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[ 16 novembre 2020 ] Imprimer

La suppression de la qualification ou la remise en cause programmée du statut des enseignants-chercheurs

Le CNU ou Conseil National des Universités est une instance qui a pour mission de gérer la carrière des enseignants-chercheurs. Il détermine, notamment, quels sont les docteurs qui sont aptes, en raison de leur activité scientifique et pédagogique, aux fonctions de Maître de conférences et quels sont les Maîtres de conférences qui peuvent devenir Professeurs des Universités. C’est ce que l’on appelle la « qualification », qui est un préalable au recrutement dans une Université.

Au vrai, c’est au passé que cette présentation aurait dû être rédigée.

En effet, à l’occasion des débats sur la loi de Programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 (ou LPPR), dans la nuit du 28 au 29 octobre, juste après l’annonce du reconfinement, un amendement, déposé par un parlementaire de l’opposition et proposant la suppression de la qualification, a obtenu le soutien « surprise » de Madame Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Le signataire de ces lignes épargnera au lecteur la reproduction de l’article 3 bis de la LPPR, issu de cet amendement. Comme toute la loi, et la plupart des lois contemporaines d’ailleurs, il est écrit dans un style bureaucratique, à la limite du compréhensible pour le commun des mortels, et même pour le juriste rompu à l’exercice.

Toujours est-il que la qualification aux fonctions de professeur des Universités est supprimée.

Les Universités pourront donc recruter, en tant que Professeurs, les Maîtres de conférences de leur souhait, sans que la carrière de ces derniers n’ait été expertisée par le CNU. Quant à la qualification aux fonctions de Maître de conférences, elle est, pour faire simple, également supprimée, sauf pour les sections 01 à 06 (qui comprennent notamment le droit), à titre expérimental et pour une durée de quatre ans. Là encore, les Universités pourront recruter, en tant que Maître de conférences, les docteurs de leur choix, sans que ces derniers aient été nécessairement qualifiés par l’instance nationale.

Cette suppression, justifiée par la nécessité de « fluidifier » (?) les recrutements et d’augmenter le vivier des candidats (en l’abondant des médiocres ?) est scandaleuse.

Sur la forme, et même si les enseignants-chercheurs sont habitués au mépris que leur ministère leur témoigne, il est honteux que cette suppression, qui n’avait jamais été envisagée jusque-là dans la LPPR, ait été décidée par le Sénat, de nuit, devant un parterre de sénateurs clairsemé, sans que jamais l’Assemblée nationale n’ait eu à en discuter. En effet, cet amendement a été adopté par le Sénat lors de sa première lecture. Mais, puisque la procédure accélérée a été déclenchée, il n’y aura pas de seconde lecture devant l’Assemblée nationale. La Commission mixte paritaire a d’ailleurs déjà décidé de maintenir cet amendement scélérat en l’état.

Il est très clair que notre ministre a tenté un coup politique : espérer que les difficultés des enseignants-chercheurs, auxquelles elle n’est pas étrangère puisque l’enseignement supérieur a été purement et simplement abandonné pendant la crise sanitaire, empêcheraient une mobilisation de ces derniers…

Sur le fond, c’est le statut des enseignants-chercheurs qui est purement et simplement remis en cause. Les enseignants-chercheurs sont, en effet, des fonctionnaires d’État. Comment pourrait-on admettre que leur recrutement n’ait plus une dimension nationale, mais uniquement locale. Comment peut-on ne serait-ce qu’imaginer que les critères de recrutement d’un fonctionnaire d’État varient selon que le recrutement se fasse à Nice, Toulouse, ou Pau ?

La qualification nationale est donc consubstantielle au statut des enseignants-chercheurs. Sans la qualification, le statut de fonctionnaire n’a plus de justification et il disparaîtra.

C’est d’ailleurs ce que veut, fondamentalement, notre ministre, téléguidée qu’elle est par la conférence des Présidents d’Université. C’est même l’aboutissement logique de la fameuse autonomie des Universités, dont la logique ultra-libérale est de faire des Universités des entreprises, dotées de ressources propres, auxquelles l’État pourrait, in fine, couper les vivres ou ne maintenir des subsides qu’à celles qui feront de la recherche dans les domaines qu’il aura choisis.

Demain, il se trouvera un parlementaire qui feindra de découvrir que les enseignants-chercheurs sont choisis par les Universités, et par elles seules, et qui proposera d’en tirer les conséquences, en supprimant leur statut de fonctionnaire. Pour faire passer la pilule, on fera miroiter des augmentations de « salaire », et on parlera d’agilité, de fluidité ou encore de coconstruction.

Mais il en sera fini de l’indépendance des chercheurs. Certes, celle-ci est d’ores et déjà bien mise à mal. La plupart des crédits que peuvent obtenir les chercheurs sont des crédits affectés qui ne sont accessibles que par appels à projets. L’Europe, l’État ou encore les Régions peuvent ainsi orienter les recherches en « fléchant » les fonds disponibles. Au contraire, les crédits récurrents se tarissent au motif qu’ils ne stimuleraient pas assez l’initiative… et la concurrence entre les chercheurs.

La LPPR aggrave encore ce mouvement qui pousse les chercheurs, plutôt qu’à chercher…, à passer un temps considérable à répondre à des appels à projet… dont les taux de réussite sont faibles. Petit à petit, certains domaines de la recherche, moins rentables ou « à la mode », sont ou seront délaissés.

La suppression de la qualification est donc la première pierre du démantèlement du statut des enseignants-chercheurs. Elle mènera, demain, les enseignants-chercheurs à être des salariés, subordonnés à leur président d’Université, qu’il ne faudra donc pas fâcher.

D’indépendance, les enseignants-chercheurs n’en n’auront plus.

C’est également l’excellence qui risque de pâtir de cette suppression. Il faut, une nouvelle fois, être bien naïf pour miser sur « l’intelligence collective » des Universités. Certes, elles n’auront pas intérêt à recruter des médiocres. Mais l’excellence devra parfois céder le pas devant les renvois d’ascenseur…

En définitive, chacun a pu, parfois, être gêné par telle ou telle décision de sa section de CNU. Certaines évolutions pourraient être proposées pour en améliorer le fonctionnement, même si aucune ne pourra jamais empêcher complètement que des injustices, marginales, se produisent. Le jugement humain n’est jamais infaillible.

Reste que l’existence du CNU et de la qualification sont absolument nécessaires à l’indépendance des enseignants-chercheurs et à l’excellence de la recherche.

 

Auteur :Mathias Latina


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