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[ 8 novembre 2021 ] Imprimer

L’affaiblissement du secret professionnel des avocats

Le 21 octobre 2021, la commission mixte paritaire, chargée de trouver un compromis entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, a entamé la force du secret professionnel des avocats.

Le Sénat avait déjà, en septembre dernier, porté un sérieux coup au secret professionnel du conseil en le faisant céder face aux mesures d’enquête et d’instruction relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du Code général des impôts, aux articles 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du Code pénal, ainsi qu’au blanchiment de ces délits, c’est-à-dire, pour faire simple, en matière de fraude fiscale, de corruption et de trafic d’influence.

Si la fraude fiscale est un fléau, l’anéantissement pur et simple du secret en cette matière pouvait laisser songeur : que possède la fraude fiscale que ne possède pas les autres infractions, tel le meurtre, l’abus de biens sociaux, le viol ou encore le faux en écriture publique ? 

Quelles sont les particularités des infractions listées qui justifieraient que le secret professionnel des avocats soit exclu ?

On les chercherait en vain.

En effet, derrière cette exception, il n’y a rien d’autre que l’influence du ministère des finances, qui a plaidé pour que les infractions qui le concernent ne soient plus soumises au secret. Et peu importe que seul le secret en matière de conseil soit visé, à l’exception du secret en matière de défense, la distinction entre l’un et l’autre étant purement artificielle : lorsqu’un conseil est demandé à un avocat, c’est qu’un conflit n’est pas loin…

Qui ne voit, en outre, tout le danger qu’il y a à mettre en place une exception au secret professionnel ? Une fois qu’une porte est entrouverte, il est impossible de la fermer à nouveau. 

Pire, il ne faut pas être grand Clerc pour imaginer que d’autres viendront plaider, par analogie, la nécessité de faire exception au secret pour faciliter la preuve d’infractions dont le retentissement social est similaire à celui des infractions fiscales ou de corruption. Le germe de la destruction du secret professionnel des avocats avait été implanté par le Sénat.

C’est donc à raison que les avocats avaient vivement protesté contre la mise en place de cette exception. Las, en guise de réponse, la commission paritaire, censée trouver un compromis, a encore affaibli le secret professionnel des avocats…

Dans un article 56-1-2, elle a, d’une part, repris l’exception introduite par les sénateurs, en ajoutant à la liste des infractions celles relatives au financement du terrorisme :

« Dans les cas prévus aux articles 56‑1 et 56‑1‑1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction :

« 1° Lorsque celles‑ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421‑2‑2, 433‑1, 433‑2 et 435‑1 à 435‑10 du code pénal ainsi qu’au blanchiment de ces délits et que les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ».

Certes, les membres de la commission se targueront d’avoir introduit des « garde-fous ». Seuls les documents établissant « la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions » pourront être saisis. Mais encore faudra-t-il les saisir pour savoir s’ils établissent une telle preuve. Or il n’a pas échappé aux avocats que le filtre du bâtonnier, qui peut en principe s’opposer à la saisie de certains documents (C. pr. pén., art. 56-1, al. 3) n’a pas été repris…

D’autre part, la commission mixte paritaire a introduit une seconde exception, dont le champ d’application est encore plus large que celui de la première :

« Dans les cas prévus aux articles 56‑1 et 56‑1‑1, le secret professionnel du conseil n’est pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction :

« 2° Ou lorsque l’avocat a fait l’objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission, la poursuite ou la dissimulation d’une infraction ».

La rédaction de cette seconde exception est le symbole de ce que la « légistique » moderne peut produire de pire, c’est-à-dire un texte à la limite du compréhensible, non seulement en droit, mais également selon le « sens commun ».

L’on croit comprendre que lorsqu’un avocat aura involontairement participé à la commission, à la poursuite ou à la dissimulation d’une infraction, le secret tombera. En voulant dédouaner l’avocat de toute participation active à l’infraction, le législateur le fait donc passer pour un imbécile… 

De deux choses l’une, soit il aura activement participé à l’infraction, et le secret ne sera, logiquement, pas opposable. Soit l’avocat aura involontairement participé à l’infraction et le secret ne sera toujours pas opposable… 

Pile je gagne, face tu perds…

Mais comment prouver que l’avocat a, passivement, participé à une infraction ? 

Qui ne voit que le risque est que l’on considère que l’avocat, donnant un conseil à son client ayant commis une infraction, a nécessairement, quoiqu’involontairement, contribué à la commission, à la poursuite ou à la dissimulation de cette infraction ?

Si tel était le cas, il n’y aurait tout simplement plus de secret professionnel.

Les avocats se sont donc encore mobilisés. Ils espèrent un amendement du Gouvernement, qui seul peut, à ce stade de la procédure, proposer une modification du texte de la commission mixte paritaire.

À défaut, ils prévoient de se battre sur le terrain constitutionnel, par le biais de questions prioritaires de constitutionnalité, si d’aventure aucune question n’était posée, a priori, par les personnes habilitées à le faire…

Les nombreuses attaques que la profession d’avocat a subies ces dernières années attestent de la défiance croissante des pouvoirs publics à l’endroit de cette profession. Cette défiance est étrange tant lesdits « pouvoirs publics », une fois leur mandat ou leur fonction terminés, sont souvent bien empressés de rejoindre cette profession par le biais des passerelles qu’ils se sont aménagés…

Étrangement, ces passerelles ne sont pas en danger, au contraire de celle qui est offerte aux docteurs en droit ! 

 

Auteur :Mathias Latina


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