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La sélection en master
Le 10 février dernier, le Conseil d’État a rendu son avis sur la sélection en master. En décidant que l’entrée en deuxième année de master ne pouvait être sélective que si la formation concernée figurait sur une liste établie par décret, les Hauts magistrats de l’ordre administratif ont confirmé ce que tout le monde savait.
Les recours d’étudiants non admis en deuxième année devant les juridictions administratives s’étaient en effet multipliés depuis quelques temps, de sorte qu’attendre l’avis du Conseil d’État était proprement inutile. Mais il fallait sans doute que les Universités soient mises au bord du précipice pour que le Gouvernement se décide à agir. Et encore, la liste des formations qui pourront sélectionner ressemble, pour l’instant, à un inventaire à la Prévert. Il est à peu près certain qu’une étude approfondie de cette liste révèlerait des bizarreries, telle formation étant sélective dans telle Université, mais pas dans les autres.
Certes, cette liste est une réponse destinée à « sécuriser » l’entrée en master dans l’urgence, dans l’attente d’une concertation plus large sur la sélection. Reste que c’est le Gouvernement lui-même, par son inertie, qui a créé l’urgence actuelle. La sélection en master illustre ainsi l’incurie de ceux qui nous gouvernent en matière d’enseignement en général, et d’enseignement du supérieur en particulier. La France a adopté le système Licence, Master, Doctorat, dit LMD, mais fonctionne encore avec un logiciel qui date d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître : celui du Deug (2 ans), de la licence (1 an), de la maîtrise (1 an), du DEA/DESS (1 an), et du doctorat (dont la durée est aujourd’hui en débat). La sélection entre les deux années de master, qui devraient pourtant former un tout, est donc une relique de l’ancien système qui distinguait la maîtrise et le DEA (Master 2 recherche) ou le DESS (master 2 professionnel), chaque année étant censée se suffire à elle-même.
Il est donc étrange, dans la logique du LMD, de sélectionner entre les années de master, alors que la sélection devrait se faire à l’entrée de la première année. L’incompréhension de ceux qui s’arrêtent au milieu d’une formation censée n’être complète qu’à l’issue de la deuxième année est donc légitime. Mais, pour adopter pleinement le système LMD, il fallait refondre l’ensemble des études supérieures et, notamment, réfléchir plus avant sur le niveau d’étude requis pour se présenter à certains concours, afin de ne pas exclure de la compétition ceux qui n’auraient pas pu rentrer en première année de master. Où l’on voit que le système LMD a été « plaqué » sur l’ancien système et fait office de « cache-misère ».
Encore faudrait-il toutefois qu’un consensus se fasse sur la nécessité d’une sélection. Or, certains syndicats étudiants, dont la représentativité fait pourtant rire, ont depuis longtemps tracé une ligne rouge devant la sélection. C’est peut-être pour leur faire plaisir que Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche a fait la déclaration suivante : la sélection « s’oppose non seulement à la démocratisation et au nécessaire renouvellement des élites, mais elle s’oppose aussi frontalement (...) au progrès ». Continuant dans la même veine, notre ministre a ajouté qu’ « elle masque, [qu’] elle abandonne, [qu’] elle laisse des millions de jeunes en dehors de l’enseignement supérieur (...) Je n’ignore pas les difficultés de l’enseignement supérieur. Mais je ne crois pas que nous les surmonterons en revenant à d’anciennes lubies, et les vieilles lunes ne m’intéressent pas ».
L’exigence de cohérence fait peut-être partie des « vieilles lunes » dont notre ministre n’a cure. En effet, ce n’est pas contre la sélection en général que Madame la ministre est partie en croisade, mais contre la sélection à l’Université. Il n’est pas question pour elle de remettre en cause la sélection dans les Écoles de commerce, les Écoles d’ingénieur, les Instituts d’Études politiques, dont Sciences po Paris (qu’elle avait par ailleurs intégré, après sélection, à l’issue d’une licence en droit)… C’est donc l’Université, et elle seule, qui ne pourrait en aucun cas, et à aucun niveau, sélectionner, sauf à empêcher le « progrès » et le « renouvellement des élites ».
Contrairement à ce que certains voudraient faire croire, les partisans, forts nombreux au demeurant, de la sélection après un certain niveau d’études, ne sont pas animés par de « vieilles lunes » anti-démocratiques. Ils ont simplement le désir de donner la meilleure formation possible à leurs étudiants, dans un contexte concurrentiel accru. Comment assurer à une promotion de plusieurs dizaines, voire centaines d’étudiants, une formation professionnalisante, axée sur l’échange, la réflexion et l’interactivité ? Il suffirait, certes, de multiplier les petits groupes, mais avec quels moyens, dans quels locaux ?
Pourtant, Madame la ministre dit ne pas ignorer les difficultés des Universités... La plupart ont juste la tête hors de l’eau grâce à l’abnégation de tous ceux qui y travaillent, étudiants compris, dont la bonne volonté est admirable compte tenu des conditions matérielles dans lesquelles ils se trouvent parfois.
Or, le décret préparé en urgence ne va faire que colmater certaines brèches. L’essentiel est donc à venir, et il est des raisons d’en concevoir quelques craintes. Nous profitons du printemps mais, comme chacun sait, Winter is comming et John Snow est mort (ou pas ?).
Références
■ CE, avis, 10 févr. 2016, n° 394594, Lebon ; Dalloz Actu Étudiant, 22 févr. 2016 ; AJDA 2016. 235 ; D. 2016. 379 ; ibid. 536, entretien C. Fortier.
■ Discours de Madame la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche à propos de la sélection en Master : https://www.youtube.com/watch?v=4YRaZNsr7yg
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