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La réforme des institutions selon le Président : modernité et « en même temps » retour aux sources de la Ve République
La présentation du projet de réforme constitutionnelle par le Premier ministre le 4 avril a permis de se faire une idée plus précise de l’étendue des révisions annoncées et de comprendre que le pouvoir exécutif devra batailler au cours des débats parlementaires pour garder l’essence du texte proposé sauf, peut-être à recourir à l’article 11 de la Constitution et ainsi rappeler les premières heures de la Ve République.
Édouard Philippe a présenté le 4 avril, dans une brève allocution (L’ensemble des citations du texte sont issues de l’allocution du Premier ministre du 4 avr. 2018, consultable ici), les principales mesures que devraient contenir trois projets de loi (constitutionnelle, organique et ordinaire) qui seront présentés en Conseil des ministres le 9 mai, en vue de réformer les institutions. La plupart d’entre elles avaient déjà été annoncées par le Président de la République lors de son discours devant le Congrès, le 3 juillet 2017 afin de « les moderniser, les rendre plus efficaces et permettre une meilleure représentation de nos concitoyens ». L’objectif annoncé est pourtant de ne pas « revenir à la IVe République ni de passer à la VIe. Il s’agit au contraire de revenir aux sources de notre Ve République, une République dans laquelle le Gouvernement gouverne et dans laquelle le Parlement légifère et vote. »
Pour ce faire, les mesures sont diverses. Du côté du Parlement, le projet de loi constitutionnelle ne prévoit plus de limiter le droit d’amendement de manière aussi importante que cela avait pu être annoncé, il favorise l’accélération de la procédure législative (après la réunion de la commission mixte paritaire, discussion en séance revue) et du vote du budget. L’évaluation des politiques publiques est également visée pour devenir plus systématique. Du côté des juridictions, il propose de mettre fin à la présence de droit des anciens Présidents de la République au Conseil constitutionnel, le renforcement des pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, la disparition de la Cour de Justice de la République et la réduction de moitié des membres du Conseil économique social et environnemental. Du côté de l’organisation territoriale, il sera proposé aux collectivités territoriales d’adapter elles-mêmes les règles dans leur domaine de compétence à leur territoire, il sera fait mention de la Corse dans la Constitution. Enfin, il est prévu d’inscrire la lutte contre le changement climatique à l’article 34 de la Constitution. C’est en revanche sur le fondement d’une loi organique que sont prévues la réduction des parlementaires de 30 % (pour parvenir à 244 sénateurs et 404 députés), l’introduction d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives (15 % des sièges soit 60 députés), la limitation des cumuls des mandats dans le temps (pas plus de trois mandats identiques, les élus des communes de moins de 900 habitants ne sont pas concernés).
Dans l’attente de la version officielle du texte de loi constitutionnelle, on peut d’ores et déjà noter que les annonces soulignent effectivement un retour aux sources de la Ve République en ce qui concerne le Parlement. On comprend mieux alors les oppositions qui s’élèvent du côté des deux chambres et notamment du Sénat. En effet, est-il encore utile de rappeler l’esprit du texte de 1958, à savoir une rénovation du parlementarisme rationalisé visant à restaurer le pouvoir exécutif et une limitation affichée du pouvoir législatif ? Plusieurs instruments avaient été prévus à cet effet et, soit ils n’ont pas eu à jouer un rôle en raison de l’apparition du fait majoritaire (on pense notamment à l’art. 34 Const. 58 et donc aux 37, al. 2 et 41) ; soit ils ont contribué à asseoir la domination du pouvoir exécutif sur le Parlement en raison justement de l’apparition du fait majoritaire (et on pense alors aux 44, 48 dans son ancienne et 48 nouvelle version après la révision constitutionnelle de 2008, art. 45, al. 4 ; 49, al. 3). La pratique de la Ve République et les germes d’un « hyperprésidentialisme » à compter de 2002 (dû à la réduction de la durée du mandat présidentiel couplée à l’inversion des élections législatives et présidentielle) avaient donc fini par asphyxier le Parlement. La révision du 23 juillet 2008 – dernière en date – s’était en conséquence attelée à le redynamiser en tentant de rééquilibrer les rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. Les effets de cette révision sont tout de même modestes. Il est donc peu surprenant que les parlementaires aient le sentiment d’un retour en arrière mais dans le mauvais sens du terme en ce qui les concerne.
Il faut espérer que les débats parlementaires permettront de mieux mesurer l’opportunité de cette réforme des institutions qui donne déjà lieu à des prises de position opposées (V. Le Monde du 3 avr. 2018 avec les tribunes de Thomas Clay, « Il faut “surmonter les obstacles des gardiens du statu quo qui tentent d’enrayer le processus de modernisation” » et de Bonis Vallaud, « Il faut “plus de moyens pour le Parlement et plus de prérogatives pour les oppositions” »). Ce sera également l’occasion d’observer si le Président arrive à lever les réticences parlementaires pour ne pas se heurter au bicaméralisme égalitaire de l’article 89 de la Constitution. Si tel n’est pas le cas, il pourrait alors envisager le recours à l’article 11 de la Constitution comme l’avait fait avant lui le premier Chef de l’État de la Ve République en 1962. Dans une telle hypothèse, il est indéniable que le retour aux sources serait réalisé (Sur le sujet, M. Carpentier, « Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à (presque) aimer le recours à l’article 11 pour réviser la Constitution », 21 févr. 2018, JusPoliticum).
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