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[ 29 avril 2019 ] Imprimer

L’autre enjeu des élections européennes

Les élections européennes sont un moment essentiel de la démocratie européenne, puisqu’elles permettent de désigner les représentants des citoyens européens qui siégeront au Parlement européen dont le rôle sera de légiférer, de désigner et de contrôler les actes de la Commission européenne. Cet événement est toutefois très banal, tant les élections sont récurrentes dans les différents États membres. Elles cachent néanmoins un autre enjeu, tout aussi majeur pour la démocratie, celui de garantir l’intégrité du débat public et du processus électoral face à l’amplification des informations trompeuses ou absolument fausses.

Les dernières élections, tant en Europe qu’aux États-Unis, ont été marquées par l’existence avérée de nombreuses campagnes de désinformation, y compris en provenance de pays tiers, avec la volonté d’influer sur le scrutin. Alors que cette question aurait pu être traitée au niveau des États membres, les institutions européennes, dont la Commission, se sont emparées de cette question avec l’ambition de garantir dans l’immédiat la sincérité du scrutin et, à plus long terme, les valeurs européennes, fondées sur la démocratie et la protection des droits fondamentaux. La désinformation constitue en effet un danger tant pour la liberté d’expression et l’existence du pluralisme des médias (Charte des droits fondamentaux de l’UE, art. 11) que pour la protection des données à caractère personnel (Charte préc., art. 8).

Les institutions européennes se veulent offensives sur ce sujet depuis plusieurs mois déjà, en s’adressant directement aux plateformes en ligne, qui sont les véhicules des informations trompeuses ou fausses, motiver par leurs seuls intérêts économiques. En effet, ce type d’informations est générateur de passage, élément essentiel pour la vente de publicité. Dans le viseur de la Commission et du Parlement européen se trouvent principalement Google, Facebook et Twitter. À cette fin, la Commission européenne a élaboré un Code des bonnes pratiques sur la désinformation au second semestre de l’année 2018 qui a, entre autres, été signé par ces entreprises en octobre 2018. Le Code développe des principes relatifs au contrôle des placements de publicité, à la garantie de  transparence des contenus sponsorisés, à la définition des mécanismes permettant la fermeture des faux comptes, à la dilution de la visibilité de la fausse information. Ce ne sont que quelques-uns des principes qui font l’objet d’un contrôle au travers de rapports qui doivent être communiqués par les plateformes. Les premiers rapports des entreprises de fin janvier et de fin février 2019 ont été accueillis sévèrement par la Commission européenne. Ils ont été qualifiés « d’incomplets et d’opaques » par le commissaire européen à la sécurité. Les derniers rapports datant de fin mars 2019 ont été mieux accueillis faisant état de progrès, identifiant les mesures prises concernant les publicités de campagnes politiques et la fermeture de faux comptes. Ces rapports sont d’autant plus importants qu’ils sont publiés sur le site de la Commission européenne (pour ceux du mois de mars, V. ici).

Cette action de la Commission, soutenue par le Parlement européen, démontre la volonté et la capacité de l’Union européenne à pouvoir agir, y compris face à des entreprises américaines, qui ne faisaient, jusqu’à présent, que peu d’efforts alors même que le problème est récurrent. Cette action s’inscrit dans des exigences communautaires plus larges à l’égard des entreprises du secteur du numérique, tant dans le domaine des libertés et droits fondamentaux, avec l’adoption du règlement (UE) 2016/679, relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, qu’en matière de concurrence. L’Union européenne sait, en outre, imposer des rapports de force que les États membres n’avaient pas su totalement traiter, recherchant prioritairement les voies diplomatiques pour mettre en fin aux ingérences russes. L’Union européenne a usé d’une autre méthode, plus technique et plus juridique, qui sera vraisemblablement complétée par un règlement européen dans les prochains mois pour mieux encadrer les principes définis dans le code.

L’Union européenne est sans doute très imparfaite, comme toute construction humaine, mais elle démontre que sa puissance, issue de la construction européenne, est aujourd’hui une réalité qui s’impose à des entreprises peu ouvertes au respect des valeurs européennes et à la démocratie. Cette séquence traduit également l’importance des thèmes portés par les différents partis politiques européens et leur positionnement par rapport à la place de l’Union. Cette séquence marque enfin le rôle pivot de la Commission à porter les intérêts de l’Union face à des intérêts privés pour garantir la protection effective de certains droits des citoyens.

Il n’est pas certain que ces élections ne soient pas menacées jusqu’au bout par cette désinformation, mais à défaut d’une obligation de résultat, l’UE aura posé les premiers moyens pour parvenir à ses fins et protéger une nouvelle fois les valeurs européennes, socle de la construction de l’Union européenne.

 

 

Auteur :Vincent Bouhier


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