Actualité > Le billet
Le billet
La responsabilité des gestionnaires publics pour inexécution des décisions de justice : qui est responsable ?
Depuis le 1er janvier 2023, un nouveau régime de responsabilité financière des gestionnaires publics a été mis en place. Il permet notamment d’obtenir la condamnation au paiement d’une amende de tout gestionnaire public auquel il peut être reproché l’inexécution d’une décision de justice, dès lors que cette dernière présente une incidence en termes financiers.
Concrètement, cela concerne :
- les astreintes prononcées par le juge administratif afin d’obtenir l’exécution d’une précédente décision de justice (CJF, art. L. 131-14, 1°) ;
- les refus de mandatement de sommes d’argent dont le montant a été fixé par décision de justice - le plus souvent, cela concerne des dommages-intérêts prononcés par le juge (CJF, art. L. 131-14, 2°).
La possibilité de sanctionner ce type d’infractions était déjà possible avec le précédent régime de responsabilité financière résultant de la loi du 25 septembre 1948. Les gestionnaires publics indélicats relevaient alors de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).
Mais en pratique, cette infraction était rarement sanctionnée par ce juge financier. Parmi les raisons avancées, le fait que la simple menace d’un déféré devant la CDBF suffisait à obtenir l’exécution de la décision de justice.
Certes. Mais si l’explication est convaincante, elle laissait de côté un certain nombre de cas laissant deviner que le dispositif était loin d’être satisfaisant.
Il suffit pour s’en convaincre d’examiner les faits de la décision Commune d’Ajaccio en date du 31 mai 2023 par laquelle la Cour des comptes a condamné l’ancien maire de cette commune à une amende de 10 000 euros pour des faits remontant à… 2006. Quinze années de procédure, avec des montants d’astreinte qui ont progressivement augmenté, signe de l’agacement du juge face à la résistance de l’administration : initialement fixé à 50 euros par jour de retard, l’astreinte a atteint un montant de 800 euros…
Sur l’imputation de la responsabilité, la Cour des comptes a retenu la responsabilité de l’ancien maire « en sa qualité de représentant légal et d’ordonnateur de la commune », constatant par ailleurs que « les infractions constatées ne résultent pas d’un comportement fautif directement imputable à un ou des agents identifiés de la commune mais la Cour ne limite pas la sanction aux agents ayant pris une part directe dans les irrégularités et recherche également la responsabilité de tout justiciable du fait des obligations attachées à ses fonctions, même s’il est démontré que celui-ci n’a pas activement participé à la commission des irrégularités » (pt. 48).
Très clairement, il s’agit d’une affaire qui aurait pu être confiée à la CDBF depuis longtemps et qui aurait permis d’obtenir plus rapidement l’exécution de la décision de reconstitution des droits sociaux résultant de la réintégration d’un agent contractuel dont la décision de licenciement avait été annulée par le juge administratif.
Gageons que cette infraction retienne plus souvent l’attention du juge financier. En effet, le Parquet près la Cour des comptes a fait part de son intention de systématiser autant que possible le renvoi devant la Cour des comptes de ce type d’affaires.
C’est dans ce sillage que la décision suivante, Centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante du 10 juillet 2023, de la Cour des comptes s’inscrit : il s’agit, là également, d’une affaire d’inexécution d’une décision de justice résultant de l’annulation de la décision de la direction d’un centre hospitalier refusant la reconnaissance de l’imputabilité au service, de la maladie dont était atteint le directeur par intérim de cet établissement.
La particularité de cette décision réside dans l’imputation des responsabilités, la Cour des comptes ayant identifié trois responsables :
- deux anciens directeurs du centre hospitalier dont la responsabilité a été engagée sur le fondement des 1° et 2° de l’article L. 131-14 CJF – avec une approche des responsabilités proportionnelle au temps d’exercice des fonctions de direction – ils ont respectivement été condamnés à une amende de 2 000 et 7 000 euros ;
- l’attachée d’administration hospitalière est également reconnue responsable et condamnée à une amende de 1 000 euros.
C’est là que réside la particularité de la décision : elle a recherché la responsabilité du personnel administratif subordonné en charge du contentieux au sein du centre hospitalier.
La Cour des comptes a estimé que, chargée du contentieux mais non de l’exécution des mandatements, sa responsabilité ne pouvait être engagée que sur le fondement du 1° de l’article L. 131-14 CJF (astreinte). Le juge financier justifie sa décision en relevant que chargée des affaires générales et assurant le suivi des dossiers contentieux, elle aurait dû, à la réception des jugements, alerter la direction sur les conséquences prévisibles de l’inaction de l’établissement.
Si les gestionnaires décideurs avaient bien conscience des implications possibles de ce nouveau régime de responsabilité financière, cela n’était pas forcément le cas de leurs subordonnés qui étaient en droit de s’interroger sur l’étendue des champs des responsabilités que le juge financier retiendrait.
La réponse n’a pas tardé : chacun est susceptible d’endosser une part de responsabilité, à proportion des compétences et des missions qui lui sont confiées.
C’est très clairement un signal adressé aux administrations et à leurs responsables de service, aux supérieurs hiérarchiques et à leurs subordonnés – signal dont il faudra particulièrement tenir compte…
Un signal qui ne doit pas étonner car il n’est que le reflet de la jurisprudence antérieure de la Cour de discipline budgétaire et financière, laquelle affinait déjà sa recherche des responsabilités. Ainsi, avec sa décision Cnamts d’octobre 1985, la CDBF avait déclaré justiciable le secrétaire général d’un service relevant d’une caisse de sécurité sociale « nonobstant la circonstance qu’il n’en était ni ordonnateur ni comptable et n’y a jamais disposé de délégations de signature ».
Autrement dit, la condamnation de cette attachée d’administration hospitalière n’est en rien une surprise pour qui connaissait la jurisprudence de la CDBF. Il apparaît seulement qu’avec la Cour des comptes, cette responsabilité est plus particulièrement mise en lumière – probablement également que cette responsabilité pourra être plus souvent engagée que ne le faisait la CDBF : alors que cette dernière rendait, en moyenne, 4 arrêts par an, on s’attend à ce que la Cour des comptes ait une activité juridictionnelle plus soutenue – mécaniquement, le risque d’être sanctionné par le juge financier est donc désormais plus important.
Références :
■ C. comptes, 31 mai 2023, Commune d'Ajaccio, n° S-2023-0667 : AJCT 2023. 423, obs. Talip Dogan ; ibid. 326, étude C. Pierucci.
■ C. comptes, 10 juill. 2023, Centre hospitalier Sainte-Marie à Marie-Galante, n° S-2023-0858
Autres Billets
-
[ 18 novembre 2024 ]
Crise en Nouvelle-Calédonie : sur la légalité des détentions subies dans l’Hexagone
-
[ 12 novembre 2024 ]
Le principe de neutralité du service public face aux collaborations avec des universités israéliennes dans le contexte de la guerre de Gaza et du Liban
-
[ 4 novembre 2024 ]
PLFSS 2025 : l’avenir des droits sociaux en débats
-
[ 21 octobre 2024 ]
Vingt ans déjà, une intégration réussie ?
-
[ 14 octobre 2024 ]
Implants cérébraux : pour une consécration de neuro-droits
- >> Tous les Billets