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Le billet
L’amnésie française à l’égard de la politique européenne sur le climat
La protection du climat est une préoccupation partagée, mais dont le traitement conserve manifestement une forte appropriation nationale, alors même que les anticyclones et les dépressions ne connaissent pas les frontières, pas davantage que le nuage de Tchernobyl.
Face à ce défi climatique, le nouveau locataire de la Maison blanche, Joe Biden, a organisé, le 22 avril 2021, un sommet sur le climat où de nombreux États, mais aussi l’Union européenne, se sont engagés à faire baisser plus drastiquement leurs émissions de gaz à effet de serre. Si l’État apparaît comme le seul interlocuteur dans de nombreuses régions du monde, au sein de l’Union européenne, de par l’établissement de l’union de l’énergie, la compétence de l’Union est réelle en matière de protection du climat et devrait conduire logiquement à ce que chaque État lie sa législation dans ce domaine au cadre plus général fixé par elle. Cette situation devrait nous sauter aux yeux, lorsque les agendas législatifs se chevauchent, comme c’est le cas actuellement pour la France et l’Union.
Les agendas législatifs de la France et de l’Union européenne semblent en effet synchronisés, deux textes étant en discussion avec une même finalité, lutter contre le réchauffement climatique. L’Assemblée nationale examine actuellement le projet de loi, déposé le 10 février 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Le législateur européen travaille, de son côté, à la modification du règlement 2018/1999, afin d’établir le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique, dite loi européenne sur le climat. Cette proposition a été déposée le 20 septembre 2020.
Cette situation peut être perçue comme heureuse et montre une ambition commune et volontariste à lutter contre le réchauffement climatique. Cependant, l’examen plus approfondi du projet de loi français laisse songeur, indépendamment même des mesures envisagées. La surprise vient d’une certaine forme d’amnésie, liée à l’absence de références aux objectifs de l’Union et aux mesures contraignantes des politiques européennes. Dans l’exposé des motifs, l’action européenne est très largement passée sous silence que ce soit par rapport au Pacte vert, à la loi climat, aux engagements du Conseil européen, donnant l’impression que la France porte seule cette problématique. Cette absence raisonne davantage lorsque sont abordés des éléments plus précis, dont la neutralité carbone pour les bâtiments, la réduction des émissions pour les transports ou encore le développement des énergies renouvelables. Il est seulement indiqué que le projet de loi est complémentaire des actions européennes et internationales, ignorant la politique active de l’Union dans ce domaine et la portée du Pacte vert.
Face à ma surprise, il pourrait m’être rétorqué qu’il s’agit de vouloir absolument intégrer l’Union européenne, ou que ce lien est évident sans être énoncé ou encore qu’il s’agit d’une déclinaison de mesures purement françaises, issue de propositions de la Convention citoyenne. Certes. Ce choix opéré, conscient ou inconscient, appelle trois remarques :
- la première est que ce projet constitue une occasion manquée de la part du Gouvernement afin de favoriser l’acceptation des nombreuses mesures qui s’y trouvent. En effet, les mesures prises par la France, même singulières, s’inscrivent dans le cadre plus large d’obligations contraignantes et souvent chiffrées, adoptées par la France auprès de l’Union, notamment en termes de réduction d’émission de gaz à effet de serre. De plus, de nombreuses directives imposent des obligations de performances énergétiques. La loi aurait pu être l’occasion d’expliquer que les citoyens français ne sont pas isolés dans leurs efforts, et que le pendant existait nécessairement dans d’autres États membres. Une trajectoire partagée est sans doute plus facile à accepter.
- la deuxième remarque résulte, à l’exception de la PAC, d’une absence d’anticipation des mesures de l’Union européenne et de dimension transfrontalière du projet. Le projet aborde différents sujets, dont les écosystèmes et la diversité, les transports, où l’action nationale apparaît imparfaite à apporter des solutions suffisantes, lorsque ces zones géographiques sont partagées avec des États frontaliers. Or le projet n’aborde pas cette dimension frontalière, sous la forme de l’insertion de mécanismes ou d’outils de coopération.
- la troisième remarque est liée à l’ambiguïté des Gouvernements successifs à faire appel à l’Union européenne chaque fois que des difficultés économiques se profilent. Le plan de relance européen en est une manifestation parmi d’autres. En revanche, valoriser l’action de l’Union européenne semble contre nature. Or les efforts sur le plan climatique sont en priorité initiés et portés par l’Union européenne, principalement par la constitution de l’union de l’énergie sur les dix dernières années. Dans ce cadre, le choix a été opéré de parvenir à la neutralité climatique pour 2050, ce qui justifie la modification de la loi climat, avec le développement notamment de l’hydrogène renouvelable, de l’électrification, entre autres, et le captage des émissions de CO2. La politique apparaît pertinente, étant donné qu’elle est menée au niveau de vingt-sept États membres, qu’elle est identifiable au niveau mondial et qu’elle constitue les prémices d’une politique industrielle avec des investissements conséquents et partagés.
Aussi l’exposé des motifs de la loi aurait pu, à tout le moins, mettre en exergue cette avancée coordonnée et affirmer que la Convention citoyenne et le Gouvernement avaient œuvré en faveur d’une politique européenne.
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