Passe encore que la loi pénale soit soumise aux aléas des faits divers (en vérité cela ne passe guère…), mais un comble est atteint lorsque la proposition de modification se révèle inapte à modifier un temps soit peu la situation, ce que l’on va tenter de démontrer.
D’abord, il est évident que la présomption que le président de la République souhaite voir mise en place ne peut être que simple, et non irréfragable. On n’imagine pas, sauf dans la pire des dictatures, que la police puisse ouvrir le feu sans que le parquet soit en droit de rapporter la preuve de la culpabilité de l’auteur. La présomption ne peut donc être que simple. Or, une présomption simple a pour effet de provoquer un renversement de la charge de la preuve. On lit ainsi, ça et là, que les policiers n’auraient donc plus à rapporter la preuve de la légitime défense de l’article 122-5 du Code pénal. Mais, est-on certain que c’est actuellement le cas ? Rien n’est moins sûr ! Certes, l’article 122-6 du Code pénal, qui pose des présomptions de légitime défense, jette un trouble sur la question. Toutefois, puisqu’il appartient à l’autorité de poursuite de prouver la culpabilité de la personne mise en examen, un certain nombre d’auteurs affirment, à juste titre à notre humble avis, que, dès lors que la personne mise en examen allègue l’état de légitime défense, il appartient au parquet de démontrer que la légitime défense n’est pas caractérisée. Quid alors du risque de la preuve ? Que se passe-t-il en effet si un doute existe sur la caractérisation de ce fait justificatif ? Dans cette situation, le doute doit bien évidemment profiter au mis en examen puisqu’il existe une incertitude sur la commission de l’infraction. La présomption de légitime de défense ne changerait donc rien au droit positif !
En vérité, notre personnel politique semble avoir bien du mal à comprendre le concept de présomption d’innocence. Le policier mis en examen, et non plus comme jadis « inculpé », n’est coupable de rien, tant que la juridiction de jugement ne s’est pas prononcée. Rien ne dit d’ailleurs que l’instruction ne permettra pas d’établir la légitime défense. Reste qu’un homme est mort. Même si c’était un délinquant multirécidiviste, cela mérite une instruction. Au juge d’instruction après investigation, de dire s’il y a lieu à un procès.
Pour terminer, on rappellera que les gendarmes ne bénéficient pas, comme on peut le lire, de la présomption de légitime défense. En revanche, l’article L. 2338-3 du Code de la défense leur donne le droit de faire usage de leurs armes dans certaines circonstances, et notamment après avoir fait les sommations d’usage pour arrêter un fugitif. Encore faut-il, d’après la Cour de cassation, que l’usage des armes « soit absolument nécessaire » (Crim. 16 juin 2009). Quitte à passer pour un gauchiste/laxiste/ami de la délinquance/pourfendeur de la veuve, de l’orphelin, et des bébés phoques, le signataire de ces lignes se demande si l’alignement des régimes ne devrait pas se faire sur celui de la police. Il se dit en effet que ce celui-ci incite les policiers à hésiter avant de faire usage de leurs armes.
Et c’est cette situation qui serait si choquante ?
Références
[Procédure pénale]
« Principe selon lequel, en matière pénale, toute personne poursuivie est considérée comme innocente des faits qui lui sont reprochés, tant qu’elle n’a pas été déclarée coupable par la juridiction compétente. Inscrite dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen et ayant à ce titre valeur constitutionnelle, cette présomption a notamment pour effet de faire bénéficier du doute la personne concernée. Ce principe jusqu’alors affirmé dans le Code civil qui en organisait la protection judiciaire est aujourd’hui solennellement exprimé dans un article placé en exergue du Code de procédure pénale. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ Code pénal
« N'est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d'elle-même ou d'autrui, sauf s'il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l'atteinte.
N'est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l'exécution d'un crime ou d'un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu'un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l'infraction. »
« Est présumé avoir agi en état de légitime défense celui qui accomplit l'acte :
1° Pour repousser, de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ;
2° Pour se défendre contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence. »
■ Article L. 2338-3 du Code de la défense
Les officiers et sous-officiers de gendarmerie ne peuvent, en l'absence de l'autorité judiciaire ou administrative, déployer la force armée que dans les cas suivants :
1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu'ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu'elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s'arrêter par des appels répétés de " Halte gendarmerie " faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s'arrêter que par l'usage des armes ;
4° Lorsqu'ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n'obtempèrent pas à l'ordre d'arrêt.
Ils sont également autorisés à faire usage de tous engins ou moyens appropriés tels que herses, hérissons, câbles, pour immobiliser les moyens de transport quand les conducteurs ne s'arrêtent pas à leurs sommations.
■ Crim. 16 juin 2009, Bull. crim. n°124.
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