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[ 11 avril 2022 ] Imprimer

La réforme du régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : un pari sur l’avenir

La réforme était annoncée, elle prend corps avec l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2002 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics.

Attendue, cette réforme emporte plusieurs modifications importantes :

■ le schéma contentieux de la responsabilité financière des gestionnaires publics est unifié au profit de la 7e chambre de la Cour des comptes. Dans le même temps, la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) est supprimée et les chambres régionales des comptes perdent leurs compétences juridictionnelles ;

■ un régime commun de responsabilité financière est mis en place, applicable à l’ensemble des acteurs de l’exécution budgétaire, ordonnateurs comme comptables et plus largement aux personnes impliquées dans cette exécution. Le texte réserve toutefois le cas des élus locaux et des ministres lesquels, comme devant la CDBF, échappent très largement à toute responsabilité financière ;

■ la responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics est supprimée et avec elle, les possibilités pour le juge financier de prononcer un débet et pour le ministre, d’accorder une remise gracieuse du débet prononcé. À leur place, c’est une amende que la Cour des comptes pourra prononcer, dont le montant est plafonné au maximum à 6 mois de rémunération de la personne faisant l’objet de la sanction à la date de l’infraction.

Selon le nouveau dispositif mis en place, la Cour des comptes a compétence à l’égard des gestionnaires publics, largement entendus, à l’exception de ceux listés dans le cadre de l’article L. 131-2 du code des juridictions financières. En particulier, les ministres ne relèvent pas de la Cour des comptes sauf s’ils se trouvent impliqués dans une gestion de fait. S’agissant des élus locaux, ils n’endossent de responsabilité financière que dans trois cas :

■ en cas d’inexécution d’une décision de justice entraînant le prononcé d’une astreinte (CJF, art. L. 131-4) ;

■ lorsqu’ayant fait usage de leur pouvoir de réquisition, ils procurent à une personne morale, à autrui ou à eux-mêmes, un avantage injustifié, par intérêt personnel direct ou indirect (CJF, art. L. 131-12) ;

■ s’ils sont reconnus gestionnaires de fait (CJF, art. L. 131-15).

L’ordonnance du 23 mars 2022 reproduit ainsi l’irresponsabilité financière des ministres et élus locaux, qui avait déjà été retenue en 1948 avec la création de la CDBF. Au niveau des infractions, l’ordonnance établit une liste d’infractions sanctionnables. Outre l’infraction générique résultant d’une faute grave commise par le gestionnaire public ayant occasionné un préjudice financier significatif (CJF, art. L. 131-9), la Cour des comptes pourra également sanctionner :

■ la faute de gestion (carence, omission, négligence…) au sein d’un établissement public à caractère industriel ou commercial / au sein des sociétés dans lesquelles l’État détient la majorité du capital social ou des voix dans les organes délibérants ou sur lesquelles il exerce, directement ou indirectement, un pouvoir prépondérant de décision ou de gestion (CJF, art. L. 131-10) ;

■ les agissements ayant pour effet de faire échec à une procédure de mandatement d’office (CJF, art. L. 131-11) ;

■ l’octroi d’un avantage injustifié procuré à autrui, à soi-même ou à toute personne morale, par intérêt personnel direct ou indirect (CJF, art. L. 131-12) ;

■ l’inexécution d’une décision de justice conduisant au prononcé d’une astreinte (CJF, art. L. 131-14) ;

■ la gestion de fait (CJF, art. L. 131-15).

Ces différentes infractions pourront être sanctionnées au moyen d’une amende dont le maximum ne pourra pas excéder six mois de rémunération de la personne faisant l’objet de la sanction à la date de l’infraction (CJF, art. L. 131-16).

S’y ajoutent trois infractions formelles :

■ l’absence de production des comptes (CJF, art. L. 131-13, 1°) ;

■ l’engagement d’une dépense sans respecter les règles de contrôle budgétaire (CJF, art. L. 131-13, 2°) ;

■ l’engagement d’une dépense sans avoir reçu de délégation à cet effet (CJF, art. L. 131-13, 3°).

Pour ces trois infractions, l’amende ne pourra pas excéder 1 mois de rémunération. Ainsi les dés sont-ils jetés. Alors que le projet d’ordonnance avait soulevé de nombreuses critiques et interrogations (en particulier, v. BJCL 2021, n° 12, p. 833), la rédaction finalement retenue laisse deviner un texte contraignant qui va considérablement limiter l’activité juridictionnelle de la Cour des comptes.

Pour le comprendre, il faut envisager le cadre juridique des infractions sanctionnables, très précis pour certaines d’entre elles et offrant, ce faisant, peu de marges de manœuvre au juge financier. Ainsi alors que le texte impose qu’un préjudice financier significatif soit associé à la faute grave reprochée au gestionnaire public. Il faut bien relever que sur ce point, le modèle français va bien au-delà de ce que prévoient les modèles européens comparables où la faute grave est appréciée en tenant compte du dommage en résultant, sans que ce dernier soit identifié en termes nécessairement financiers. C’est ainsi qu’en Italie, il est possible de sanctionner l’atteinte portée à la réputation, à l’image de l’administration par la faute commise par le gestionnaire public. Même réserve concernant l’adjectif « significatif » dont le texte précise d’ailleurs qu’il devra être apprécié « en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable » (CJF, art. L. 131-9).

L’ordonnance reprend également la possibilité de sanctionner l’avantage injustifié procuré à autrui, la complétant de l’avantage à soi-même ou à une personne morale, accordé par intérêt personnel direct ou indirect (CJF, art. L. 131-12). L’appréciation de cet intérêt va nécessairement contraindre le juge financier et limiter les cas d’engagement possible de la responsabilité financière des gestionnaires publics. Et c’est probablement l’un des reproches majeurs que l’on peut formuler à l’encontre de cette ordonnance : un cadre juridique excessivement contraignant, laissant peu de marges de manœuvre au juge financier, comme s’il avait été nécessaire, pour les auteurs du texte, de brider celui-ci pour mieux contenir les cas d’engagement de cette responsabilité. L’avenir nous dira si l’objectif est atteint. Mais d’ores et déjà, on peut le présupposer car outre l’aspect juridique, c’est également la configuration retenue du nouveau schéma contentieux financier qui va rejaillir sur cette activité. En effet, en supprimant les compétences juridictionnelles des chambres régionales des comptes et en rapatriant, au sein de la 7e chambre de la Cour des comptes, la totalité de l’activité juridictionnelle de la Cour des comptes, l’ordonnance ne fournit pas le cadre organique permettant d’absorber l’activité contentieuse cumulée de la Cour des comptes, des chambres régionales des comptes et de la CDBF. À ce point tel qu’il est possible de concevoir que ce nouveau schéma contentieux a été pensé, par anticipation, comme permettant de tenir compte de la réduction attendue de l’activité juridictionnelle du juge financier…

Ce faisant, il est possible de considérer que ce nouveau dispositif de responsabilité financière des gestionnaires publics a été conçu avec un double objectif :

■ raréfier les cas d’engagement de la responsabilité des comptables publics ;

■ plus largement, limiter les possibilités d’engagement de la responsabilité des gestionnaires publics.

Et il faut reconnaître que d’un point de vue rédactionnel, le texte de l’ordonnance a été méticuleusement rédigé en ce sens. Maintenant que les dés sont jetés, la question peut se poser des voies d’action dont pourrait bien disposer la Cour des comptes pour contourner ce funeste destin.

La Cour des comptes ne peut compter que sur elle-même, sur sa jurisprudence et la manière avec laquelle elle rendra ce texte malléable. D’ores et déjà, la lecture de certaines dispositions laisse deviner quelques options à disposition :

■ la possibilité d’une gestion de fait, susceptible de concerner l’ensemble des acteurs de l’exécution budgétaire, y compris les ministres et les élus locaux, semble constituer une planche de salut intéressante. Sous réserve, bien évidemment, de ce que pourrait bien en dire le Conseil d’État, juge de cassation…

■ les précisions rédactionnelles concernant certaines infractions méritent d’être travaillées afin de voir ce qu’il est possible d’en faire. Ainsi s’agissant de l’intérêt personnel direct et indirect retenu en cas d’avantage injustifié ; également de l’ordre écrit ou de la délibération préalable invoqué par un gestionnaire public pour échapper à sa responsabilité financière…

La Cour des comptes va devoir interroger le texte si elle veut s’extraire du strict carcan imposé par l’ordonnance. Sur cette voie, elle n’est pas seule car bien évidemment, rien ne sera possible sans l’assentiment du Conseil d’État, son juge de cassation. La convergence de leur jurisprudence peut constituer une parade intéressante, permettant d’éviter que la responsabilité financière des gestionnaires publics ne se trouve réduire à portion congrue. Indéniablement, c’est un pari sur l’avenir.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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