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La réforme du droit des contrats : épisode III
Le 28 janvier 2015, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. La réforme du droit des contrats devrait donc se faire par ordonnance, l’Assemblée nationale ayant, à nouveau, réintroduit l’habilitation du gouvernement que le Sénat avait retirée du projet !
Notre série préférée touche ainsi à sa fin… Le signataire de ces lignes ne retire rien à ses doutes quant à la pertinence du recours à l’ordonnance (V. Billet 17 janv. 2014, « La réforme du droit des contrats : épisode II »). C’est en effet à un obscur « bureau du droit des obligations » qu’il reviendra de rédiger le contenu du futur titre III du livre III, en consultant, ou non d’ailleurs, qui bon lui semble, et en puisant, ou non d’ailleurs, dans les projets doctrinaux, à savoir l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription (Avant-projet Catala), et l’Avant-projet mené sous l’égide de l’Académie des sciences morales et politiques (Avant-projet Terré). On a déjà vu des procédés plus transparents.
Les sénateurs UMP, dans un dernier baroud d’honneur, ont d’ailleurs saisi le Conseil constitutionnel en reprochant à l’habilitation du gouvernement en matière de droit des contrats d’être contraire aux articles 34 et 38 de la Constitution. L’argument semble toutefois de faible portée. L’on voit en effet mal le Conseil constitutionnel substituer, comme le lui demande les sénateurs UMP, sa propre appréciation de l’opportunité de l’habilitation à celle du Parlement, et ce d’autant que le texte de l’habilitation circonscrit le périmètre de la réforme de manière détaillée, ainsi que le délai dans lequel l’ordonnance doit être publiée.
Le conditionnel reste cependant de rigueur tant que le Conseil constitutionnel n’aura pas rendu sa décision.
Sauf retournement de dernière minute, le titre III du livre III du Code civil devrait toutefois être réformé par ordonnance. Il est en effet temps pour lui de tirer sa révérence. Non pas que notre droit des contrats soit totalement inadapté aux réalités contemporaines. C’est une antienne que de dire que la jurisprudence a su faire évoluer les textes afin de résoudre une grande partie des difficultés actuelles. Il n’en reste pas moins, d’une part, que les textes du Code ne reflètent plus que très imparfaitement le contenu du droit des contrats et, d’autre part, que la jurisprudence n’a pas pu ou su donner toutes les réponses aux questions posées. En effet, le droit jurisprudentiel est nécessairement limité. La prohibition des arrêts de règlement et, plus généralement, la forme des décisions de la Cour de cassation ne permettent pas de conférer aux règles édictées la précision et, partant, la sécurité du droit écrit.
Reste à savoir si le contenu de la réforme sera à la hauteur de l’enjeu. En vérité, le contenu de la future ordonnance est, sans doute, déjà connu. Une version de travail, datée du 13 octobre 2013, avait, le 15 janvier 2014, fuité dans la presse. Il serait donc particulièrement étonnant que la version finale s’écarte, de manière substantielle, de cette version de travail. Ce Billet n’est pas le lieu de procéder à une analyse en règle de ce projet. Au demeurant, il est prudent d’attendre la publication de l’ordonnance, ou de son ultime brouillon, pour procéder à une nouvelle évaluation. Que les étudiants se rassurent ! Ils ne manqueront pas de lecture ! Nul doute que les colloques, articles et autres numéros spéciaux vont se multiplier au-delà du raisonnable. La doctrine va s’en donner à cœur joie en décortiquant à l’envie le nouveau droit des contrats.
L’habilitation du gouvernement à réformer le droit des contrats n’est toutefois pas le seul trait marquant de cette loi, même si elle tend à occulter le reste. Sans souci d’exhaustivité, la loi prévoit :
– d’introduire dans le Code civil la qualité d’être sensible des animaux (Art. 2 introduisant notamment un article 515-14 dans le Code civil). Cette disposition est purement symbolique, la qualité d’être sensible ayant déjà été reconnu dans le Code rural (art. L. 214-1 ; V. Billet 10 juin 2014, « Du statut juridique des animaux ») ;
– de supprimer les actions possessoires (Art. 9 abrogeant l’article 2279 du Code civil). Ces dernières sont en effet très peu utilisées en pratique, les avocats utilisant plus volontiers l’action en référé ;
– de supprimer le recours obligatoire à l’expertise en cas d’utilisation de l’action estimatoire (Art. 10 modifiant l’article 1644 du Code civil) ;
– de permettre aux personnes atteintes de mutité et/ou de surdité de faire des testaments authentiques (Art. 3 modifiant l’article 972 du Code civil) ;
– d’autoriser les héritiers à faire la preuve de leur qualité au moyen d’une simple attestation afin, notamment, d’obtenir des banques la fermeture des comptes du défunt et le versement des sommes y figurant (Art. 4 modifiant l’article L. 312-1-4 du Code monétaire et financier) ;
Si l’on ajoute à cela des dispositions relatives à l’administration légale conjointe, à l’administration territoriale, aux procédures civiles d’exécution, à la procédure pénale, et au Tribunal des conflits, on obtient un magnifique inventaire à la Prévert !
Qui a dit que le législateur ne savait pas se faire poète ?
Références
■ Article L. 214-1 du Code rural
« Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. »
■ Code civil
« Les actions possessoires sont ouvertes dans les conditions prévues par le code de procédure civile à ceux qui possèdent ou détiennent paisiblement. »
« Dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix, telle qu'elle sera arbitrée par experts. »
■ Article L. 312-1-4 du Code monétaire et financier
« La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles du défunt peut obtenir, sur présentation de la facture des obsèques, le débit sur les comptes de paiement du défunt, dans la limite du solde créditeur de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires, auprès des banques teneuses desdits comptes, dans la limite d'un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. »
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