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[ 10 octobre 2022 ] Imprimer

L’assurance chômage, instrument de réforme du marché du travail ?

Le 7 septembre dernier a été déposé par le ministre du travail un projet de loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein-emploi », dont les principales dispositions portent sur une nouvelle réforme de l’assurance chômage.

Le titre de la loi ne manquera pas d’étonner, tant au regard de l’idée d’urgence d’une réforme en la matière, que de celle de la possibilité de transformer le fonctionnement du marché du travail au moyen de l’assurance chômage.

La nécessité d’une intervention dans l’urgence du législateur paraît en premier lieu surprenante. L’assurance chômage depuis sa création en 1958 a en effet été un domaine privilégié de la négociation collective nationale interprofessionnelle, dans le cadre d’un régime légal fixé par le législateur, et le ministre est habilité à adopter les mesures nécessaires (C. trav., art. L. 5422-20). Les partenaires sociaux n’ayant pas réussi à s’entendre, le régime actuel d’assurance chômage a été fixé par un décret du 26 juillet 2019 (n° 2019-797). Celui-ci était appelé à prendre fin le 1er novembre 2022 ; on aurait donc pu s’attendre à ce que s’engage un processus de négociation permettant de remplacer l’ancienne convention. Le gouvernement a cependant argué du fait que le calendrier des élections présidentielles et législatives n’avait pas permis d’engager suffisamment de concertations pour permettre d’avancer dans une renégociation de la convention d’assurance chômage. Étrange argument, qui tend à écarter toute place pour le dialogue social, dès lors que sont en jeu des échéances électorales. Les règles de l’indemnisation des demandeurs exigent certes une coordination entre les politiques économiques et les règles de l’assurance chômage. Le respect de la place des partenaires sociaux aurait cependant justifié la seule reconduction temporaire du dispositif antérieur afin de laisser le temps à la négociation. Le choix été fait, au nom de l’urgence, d’engager une réforme sans laisser sa place à la négociation collective. Le projet de loi renvoie uniquement à une nécessaire « concertation » avec les partenaires sociaux au cours de l’élaboration du futur décret qui va fixer les nouvelles règles de l’assurance chômage. Le texte s’inscrit donc dans une logique inversée par rapport à celle qui est inscrite dans le Code du travail : la négociation n’intervient plus comme un préalable aux réformes, mais comme un simple accompagnement de celles-ci.

Une telle évolution eût été mineure si le choix avait été fait de simplement reconduire, sous réserve d’adaptations techniques, le dispositif existant. Il n’en est rien. Le futur décret, appelé à s’appliquer jusqu’au 31 décembre 2023, va pourtant engager d’importantes évolutions dans l’évolution du régime d’assurance chômage, que les partenaires sociaux auront pour seul rôle d’entériner. La future loi semble ainsi confirmer une reprise en main de l’État sur l’assurance chômage, perceptible depuis 2019, érodant un peu plus la démocratie sociale.

Sur le fond, le titre de la future loi montre assez clairement l’objectif visé : réformer le fonctionnement du marché du travail. Elle repose sur un présupposé qui n’est pas explicitement exprimé, mais transparaît dès l’exposé des motifs. La persistance d’un niveau de chômage significatif coexistant avec des difficultés de recrutement des entreprises serait imputable au comportement des demandeurs d’emploi. Ces derniers freineraient leur retour à l’emploi, préférant les allocations à l’activité. Les moyens utilisés pour favoriser le retour à l’emploi ne sont pas évoqués : la loi se contente d’habiliter à prendre un décret à cet effet. Il est probable que le futur décret poursuive et prolonge le mouvement entrepris depuis 2019, qui a déjà fortement durci les règles d’indemnisation pour les personnes qui connaissent des périodes d’emploi irrégulières, et il est possible que les durées d’indemnisation les plus longues soient raccourcies. Mais la discussion du projet de loi à l’Assemblée montre que le législateur est prêt à aller plus loin, en modulant désormais systématiquement les droits à indemnisation sur la conjoncture, ou en supprimant les droits à allocation des salariés en cas d’abandon de poste.

L’ensemble du projet montre le changement de paradigme des politiques en matière de chômage : celui-ci n’est plus abordé comme un mécanisme de protection des travailleurs contre un risque de privation d’emploi financé par des cotisations, mais comme un simple rouage du fonctionnement d’un marché, qui pourrait être régulé au moyen d’incitations financières.

N’est-ce pas là oublier un peu vite que le travail n’est pas une marchandise, et que le chômage n’est pas le fait d’opérateurs économiques, mais de personnes exposées à des situations concrètes ? Supprimer les droits à allocations-chômage ne permettra jamais de pallier les difficultés d’insertion ou de qualification professionnelle, et ne fera que renvoyer vers l’assistance ceux qui n’auront plus accès à l’assurance chômage. L’ambition du retour au plein-emploi ne restera qu’une vue abstraite si les réformes de l’indemnisation ne s’accompagnent pas d’un effort ambitieux d’accompagnement et de formation des demandeurs d’emploi, tout autant que de promotion de la qualité des emplois offerts.

 

Auteur :Frédéric Guiomard


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