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L’arme du droit, la journée internationale de la femme et les professions juridiques
« Je suis un homme comme les autres » : ainsi pourraient se résumer les revendications des femmes dans les métiers en général et dans ceux du droit en particulier. L’égalité hommes/femmes est une préoccupation majeure en cette période de campagne électorale et à l’aube de la journée internationale de la femme du 8 mars prochain.
Mais à l’instar de la Saint-Valentin, où le 14 février n’est pas ou ne devrait pas être le seul moment où l’on exprime ses sentiments à celui ou celle qui nous est cher, le 8 mars ne doit pas être conçu comme une journée exceptionnelle au cours de laquelle on débat de la question de l’égalité hommes/femmes. Cette journée doit davantage être perçue comme celle de tous les bilans en vue de se fixer de nouveaux objectifs. Le 8 mars n’est pas un « instant » mais la composante d’un continuum, d’un mouvement incessant, d’un processus permanent. S’agissant de la place des femmes dans les professions juridiques, si le constat est mitigé, le combat est néanmoins bien engagé.
▪ Le constat est encore mitigé. Il est vrai que les professions juridiques ont un des taux de féminisation le plus élevé qui ne cessera d’ailleurs d’augmenter car les Facultés de droit sont composés pour deux tiers d’étudiantes. En 2010, 58,8 % des juges, 84,4 % des greffiers, plus de 51 % des avocats et 82,5 % de la population active du notariat sont des femmes. En comparaison au monde de l’entreprise où le taux d’emploi des femmes est 21 % inférieur à celui des hommes : de quoi se plaint-on ? À dire vrai, l’inégalité persistante entre hommes et femmes n’est pas de nature horizontale. L’accès à la profession n’est plus la principale source d’inégalité à l’égard des femmes. En revanche, cette inégalité persiste sur le plan vertical. Il est question du fameux « plafond de verre » (pour une étude d’ensemble en Europe et tout emploi confondu, v. http://www.consilium.europa.eu/homepage/showfocus?lang=fr&focusID=80799). Les femmes sont moins nombreuses aux postes à responsabilité. Parmi les 243 membres des instances représentatives de la profession d’huissier, seuls 35 sont des femmes. À la Chambre départementale des notaires de Paris, les choses s’améliorent mais il n’existe pour l’instant que 8 femmes sur les 27 membres. Parmi les associés des cabinets d’avocats d’affaires, 25,8 % sont des femmes parmi lesquelles de nombreuses sont non equity. Les femmes notaires associées sont près de 25 % en 2010 contre 1,3 % en 1975. Quant aux magistrats, en 2011, 29 % des responsables de juridiction sont des femmes. Sur ce point, les métiers du droit connaissent les mêmes résistances que dans la fonction publique, où seulement 16,1 % des femmes ont un poste à responsabilité, et l’entreprise où la France compte seulement 8 % de femmes dirigeantes.
Les raisons d’une telle inégalité sont désormais bien connues. Elles sont d’ordre social et culturel : les femmes sont atteintes par le syndrome du « double fardeau » car elles continuent à être plus nombreuses à concilier vie professionnelle et vie familiale. En revanche, les hommes bénéficient toujours de cette image socialement valorisante et valorisée de « breadwinner » qui répond à la devise américaine : « anytime, anywhere ». Sur le plan culturel, le discours réducteur sur la nature des femmes et le discours dévalorisant sur les professions qui se féminisent sont une cause importante de l’inconscient collectif discriminatoire : les femmes seraient plus conciliantes, dans la communication, dans le dialogue, moins ambitieuses. N’est-ce pas davantage une construction sociale qu’un trait naturel et universel de toutes les femmes ? Quant aux professions qui se féminisent, elles sont le signe d’une dévalorisation. Il n’y aurait pas d’enjeu à accéder à une profession accessible à tous ! À dire vrai les causes de la féminisation sont multiples et complexes et le prestige d’une profession n’a rien à voir avec la proportion d’hommes ou de femmes mais se rattache à la fonction sociale de l’institution concernée.
En revanche, il est vrai que la trop forte féminisation de certaines professions du droit fait naître d’autres interrogations. La première est d’ordre institutionnel. Comment organiser une administration composée d’une grande majorité de femmes qui multiplient les temps partiels et bénéficient légitimement de congés maternité ? Entendons-nous bien, ce n’est pas le nombre important de femmes qui pose problème mais l’absence de prise en compte de cette situation dans la réorganisation des institutions et des services. Selon certains responsables, les premiers problèmes d’organisation peuvent être observés au sein de certaines juridictions et de nombreux greffes. Cette situation est également problématique pour des professions qui refusent de prendre en compte la réalité sociale des congés maternité ou du fameux « double fardeau ». Près de 41,44 % des femmes avocates exercent à titre individuel et le taux passe à 71 % pour les professions libérales. Certes, certaines mesures ont été prises à cette fin telles que le contrat « chance maternité » au sein du barreau de Paris et de Lyon qui séduit aujourd’hui la profession des huissiers et l’Union nationale des professions libérales. Mais le chemin est encore long à parcourir. Que l’on soit clair : il ne s’agit pas d’imposer un choix de vie aux femmes : celui de vivre « comme les hommes » ! Certaines d’entre elles souhaitent avoir une vie professionnelle qui n’empiète pas sur leur vie familiale. L’objectif n’est pas d’imposer un modèle aux femmes mais de leur permettre d’avoir la liberté de choisir celui qui leur convient. Le combat pour l’égalité ne réside pas dans l’assimilation mais dans la liberté de choix.
▪ Ce combat pour une plus grande égalité dans les professions juridiques est, sur ce terrain, bien engagé. Il est, en premier lieu, celui du droit. Il faut mettre, selon un terme très à la mode, l’intelligence juridique au service de cette cause. Le droit est un art et une technique. Il faut mettre en place une véritable stratégie juridique contre les inégalités. User de l’arme du droit suppose de passer, notamment, par une alternance entre droit imposé et droit négocié, entre droit édicté et droit spontané, entre droit dur et droit souple. Pour ne prendre que quelques exemples, la discrimination positive, malgré les doutes d’une telle stratégie, peut servir de levier ou d’accélérateur à condition qu’il s’agisse de frappes stratégiques et chirurgicales : telle est l’idée de la loi du 27 janvier 2011 pour la parité dans les conseils d’administration des sociétés cotées en Bourse et l’ambition du projet de loi passé en première lecture devant l’Assemblée nationale du 14 février 2012 instaurant une telle parité dans les plus hauts postes de la fonction publique. Le droit négocié et spontané peut être illustré par la création d’accords professionnels tels que l’accord « qualité de l’emploi dans les professions libérales » signé le 9 juillet 2010. Dans le même esprit, il existe un ensemble d’initiatives prises au nom de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) : mise en place de chartes de comportement ou de codes de déontologie tels que le guide des bonnes pratiques élaboré par l’UNAPL pour les professions libérales ou en 2012 la Charte « Chance collaboration » soutenue par Mme le bâtonnier de Paris, Me Christiane Féral-Schuhl.
Mais l’intelligence juridique n’est rien sans l’intelligence sociale. En effet, le nerf de la guerre consiste à faire évoluer les mentalités. Pour ce faire, il faut mener une sorte de guerre psychologique. Selon l’art de la guerre de Sun Tzu (Flammarion, coll. « Champs », 1972), il faut subjuguer son adversaire sans combattre, tel est le propre de la guerre psychologique. Il faut, en ce sens, garantir une certaine transparence en continuant à débattre du sujet à l’occasion de colloques, rapports ou expositions. L’ouvrage sublime, composé de photographies et d’entretiens, réalisé par D. Rondot sur Les femmes et la justice (LexisNexis) en est une parfaite illustration. La conférence organisée le 8 mars 2012 aux Archives de Paris sur les femmes et les métiers de la justice, le colloque organisé par le barreau de Paris sur les femmes et le pouvoir, le colloque organisé par l’École nationale de la magistrature les 31 mai et 1er juin 2012 sur la féminisation de la magistrature sont tous l’occasion d’alimenter en permanence le débat. L’attribution de labels est aussi un moyen de communiquer sur le sujet en récompensant les bons élèves. En octobre 2011, c’est l’Ordre des avocats de Paris qui a été récompensé en obtenant le label AFNOR, tant convoité, « égalité professionnelle ». C’est le premier organisme du secteur juridique à obtenir une telle distinction. L’intelligence sociale consiste, ensuite, à éduquer voire à rééduquer. Il faut enseigner le genre et pas seulement dans les grandes écoles. Regardons un peu du côté de nos voisins outre-Atlantique. Il faut imposer un questionnement sur le genre au sein des écoles primaires et au stade de l’IUFM. Enfin, il faut arrêter de réduire le débat sur l’égalité hommes/femmes à une question de justice sociale. Il ne s’agit pas de protéger une minorité, pas plus qu’il n’est question de protéger une partie faible. Il convient de prendre conscience de l’importance des femmes comme acteurs économiques à part entière. Pour preuve, les entreprises très féminisées ont un taux de rendement plus important et les femmes constituent aussi un moyen de remédier aux effets du papy-boom.
En ces temps d’élection, il est alors opportun de citer celui qui a marqué, en bien ou en mal, toute une génération : François Mitterrand. Ce dernier affirmait, lors d’un discours à SOS Racisme le 13 mars 1989 : « L’égalité n’est jamais acquise ; c’est toujours un combat ». Alors « Aux armes, citoyens ! »…
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