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Le billet
La proposition de loi Lefrand ou les vicissitudes d’une réforme visant à améliorer la situation des victimes de dommages corporels
À l’origine un constat et un objectif l’un et l’autre peu contestables : l’insuffisance de la législation actuelle pour assurer dans les meilleures conditions la réparation du dommage corporel, et la nécessité de mettre en place un dispositif plus protecteur du pot de terre (la victime) contre le pot de fer (l’assureur de responsabilité, les médecins-conseils), en particulier pour ce qui concerne le processus dit « d’indemnisation amiable » tel que l’organise la loi Badinter du 5 juillet 1985, processus dont on s’accorde à considérer qu’il a certes fait progresser la situation des victimes, mais qu’il fait encore la part trop belle à l’unalitéralisme au détriment du contradictoire.
Parmi les évolutions proposées, un renforcement de l’obligation d’information due par l’assureur à l’égard de la victime sur l’étendue de ses droits dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985, l’obligation pour un médecin-conseil de déclarer auprès des conseils de l’ordre départementaux les noms des compagnies d’assurance pour lesquelles il intervient habituellement et l’interdiction d’être le conseil de la victime s’il est par ailleurs médecin de la compagnie, l’établissement par décret d’une nomenclature unique des chefs de préjudices indemnisables (probablement la consécration de la fameuse nomenclature « Dinthilhac », du nom du haut magistrat qui présida la commission chargée il y a quelques années de plancher sur le sujet, et dont les propositions ont d’ores et déjà été adoptées par les tribunaux et les acteurs de l’indemnisation), l’établissement par décret d’un barème médical unique d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique, et la création, également par décret, d’une base de données accessible au public sur Internet, recensant les transactions et les décisions judiciaires et administratives en matière de réparation du dommage corporel de personnes victimes d’un accident de la circulation.
Toutes mesures, pouvait-on penser, qui ne pouvaient que faire l’unanimité chez tous les acteurs de l’indemnisation. Voire…
Force est en tout cas de constater que, par la grâce — si l’on ose dire — d’amendements adoptés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, de notables « coupes sombres » ont d’ores et déjà été adoptées, coupes sombres dont on peine à percevoir la justification. Ainsi de la suppression de l’incompatibilité évoquée plus haut du rôle de double conseil pour un médecin auprès des victimes d’une part et de l’assureur d’autre part (à défaut d’en comprendre la justification, on en saisira assez aisément l’explication…).
Ainsi aussi et surtout, de la suppression du référentiel indicatif également évoquée ci-dessus. Il paraît que ce genre d’instrument d’information indispose certains praticiens qui y voient le cheval de Troie d’une forfaitisation de la réparation du dommage corporel. Voilà bien un curieux procès d’intention. L’idée d’instaurer un tel référentiel statistique (permettant à la victime de se faire une idée des sommes allouées au titre d’une transaction ou d’un jugement pour des dommages comparables à ceux qu’elle a subis) avait pourtant été suggérée en son temps par la fameuse commission Lambert-Faivre, bien peu suspecte de travailler en sous-main à la mise en place, contre l’intérêt des victimes, d’une barémisation du dommage corporel… Quel est donc cet épouvantail de la barémisation que l’on agite à tout propos ? On va finir par croire que ce sont des intérêts catégoriels que l’on cherche à défendre avec ce genre d’argumentation, plutôt que celui des victimes…
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