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[ 12 septembre 2022 ] Imprimer

L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux

Il y a deux ans, le ministère de la Justice avait donné pour mission à une commission, présidée par le Professeur Ph. Stoffel-Munck, de proposer une réforme du droit des contrats spéciaux. Au cœur de l’été, la Chancellerie a ainsi mis en ligne le fruit du travail de cette commission, accompagné de commentaires explicatifs. Toute personne intéressée a ainsi la possibilité de soumettre des propositions de modification dans le cadre d’une consultation qui prendra fin le 18 novembre prochain.

La réforme du droit des contrats spéciaux est donc en marche.

Pour autant, son devenir est incertain. Les passionnés de droit des obligations se souviennent, en effet, que la réforme du droit commun des contrats, du régime général et de la preuve des obligations portée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 devait se poursuivre par une réforme de la responsabilité civile.

En 2017, un avant-projet, modifié après consultation, avait même été rendu public par la Chancellerie (v. ici), avant d’être remisé dans un des tiroirs du bureau du droit des obligations.

Le temps parlementaire étant réduit, le gouvernement aurait souhaité légiférer par ordonnance. Reste que le Parlement est toujours réticent à donner au gouvernement l’autorisation d’intervenir dans le domaine de la loi. Même pour le droit commun des contrats, cette autorisation n’avait pas été donnée sans difficulté.

Le Parlement est d’autant moins enclin à le faire sur les sujets qui sont susceptibles d’intéresser la société civile. Or, la responsabilité intéresse aussi bien les citoyens, en tant que parents, gardiens d’une chose, d’un animal de compagnie ou encore en qualité de victime d’un dommage, que les entreprises, en tant qu’employeur, auteur d’une faute lucrative ou encore responsable d’un dommage environnemental…

C’est donc faute d’un véhicule législatif adapté et de temps parlementaire pour faire voter une loi que la réforme de la responsabilité civile n’a pas vu le jour.

Celle du droit des contrats spéciaux connaîtra-t-elle le même sort ? 

Certes, les contrats spéciaux ne sont pas de nature à intéresser la société civile, et en tout cas pas plus que le droit commun des contrats dont la réforme s’est faite par ordonnance. Il s’agit d’un sujet que les parlementaires qualifieraient volontiers de « technique » et dont ils pourraient se délester au profit du gouvernement, à charge évidemment de contrôler la copie de ce dernier lors de la ratification.

Reste qu’avec une majorité relative à l’Assemblée nationale, le gouvernement n’est certainement pas en position de demander une habilitation législative.

Quant à un éventuel projet de loi, il est assez hypothétique. Le temps parlementaire est encore plus réduit aujourd’hui qu’il ne l’était hier, la moindre loi suscitant des débats sans fin. Le gouvernement se battra-t-il, dans ces conditions, pour qu’advienne la réforme du droit des contrats spéciaux ? C’est peu probable tant cette éventuelle victoire lui serait de peu d’intérêt d’un point de vue électoraliste.

C’est sans doute la raison pour laquelle l’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux n’a pas suscité, pour l’instant, le même engouement que ses devanciers. La période à laquelle l’avant-projet a été révélé n’a, en outre, pas aidé à provoquer le débat. Un frémissement se fait toutefois ressentir en cette rentrée, avec une multiplication des colloques, auxquels participent d’ailleurs de nombreux membres de la commission d’élaboration de l’avant-projet.

Le débat est pourtant plus que nécessaire et l’on peut souhaiter que les réponses à la consultation soient nombreuses. Cet avant-projet parachèvera, en effet, la réforme du droit des contrats, entamée par celle du droit commun. La physionomie de notre droit des contrats dépendra donc pour une large part de la liste des contrats spéciaux qui seront régis par le Code civil et de la teneur de leur régime spécial.

Autant dire que la communauté des juristes doit, dans le court temps qui lui a été laissé, se saisir de l’avant-projet afin d’en discuter les grandes orientations autant que les règles de détail.

Au titre des grandes orientations, la conception de la liberté contractuelle qui s’évince de l’avant-projet interroge. L’idée de la commission est que le droit commun réformé protège désormais suffisamment les contractants, au point que le droit spécial pourrait donner toute sa force à la liberté contractuelle. C’est ainsi, par exemple, que la mention « sauf clause contraire » figurant dans un texte priverait le juge de sa capacité à juger du caractère abusif de la clause (v, Avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, p. 4). Cette césure entre un droit commun protecteur et un droit spécial libéral peut ne pas convaincre, le droit commun et le droit spécial formant un tout indissociable. Le risque est celui de signaux contradictoires, plutôt que complémentaires. Surtout, affirmer que le droit commun des contrats est protecteur est contestable, tant les mécanismes censés protéger la partie faible ont été émoussés depuis les premiers avant-projets de réforme du droit commun jusqu’à la version ratifiée par le Parlement.

De même, l’articulation entre droit commun et droit spécial, qui résulte de l’avant-projet, pose question. Est-il réellement nécessaire de reprendre des règles du droit commun à propos de tel ou tel contrat spécial ? Quel est l’intérêt du renvoi exprès aux articles du droit commun ? Ces règles de rappel et ces renvois exprès, fréquents, mais non généralisés créent des incertitudes. Lorsqu’une règle du droit commun n’est pas reprise ou lorsqu’un renvoi n’est pas fait, est-ce à dire que le droit commun ne s’applique pas ? Cette question ne devrait pas se poser, le droit commun ayant vocation à s’appliquer en principe, sauf à ce qu’une règle spéciale y déroge. Si elle se pose, c’est précisément en raison de l’existence de reprises ou de renvois exprès qui, sauf exception, ne s’impose pas avec la force de l’évidence.

Par ailleurs, ce sont les règles spéciales modifiées ou introduites qui doivent, elles-mêmes, être soumises à l’analyse. Pêle-mêle : pourquoi ne pas avoir créé un régime complet des avant-contrats ? Le maintien de la lésion et de la garantie de contenance dans la vente d’immeuble était-il nécessaire ? Le régime de la garantie d’éviction est-il satisfaisant ? Quid de l’introduction de la distinction entre prêt intéressé et désintéressé ? La catégorie des contrats essentiellement aléatoires, telle que définie dans l’avant-projet, fait-elle réellement sens ?

La consultation pourrait ainsi servir à trouver des réponses à ses questions et à proposer des solutions alternatives !

 

Auteur :Mathias Latina


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