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Le billet
Laïcité, liberté, égalité
Et si on interdisait le port du voile islamique à l’Université, comme on l’interdit déjà à l’école ?
Opportunément posée (car à la veille des élections…), à la suite de différents incidents au cours desquels des professeurs et des jeunes filles voilées se sont opposés, la question a immédiatement suscité un vaste débat et a fait apparaître des clivages à l’intérieur mêmes des familles politiques. On retiendra juste à cet égard que la secrétaire d’État aux droits des femmes (ceci explique sans doute cela…) a déclaré qu’elle était favorable à une telle interdiction, ce qui lui a notamment permis de révéler son appartenance au gouvernement...
Si clivage, il y a, c’est probablement parce qu’au gré du temps, la laïcité a profondément changé de visage et de nature.
En 1905, elle a été conçue comme l’expression de la neutralité de l’État à l’égard des religions, comme la garantie de la liberté de chacun de croire ou de ne pas croire ; la laïcité républicaine est alors une source d’unité, le ferment de la vie en société, un facteur d’harmonie sociale qui transcende les différences. Elle rassemble tous les citoyens français, quel que soit leurs croyances, leurs cultes, leurs religions.
Le temps a passé et la laïcité a sensiblement changé. Elle est progressivement devenue un instrument exploité pour imposer aux citoyens une certaine neutralité dans leurs croyances (en ce sens, v. O. Pascal-Mousellard, Télérama, 4 févr. 2014, p. 19 s.), « le lieu de l’exclusion de certains citoyens et d’une discrimination entre les religions » (ibid, p.20). « Alors que la laïcité devait dans son principe protéger la liberté de croire ou de ne pas croire, elle sert aujourd’hui à la contrôler » (ibid).
On pressent que c’est cette seconde conception de la laïcité qui sous-tend les lois de 2004 sur le port des signes religieux à l’école et de 2010 qui prohibe le port d’une tenue destinée à dissimuler le visage dans l’espace public. Nul n’est dupe, en effet ! Derrière les mots apparemment neutres de la loi, étaient alors visées les écolières musulmanes qui portaient le voile islamique à l’école et leurs aînées, adeptes du voile intégral. De telle sorte qu’il n’est pas excessif de penser que ces lois sont sous-tendues par une défiance certaine à l’égard de la religion musulmane, seule suspectée d’être le vecteur de tendances communautaristes qui viendraient heurter nos principes républicains.
À moins que… à moins que ces lois ne reposent pas sur une version gauchie de la laïcité et poursuivent d’autres objectifs, à savoir la liberté de la femme et l’égalité des sexes, qui sont, elles aussi, des valeurs fondamentales de notre République. Le débat rebondit alors. Dans un premier mouvement, on est fortement tenté, si on admet que le port du voile est une injure aux valeurs précitées, d’en étendre l’interdiction à l’Université. Reste que, dans un second mouvement, on ne peut pas, non plus, rester insensible à l’argument développé par Nicolas Gardères (Le Monde, 8 mars 2015, p. 13), selon qui, « les jeunes femmes voilées sous la contrainte (ne doivent pas être) nombreuses à faire des études supérieures. Le droit d’aller à l’Université, lieu de risque libertaire et de savoir profane, paraît largement antithétique avec ce schéma ». En clair, la liberté de la femme n’est pas incompatible avec le port du voile et le fait que des jeunes musulmanes voilées expriment cette liberté. Et on ajoutera que si le port du voile devait se solder par une exclusion de l’Université, l’égalité avec leurs camarades masculins serait rompue elle aussi…
Diable qu’il est difficile, sauf évidemment si on est un adepte des idées reçues, de se faire une idée sur cette question ! Pour ma part, j’avoue que, plus le temps passe, j’ai des doutes…Et vous ?
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