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La protection constitutionnelle de la liberté contractuelle
La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 13 juin 2013 relative à la loi de sécurisation de l’emploi semble mettre le point final à l’évolution de la protection constitutionnelle de la liberté contractuelle.
Longtemps, le Conseil constitutionnel s’est refusé à protéger la liberté contractuelle. Dans une décision du 3 août 1994, les Sages avaient, en effet, affirmé qu’aucune norme à valeur constitutionnelle ne garantit le principe de la liberté contractuelle. Cette décision pouvait sembler curieuse. Après tout, la liberté contractuelle est une liberté, comme la liberté d’entreprendre. Or, la seconde avait reçu, dès 1982, une protection par l’entremise de la liberté de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Cons. const. 16 janv. 1982).
On a ainsi pu avancer, pour expliquer ce refus de protection, que la liberté contractuelle n’avait plus rang de principe, tant les exceptions s’étaient développées. C’est le fameux thème de la « crise du contrat ». On a également pu se féliciter de l’absence de consécration constitutionnelle de la liberté contractuelle, au motif que la marge de manœuvre du législateur en serait d’autant moins bridée. Or, lorsque le législateur intervient pour réglementer le libre choix du contractant ou du contenu du contrat, c’est, le plus souvent, pour restituer à la partie faible la liberté que le déséquilibre initial des forces rendait illusoire.
Reste que ces deux explications n’étaient pas satisfaisantes. D’une part, parce que l’on peut ne pas être convaincu par l’antienne qui veut que la multiplication des exceptions aboutit nécessairement à un renversement du principe. Au contraire, il peut sembler nécessaire, lorsque les exceptions se multiplient, que le principe soit protégé afin que seules les exceptions légitimes puissent se maintenir. D’autre part, parce que la protection constitutionnelle d’une liberté n’a jamais empêché le législateur de l’encadrer, pourvu qu’il poursuive un but d’intérêt général, et qu’il ne résulte pas de son action une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. C’est la solution à laquelle le Conseil constitutionnel est parvenu au sujet de la liberté d’entreprendre (Cons. const. 16 janv. 2001).
Les Sages ont donc fait évoluer leur position. La liberté contractuelle, dans son aspect protection des contrats légalement formés, a d’abord été protégée par l’entremise de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Cons. const. 10 juin 1998), ultérieurement complété par l’article 16 du même texte (Cons. const. 13 janv. 2003).
Puis, c’est le libre choix du contractant qui a fait l’objet d’une protection. Dans une décision du 19 décembre 2000, le Conseil constitutionnel a, en effet, estimé qu’une loi, qui incitait les entreprises pharmaceutiques à conclure des accords avec le comité économique des produits de santé, ne portait pas, à la liberté contractuelle « qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen », une atteinte contraire à la Constitution (v. aussi Cons. const. 17 janv. 2013).
La décision du 13 juin 2013 est donc particulièrement intéressante. D’abord, parce qu’elle retient une violation de la liberté contractuelle, dans son aspect de libre choix du cocontractant et du contenu du contrat, ce qui est particulièrement rare. Ensuite, parce qu’elle met sur un même plan la liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle. Que l’on en juge :
« Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle qui découlent de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi ».
La formule utilisée par le Conseil constitutionnel à propos de la liberté d’entreprendre (Cons. const. 16 janv. 2001 ; Cons. const. 24 mai 2013) est donc purement et simplement étendue à la liberté contractuelle (v. déjà Cons. const. 14 mai 2012).
On ne saurait donc mieux dire qu’il en va aujourd’hui de la protection constitutionnelle de la liberté contractuelle, comme de celle de la liberté d’entreprendre.
Références
■ Cons. const. 13 juin 2013, n°2013-672 DC.
■ Cons. const. 3 août 1994, n° 94-348 DC.
■ Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132 DC.
■ Cons. const. 16 janv. 2001, n° 2000-439 DC.
■ Cons. const. 10 juin 1998, n° 98-401 DC.
■ Cons. const. 13 janv. 2003, n° 2002-465 DC.
■ Cons. const. 19 déc. 2000, n° 2000-437 DC.
■ Cons. const. 17 janv. 2013, n° 2012-660 DC.
■ Cons. const. 16 janv. 2001, n° 2000-439 DC.
■ Cons. const. 24 mai 2013, n° 2013-317 QPC.
■ Cons. const. 14 mai 2012, n° 2012-242 QPC.
■ Déclaration des droits de l’homme de 1789
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi. »
« Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. »
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