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[ 24 février 2010 ] Imprimer

La question prioritaire de constitutionnalité ou meurtre dans un jardin à la française

 

La question prioritaire de constitutionnalité ou meurtre dans un jardin à la française

En adoptant le principe d'un contrôle de constitutionnalité par voie d'exception, le constituant a sans doute voulu renforcé la garantie des droits. L'avenir dira s'il y est parvenu.

Mais il a également créé une situation de conflit latent entre les trois juridictions françaises auxquelles on associe parfois le terme de cour suprême : la Cour de cassation, le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel.

Jusqu'à présent le partage des compétences était simple : Conseil d'État et Cour de cassation étaient compétents pour trancher toutes les questions de constitutionnalité qui leur étaient soumises, et si elles concernaient la loi ces questions de constitutionnalité étaient écartées irrecevables, et voilà tout. De son côté, le Conseil constitutionnel ne s'occupait que de contrôle préventif.

Voila donc une perspective qui aurait pu être dessinée par Le Nôtre.

Aujourd'hui, la mise en œuvre de l'exception d'inconstitutionnalité, pour appeler cette question prioritaire de constitutionnalité par son vrai nom, va conduire Cour de cassation et Conseil d'État a « filtrer » les moyens soulevés à cette fin, et à les transmettre, s'ils sont sérieux, au Conseil constitutionnel.

Dans ces conditions, il existe plusieurs scénarios envisageables :

Il est d'abord possible que ces deux juridictions aient une conception souple du caractère « sérieux » des questions de constitutionnalité, et en ce cas, le Conseil constitutionnel sera abondamment saisi et deviendra en quelque sorte le tuteur constitutionnel de ces deux juridictions. Notre ordre juridictionnel sera alors en voie d’unification sous la coupe d'une seule cour suprême : ce Conseil constitutionnel nouveau.

Ou bien au contraire, Cour de cassation et Conseil d'État, soucieux de ne pas se placer sous cette tutelle, vont restreindre l'accès au prétoire constitutionnel, et en ce cas, elles vont capter, dans le cadre du contrôle du caractère sérieux des questions, l'essentiel du contrôle de constitutionnalité, un peu comme le juge du référé, juge de l'évidence, permet d'éviter le recours au juge du fond, ou un peu comme le Conseil d'État a déjà procédé pour le contrôle de l'interprétation du droit communautaire en considérant qu'il y avait rarement des questions préjudicielles à poser à la Cour de justice.

À la vérité, il existe même une troisième possibilité : celle d'une asymétrie dans l'intensité du contrôle. On pourrait parfaitement concevoir un schéma qui ressemble à celui des arrêts Jacques Vabre/Fabricants de semoule, dans lequel la Cour de cassation, sans doute moins préoccupée par ces questions de positionnement stratégique, joue le jeu, tandis que le Conseil d'État entrerait en résistance contre une extension des pouvoirs du Conseil constitutionnel.

Il y aurait alors un risque qu'il se crée un axe Cour de cassation/Conseil constitutionnel, pour dériver en quelque sorte les questions qui pourraient être bloquées par le Conseil d'État.

Et l'on pourrait encore concevoir que Cour de cassation et/ou Conseil d'État usent du droit européen pour neutraliser la question de constitutionnalité. Sans doute, au terme de la Constitution celle-ci est-elle prioritaire. Mais l'on pourrait parfaitement concevoir une jurisprudence conçue de la manière suivante : dès lors qu'une norme internationale permet de constater que la loi n'est pas applicable, est invalidée, alors la question de la constitutionnalité de cette loi n'est pas sérieuse puisque cette loi ne produit aucun effet. Ainsi, en jouant les conventions internationales contre la Constitution, ces deux cours pourraient éviter l'apparition d'un concurrent dangereux au titre de cour suprême.

Ces scénarios ne sont pas écrits, mais ils montrent bien que l'émergence de cette exception d'inconstitutionnalité va sans doute conduire à rebattre les cartes de l'organisation des juridictions suprêmes françaises, et nul doute que cela ne se fera ni sans heurts ni sans bouleversements importants.

 

Auteur :F. R.


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