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La révolution en trompe l'œil de la décision implicite d'acceptation
Suivant une annonce faite par le président de la République lui-même, il a été adopté dans la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens le principe selon lequel le silence gardé par l'administration sur une demande qui lui est adressée, vaudrait désormais acceptation.
Sur le plan des principes, le passage du régime de la décision implicite de rejet à la décision implicite d'acceptation est indéniablement une évolution importante. Pour le comprendre il faut remonter à l'origine de « l'invention » du régime de la décision implicite de rejet par la loi du 17 juillet 1900. Il s'agit alors de résoudre une difficulté liée aux conditions de saisine du juge administratif : puisque celui-ci ne peut-être saisi que de « décisions de l'administration », que se passe-t-il lorsque l'administration ne répond pas à une demande ? Et bien le juge ne peut pas être saisi. Ainsi, en prévoyant que le silence de l'administration vaudrait décision, le législateur crée un véritable droit au juge, puisque l'on pourra lui déférer la décision née à l'issue d'un certain délai.
Le dispositif de la décision implicite d'acceptation va beaucoup plus loin : il ne s'agit plus de créer un droit au juge mais un véritable droit à la décision : cette fois le silence gardé par l'administration permet de conférer au demandeur le bénéfice de la demande qu'il a formée.
En pratique toutefois, la différence entre décision implicite de rejet et décision implicite d'acceptation repose sur la différence de vigilance qu'elle impose aux services administratifs : dans le premier cas, si l'administration ne fait rien, elle ne court aucun risque sinon celui d'une contestation contentieuse. Dans le second, au contraire, elle doit veiller à véritablement instruire les demandes qui lui sont adressées, sous peine de voir accordés des avantages, délivrées des autorisations qu'elle n'entendait pas accorder ou délivrer pour des motifs liés à son pouvoir d'appréciation mais aussi pour des motifs de légalité.
Le nouveau dispositif, en adoptant ce système, doit donc être considéré comme visant à assurer la mobilisation des administrations vis-à-vis des demandes dont elles sont saisies et à leur imposer une obligation de vigilance aussi bien que de célérité.
Si l'on s'en tient à cette présentation, force est de constater que cette réforme constitue bien au sens strict une « révolution » de la logique de la décision implicite.
Pourtant, les limites introduites par le texte ainsi que les solutions jurisprudentielles acquises à propos de la décision implicite d'acceptation conduisent à considérer que cette révolution est beaucoup plus limitée qu'il n'y paraît.
D'abord, le texte pose qu'elle ne concerne pas les réclamations d'ordre financier. Ainsi, il ne suffira pas que l'administration ait oublié de répondre à une demande préalable d'indemnisation pour que le milliard d'euros qui lui a été demandé dans ce cadre soit dû à l'auteur de la demande.
On conçoit que cette restriction soit logique. Mais elle est loin d'être la seule.
Sont encore exclus les recours administratifs formés contre des décisions initiales, de sorte qu'ainsi dans tout ce qu'il est convenu d'appeler le « précontentieux administratif », la règle de la décision implicite de rejet continue de s'appliquer.
Mais au-delà de cela, la décision implicite d'acceptation ne s'appliquera pas « Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire » (L. n° 2000-32 du 2 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, art. 21, I, 2° mod.).
Que faut-il entendre par là ? Les travaux parlementaires sont silencieux sur ce point. On comprend bien que les demandes « spontanées » sont écartées. Par exemple, si je demande à la Ville de Paris de rebaptiser l'avenue des Champs-Élysées en « avenue Bertrand Delanoé », son silence ne vaudra pas acceptation. Mais les choses sont beaucoup plus incertaines dans des domaines où il existe des dispositifs dont la qualification de procédure n'est pas évidente.
Par exemple, pour ce qui concerne l'occupation du domaine public (pour réaliser des travaux, un déménagement, un tournage de film…), l'article L. 113-2 du Code la voirie routière dispose « l'occupation du domaine public routier n'est autorisée que si elle a fait l'objet, soit d'une permission de voirie dans le cas où elle donne lieu à emprise, soit d'un permis de stationnement dans les autres cas. Ces autorisations sont délivrées à titre précaire et révocable ». S'agit-il là d'une « procédure », au sens du texte ? On mesure que la réponse est difficile.
D'autres dérogations s'y ajouteront, dans les cas prévus par décret en Conseil d'État.
Ainsi, le champ de la décision implicite d'acceptation sera loin d'être absolu.
Mais surtout le texte ne touche pas au régime du retrait de la décision implicite d'acceptation fixé par l'article 23 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 aux termes duquel une décision implicite d'acceptation peut-être retirée dans un délai de deux mois (voire davantage pour les décisions implicites d'acceptation qui doivent faire l'objet d'une publicité légalement organisée).
Autrement dit, l'acquisition d'une décision implicite d'acceptation ne garantit nullement la stabilisation de la situation du demandeur qui devra attendre l'expiration de ce délai pour être certain que la décision qu'il a obtenue ne sera pas remise en cause. Et l'administration dispose ainsi d'un « deuxième tour », qui lui permet de rattraper les oublis ou erreurs commises en laissant expirer le délai initial. On a constaté dans la matière du permis de construire tacite, déjà généralisé depuis 2007, que le nombre de retraits de permis tacites accordés par dépassement des délais avait considérablement augmenté. Nul doute qu'il en ira de même compte tenu de la généralisation de la décision implicite d'acceptation.
On le voit, par conséquent, la révolution annoncée est assortie d'un nombre de limites considérables qui conduisent à tempérer sensiblement l'impact de cette réforme sur les relations entre l'administration et les administrés.
Références
■ Loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens (JO 13 nov.).
Loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 JORF du 13 novembre 2013, art. 1 III : Ces dispositions entrent en vigueur :
1° Dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la présente loi, pour les actes relevant de la compétence des administrations de l'État ou des établissements publics administratifs de l'État ;
2° Dans un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi, pour les actes pris par les collectivités territoriales et leurs établissements publics, ainsi que pour ceux des organismes de sécurité sociale et des autres organismes chargés de la gestion d'un service public administratif.
■ Loi n° 2000-32 du 2 avr. 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.
Article 21 modifié par la loi n°2013-1005 du 12 novembre 2013 - art. 1 (V)
« I. - Le silence gardé pendant deux mois par l'autorité administrative sur une demande vaut décision d'acceptation.
La liste des procédures pour lesquelles le silence gardé sur une demande vaut décision d'acceptation est publiée sur un site internet relevant du Premier ministre. Elle mentionne l'autorité à laquelle doit être adressée la demande, ainsi que le délai au terme duquel l'acceptation est acquise.
Le premier alinéa n'est pas applicable et, par dérogation, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet :
1° Lorsque la demande ne tend pas à l'adoption d'une décision présentant le caractère d'une décision individuelle ;
2° Lorsque la demande ne s'inscrit pas dans une procédure prévue par un texte législatif ou réglementaire ou présente le caractère d'une réclamation ou d'un recours administratif ;
3° Si la demande présente un caractère financier sauf, en matière de sécurité sociale, dans les cas prévus par décret ;
4° Dans les cas, précisés par décret en Conseil d'État, où une acceptation implicite ne serait pas compatible avec le respect des engagements internationaux et européens de la France, la protection de la sécurité nationale, la protection des libertés et des principes à valeur constitutionnelle et la sauvegarde de l'ordre public ;
5° Dans les relations entre les autorités administratives et leurs agents.
II. - Des décrets en Conseil d'État et en conseil des ministres peuvent, pour certaines décisions, écarter l'application du premier alinéa du I eu égard à l'objet de la décision ou pour des motifs de bonne administration. Des décrets en Conseil d'État peuvent fixer un délai différent de celui que prévoient les premier et troisième alinéas du I, lorsque l'urgence ou la complexité de la procédure le justifie. »
« Une décision implicite d'acceptation peut être retirée, pour illégalité, par l'autorité administrative :
1° Pendant le délai de recours contentieux, lorsque des mesures d'information des tiers ont été mises en œuvre ;
2° Pendant le délai de deux mois à compter de la date à laquelle est intervenue la décision, lorsqu'aucune mesure d'information des tiers n'a été mise en œuvre ;
3° Pendant la durée de l'instance au cas où un recours contentieux a été formé. »
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