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L’article 47-1 de la Constitution et la réforme des retraites
Beaucoup a été écrit, notamment dans la presse, sur l’utilisation par le Gouvernement des dispositions de l’article 47-1 de la Constitution pour l’adoption de la réforme des retraites.
L’idée est de clarifier le propos.
L’article 47-1 de la Constitution fixe le cadre d’adoption des lois de financement de la sécurité sociale. C’est dans ce cadre que, chaque année depuis 1997, les lois de financement initiales de la sécurité sociale et les deux lois de financement rectificatives adoptées à ce jour (2011 et 2014) ont été examinées par le Parlement.
Très clairement, ces dispositions identifient, dans les grandes lignes, les modalités d’adoption des lois de financement en imposant un délai de 50 jours pour l’adoption de ces textes à partir du moment où ils ont été déposés sur le bureau des assemblées parlementaires (50 jours au total, 20 jours pour l’Assemblée nationale et 15 jours pour le Sénat). Si au terme de ce délai de 20 jours, l’Assemblée nationale ne s’est pas prononcée en première lecture, le Gouvernement saisit le Sénat qui doit statuer dans un délai de 15 jours. Si le Parlement ne s’est pas prononcé dans ce délai de 50 jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance.
Ce qui apparaît nouveau, c’est la probabilité que l’Assemblée nationale ne se prononce pas durant ce délai imparti et que le texte soit ensuite transmis au Sénat en l’absence de vote préalable de la chambre basse. Ce qui pourrait être nouveau, c’est la mise en œuvre du texte par voie d’ordonnance.
Certains se sont donc interrogés sur la possibilité d’appliquer ce calendrier aux lois de financement rectificatives. Il a ainsi été supposé que le régime juridique des lois de financement initiales pouvait être transposé aux lois de financement rectificatives en s’appuyant sur la décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 1986 (n° 86-209) laquelle opère une distinction entre lois de finances initiale et lois de finances rectificative, le Conseil constitutionnel ayant considéré que le régime juridique des premières devait être transposé aux secondes.
Autrement envisagée, l’application de ce calendrier aux lois de financement rectificatives résulte, sans ambiguïté aucune, des dispositions de l’article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale, lesquelles indiquent très clairement que « la loi de financement de l’année et les lois de financement rectificatives ont le caractère de lois de financement de la sécurité sociale ».
Il y a bien sur plusieurs avantages du point de vue du gouvernement à faire adopter cette réforme au moyen d’une loi de financement.
La loi de financement n’est pas soumise à l’obligation d’étude d’impact qui accompagne classiquement les projets de lois. Le Gouvernement n’est ainsi pas tenu de produire une évaluation des effets juridiques, financiers et sociaux du projet de loi. Le cadre d’adoption de la loi de financement est enserré dans un calendrier (préc.) qui permet de limiter les débats parlementaires. Et bien évidemment, s’agissant d’un projet de loi de financement, le Gouvernement conserve la possibilité de recourir aux dispositions de l’article 49 al. 3 de la Constitution, s’il l’estime nécessaire.
Mais une incertitude plane alors que le Président du Conseil constitutionnel lui-même aurait fait savoir, de manière totalement informelle (information relayée par le Canard enchaîné, « Retraites : et maintenant le risque inconstitutionnel ! », 18 janv. 2023) qu’une telle application des dispositions de l’article 47-1 aurait pour effet de nuire « à la sincérité des débats parlementaires » et constituerait « un détournement de procédure » ce que le Conseil constitutionnel ne saurait admettre.
L’interrogation rejaillit sur le contenu même de la loi de financement lequel est strictement envisagé par les textes constitutionnel et organique. Ce contenu est, là également, précisé par l’article LO 111-3 du Code de la sécurité sociale. Il y est question, notamment, des orientations de la politique de santé et de sécurité sociale, des objectifs déterminant les conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale ; des recettes des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ; des objectifs de dépenses de l’ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de 20 000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ; de l’Ondam (objectif national des dépenses d’assurance maladie). Plus largement, ces mêmes dispositions indiquent que ces lois de financement ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l’équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale.
Sorti de ce cadre, toute disposition qui prendrait place au sein d’une loi de financement serait considérée comme cavalier social, à ce titre, susceptible d’être censurée par le Conseil constitutionnel.
D’emblée, Laurent Fabius, président du Conseil constitutionnel a ciblé le problème. Selon les propos relayés par ce même article du Canard enchaîné : « Nous regarderons (si le texte) a une incidence financière, car tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire (sic) et dans ce cas, il faudrait un deuxième texte ».
Et effectivement, le projet présente plusieurs dispositions pour lesquelles on peut valablement se demander si elles peuvent être adoptées au moyen d’une loi de financement. L’exemple est notamment donné de l’index de l’emploi des séniors. Plusieurs autres dispositions sont citées dont certaines soulèvent l’interrogation. Ainsi à propos des critères de pénibilité, de la pension minimale, de l’extinction des régimes spéciaux, de l’allongement de l’âge légal de départ en retraite… Sur ce dernier point, relevons avec intérêt que chaque année, depuis 2018, le Sénat introduit un amendement dans le projet de loi de financement visant à allonger l’âge légal de départ à la retraite. Un amendement qui disparaît dans la suite de la procédure législative. De nouveau avec le projet de loi de financement pour 2023, les sénateurs ont amendé et voté le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans (195 voix contre 130).
Mais revenons-en à ces suspicions de cavaliers sociaux. Pour certaines de ces dispositions envisagées, on se situe manifestement sur une ligne de crête alors que techniquement, il suffit parfois de contorsionner un peu une disposition pour lui trouver une incidence financière… Là, indéniablement, tout sera question d’argumentation et d’interprétation.
Sur ces points, la décision du Conseil constitutionnel est donc très attendue. Car décision il y aura. Certes, le Conseil constitutionnel ne peut intervenir, s’agissant d’une loi de financement de la sécurité sociale, que s’il est saisi à cet effet conformément aux dispositions de l’article 61 de la Constitution. Mais il ne fait aucun doute qu’il le sera, vu les forces politiques en place et l’importance du texte…
Le Conseil constitutionnel est également attendu sur les éléments de procédure alors que l’utilisation du 47-1 et les avantages qu’il offre au Gouvernement, laissent clairement deviner la stratégie d’évitement enclenchée par ce dernier pour limiter au maximum les débats parlementaires.
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