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Le billet
La vérité et l’avocat
Le troisième procès d’assises de Maurice Agnelet vient de prendre fin. Ce procès a été particulièrement éprouvant et dramatique, à bien des égards. Un des fils de Maurice Agnelet, Guillaume, s’est en effet, contre toute attente, spontanément présenté devant le ministère public afin d’apporter son témoignage.
Son père lui aurait confessé le meurtre d’Agnès Le Roux. Quant à sa mère, elle lui aurait précisé qu’Agnès Le Roux serait morte en Italie, à la Toussaint 1977, assassinée d’une balle dans la tête, tirée en pleine nuit par Maurice Agnelet. Ce témoignage, que plus personne n’attendait, a sans doute largement contribué à emporter l’intime conviction des juges. Maurice Agnelet a, en effet, été condamné à 20 ans de réclusion criminelle. En outre, ce témoignage a fait vaciller tous les protagonistes de cette triste affaire, y compris l’avocat de la défense.
Une péripétie mérite quelques brèves remarques. Le président de la Cour d’assise s’étonna que, cette fois, Guillaume Agnelet n’ait pas été appelé à la barre pour apporter son témoignage. En réponse, voici les propos qu’il tint, tel que transcrit par Pascale Robert-Diard :
« http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/2006/11/28/les-mots-impuissants-de-deux-fils/Pourquoi, cette fois, n'avez-vous pas été cité comme témoin à l'audience ?
– Lors des deux précédents procès, je l'avais été par la défense. Cette fois, tout le monde savait quelle serait la teneur de mes déclarations si je venais.
– Tout le monde ?
– Ma mère, mon frère et Me Saint-Pierre ».
C’est alors que Me Saint-Pierre, avocat de Maurice Agnelet lors de tous ses procès, intervint :
« Je connais Guillaume et Thomas depuis des années. J'ai vécu leur déchirement. Je suis soumis au secret professionnel pour les conversations que j'ai pu avoir avec eux. Le rapport de l'avocat à la vérité est une question philosophique. Mais je veux dire solennellement ici que jamais je n'ai soutenu l'acquittement d'un accusé sachant clairement sa culpabilité ».
Les rapports entre l’avocat et la vérité sont particulièrement complexes. Tous les manuels de déontologie n’abordent d’ailleurs pas la question de manière frontale, certains refusant en quelque sorte l’obstacle.
La question, abrupte, qui pourrait être posée est la suivante : la déontologie de l’avocat autorise-t-elle celui-ci à demander l’acquittement ou la relaxe lorsqu’il sait que son client est coupable ?
Le terme de vérité ne figure ni dans le décret du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de l’avocat, ni dans le règlement intérieur national de la profession d’avocat. Toutefois, ces textes obligent l’avocat à exercer sa profession, notamment, avec probité et honneur.
L’honneur de l’avocat est sans doute de défendre son client, quel qu’il soit, quels que soient les actes qu’on lui reproche. Mais la probité et l’honneur devraient également lui interdire le mensonge.
Toute la nuance du propos de Me Saint-Pierre réside ainsi dans le « clairement ». Il faut ainsi distinguer deux situations, quitte à simplifier outrancièrement la complexité des situations dans laquelle l’avocat peut être plongé.
D’abord, l’avocat peut savoir que son client ment car la position qu’il soutient est contredite par tous les faits. Elle n’est donc pas crédible. Dans cette hypothèse, l’avocat tentera d’expliquer à son client que sa stratégie de défense est vouée à l’échec, et que l’incohérence de ses déclarations risque d’indisposer les juges, et les inciter à faire preuve de sévérité à son encontre.
Toutefois, si le client persiste, l’avocat n’a aucun moyen de forcer son client à changer de position. Ainsi, s’il souhaite continuer à l’assister, il devra soutenir, tant bien que mal, la position irréaliste de son client à l’audience, aux risques et périls de ce dernier. Il se contentera, dans cette hypothèse, « de porter la parole de son client ». Les avocats les plus habiles réussiront cependant, sans avouer à la place du client, à infléchir subtilement sa position pour ne pas heurter de front les magistrats.
Finalement, l’avocat ne peut savoir « clairement » que son client est coupable que si celui-ci le lui a avoué, dans le secret de son cabinet.
Malgré cet aveu, le client peut parfois exiger que son innocence soit plaidée à l’audience. Dans cette hypothèse, l’avocat est dans une situation embarrassante. Il ne pourra évidemment pas dénoncer son client, le secret professionnel le lui interdisant. En revanche, s’il soutient la thèse mensongère de son client, en toute connaissance de cause, il épousera son mensonge et violera son devoir de probité et d’honneur.
La seule solution acceptable serait donc… la fuite, encore que tous les avocats ne s’accordent pas sur ce point. L’avocat devrait en effet se démettre, c’est-à-dire demander à ce que la défense du client soit assurée par quelqu’un d’autre, sans donner de raison, ou en évoquant des raisons qui ne dévoilent pas le mensonge du client.
Ce qui, quelque part, est mentir…
Références
■ Blog de Pascale Robert-Diard : http://prdchroniques.blog.lemonde.fr/author/prdchroniques/
■ Décret n°2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de l’avocat : http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000633327&fastPos=2&fastReqId=640343194&categorieLien=cid&oldAction=rechTexte
■ Règlement intérieur national de la profession d’avocat : http://cnb.avocat.fr/Reglement-Interieur-National-de-la-profession-d-avocat-RIN_a281.html
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