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L’avant-projet de réforme du droit des obligations… belge !
Le Code civil belge est, pour un juriste français, un formidable outil de comparaison. Basé sur le Code napoléon, il a, depuis, évolué de manière autonome sous la double influence des lois qui sont venues le modifier et de la jurisprudence qui l’a interprété.
Le Code civil belge était, pourtant, affecté des mêmes maux que le Code civil français. Faute de réforme d’ampleur, en particulier en droit des obligations, les textes du Code civil belge ne reflétaient plus que très imparfaitement l’état du droit positif.
La Belgique s’est donc lancée, à partir de 2015, dans une vaste opération de modernisation de son Code civil destinée à réformer le droit des obligations, mais également le droit des biens, le droit de la preuve, le droit de la responsabilité et le contrat de prêt !
Le 30 mars dernier, le Conseil des ministres belge a ainsi approuvé les avant-projets de réforme du droit des obligations, de la preuve et des biens. Ces avant-projets, construits par des groupes d’experts et modifiés après une consultation publique, sont aujourd’hui disponibles en ligne et accompagnés de riches exposés des motifs qui commentent, article par article, les dispositions sur lesquelles le Parlement belge aura à se prononcer.
S’agissant du droit des obligations, l’exposé des motifs justifie la réforme par les « lacunes béantes » du Code civil belge (« exposé des motifs », p. 4), l’existence de dispositions qui portent « l’empreinte d’une époque révolue » (Ibid., p. 3) et l’influence « considérable » de la jurisprudence qui fait que le droit belge « s’apparente de plus en plus au système de Common law », ce qui nuit à son « accessibilité » (Ibid., p. 4 et 5).
Les observateurs attentifs de la réforme du droit des obligations français reconnaîtront sans peine tous les arguments qui étaient avancés au soutien du processus ayant abouti à l’ordonnance du 10 février 2016.
L’avant-projet belge permet également de constater qu’un des objectifs de la réforme du droit des obligations français, à savoir restaurer sa fonction de modèle, a été atteint, au moins partiellement. À plusieurs reprises, l’exposé des motifs de l’avant-projet belge cite, parmi ses sources d’inspiration, le droit des obligations français.
Par exemple, l’article 5.77, intitulé « changement des circonstances », s’inspire, aux dires de l’exposé des motifs (p. 105), de l’article 1195 du Code civil français, dont il reprend le critère de l’exécution « excessivement onéreuse » et la structure, décomposée en deux phases : amiable, pendant laquelle le contrat n’est pas suspendu, puis contentieuse.
De même, c’est « à l’image du Code civil français et des instruments d’harmonisation internationale (PICC ; DCFR ; etc.) », que l’avant-projet de réforme du droit des obligations belge « rassemble en une sous-section les sanctions qui s’offrent au créancier » en cas d’inexécution (« exposé des motifs », p. 116). On notera, d’ailleurs, que l’on trouve, dans cette subdivision, la résolution par notification (art. 5.96 ; comp. C. civ., art. 1226) et la réduction du prix (art. 5.100 ; comp. C. civ., art. 1223) qui est, dans la version belge, soit judiciaire, soit unilatérale, au choix du créancier de l’obligation inexécutée.
Enfin, mais sans souci d’exhaustivité, l’article 5.313 qui énonce que « le créancier peut aussi suspendre l’exécution de son obligation lorsqu’il est manifeste que son débiteur ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour lui », reprend, quasiment mot pour mot, l’article 1220 du Code civil français. Sur cette question, l’avant-projet belge est, toutefois, plus pertinent et cohérent.
Plus pertinent, parce qu’il prévoit que la suspension n’a plus lieu d’être si le débiteur donne « des assurances suffisantes de la bonne exécution » de son obligation (art. 5.313 § 2).
Plus cohérent, parce que, symétriquement, le « contrat peut aussi être résolu, dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’il est manifeste que le débiteur, après avoir été mis en demeure de donner, dans un délai raisonnable, des assurances suffisantes de la bonne exécution de ses obligations, ne s’exécutera pas à l’échéance et que les conséquences de cette inexécution sont suffisamment graves pour le créancier ». Or, cette possibilité n’est pas prévue en droit français, ce qui oblige le créancier à attendre l’échéance de l’obligation de son cocontractant pour se défaire du contrat.
Il n’est pas possible de mener, dans le cadre de ce billet, une comparaison exhaustive entre le droit des obligations français et l’avant-projet de réforme belge. De toute façon, l’entreprise est prématurée car le texte belge va nécessairement être modifié dans le cadre de la procédure parlementaire.
On se limitera donc à vérifier si certaines dispositions, qui ont fait débat en droit français, se retrouvent dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations belge.
En premier lieu, on constatera que, s’il existe bien, comme en droit français, des « dispositions introductives », placées en tête du chapitre consacré au contrat, ces dispositions ne mentionnent ni la liberté contractuelle, ni la force obligatoire, ni la bonne foi. La liberté contractuelle figure en effet à l’article 5.18 de l’avant-projet belge, au début du paragraphe consacré aux négociations, tandis que la force obligatoire (art. 5.72 « principe de la convention-loi ») et la bonne foi (art. 5. 76) sont placées dans la sous-section relative à « l’effet obligatoire » du contrat.
Les rédacteurs de l’avant-projet belge n’ont donc pas souhaité, comme le législateur français, inscrire ces trois principes au « frontispice » du droit des contrats. Ce choix éclaire rétrospectivement celui du législateur français qui, s’il n’a pas expressément qualifié ces dispositions de « principes directeurs », les a mis en valeur pour en faire les principes fondamentaux de notre droit des contrats.
Par ailleurs, l’article 5.76, consacré à la bonne foi, diffère à au moins deux égards de notre article 1104.
D’abord, il se contente, comme l’ancien article 1134, alinéa 3, d’énoncer que « le contrat doit être exécuté de bonne foi ». Il n’est donc pas prévu, pour l’instant, d’introduire en droit belge une « clause générale » de bonne foi, applicable à tous les stades de la vie du contrat, comme le fait l’article 1104 du Code civil français. En droit belge, la bonne foi est mentionnée, au cas par cas, dans certaines dispositions. C’est ainsi que la bonne foi est imposée, au stade des négociations, par l’article 5.19 qui énonce que lors de la négociation, les parties « agissent (…) conformément aux exigences de la bonne foi ».
Ensuite, le droit belge s’essaye à une définition de la bonne foi. Être de bonne foi, c’est, aux termes de l’article 5.76, se « comporter comme le ferait une personne prudente et raisonnable placée dans les mêmes circonstances ». Cette définition peut laisser dubitatif. On voit mal, en effet, pourquoi les rédacteurs de l’avant-projet ont jugé nécessaire de faire référence à la « prudence », en plus du standard du « raisonnable ». Une personne raisonnable n’est-elle pas nécessairement prudente ? En outre, cette définition affirme, ou révèle, c’est selon, que la bonne foi n’est pas un principe premier, mais une déclinaison du standard du « raisonnable ».
En deuxième lieu, l’avant-projet de réforme du droit des obligations belge ne supprime pas la notion de cause. La cause reste une condition de validité du contrat, aux termes de l’article 5.31, avec le consentement, la capacité et l’objet. Cette décision, justifiée par le fait que la cause « s’inscrit dans une tradition bien ancrée et est utile pour la dogmatique » (« exposé des motifs, p. 73) ravivera la douleur des auteurs français pour qui la suppression de la cause est une faute, voire une trahison. L’étonnement ne provient pas tant du maintien de la cause, sa disparition ayant suscité des débats passionnés en droit français, que de la reprise, sans modification majeure, des anciens articles 1131 et suivants du Code civil (V. art. 5.57 et suivants) qui étaient considérés en France, y compris par les partisans de la cause, comme insuffisants.
En troisième lieu, l’avant-projet de réforme belge entend introduire, dans le Code civil, la notion de contrat d’adhésion. L’article 5.14 énonce en effet que « le contrat est un contrat d’adhésion lorsqu’il est rédigé préalablement et unilatéralement par une partie et que l’autre n’a pas pu avoir d’influence sur son contenu.
Le fait que certaines clauses du contrat aient fait l’objet d’une négociation individuelle n’exclut pas l’application du présent article au reste du contrat lorsque l’appréciation globale permet de conclure qu’il s’agit malgré tout d’un contrat d’adhésion ».
Inspiré, aux dires de l’exposé des motifs (p. 26), de l’avant-projet Catala, cet article fait, comme l’article 1110 du Code civil (dans sa version modifiée), de la prédétermination du contenu du contrat et de l’absence de négociabilité de ce contenu, les critères du contrat d’adhésion. Pour autant, le contrat d’adhésion n’est utilisé, en droit belge, que pour doter ce dernier d’une règle d’interprétation favorable à l’adhérent (art. 5.69), et non pour permettre l’éradication des clauses abusives.
En dernier lieu, on notera que l’article 5.41 de l’avant-projet belge consacre un vice du consentement appelé « abus de circonstances », détaché du vice de violence.
Aux termes de cet article, « il y a abus de circonstances lorsque, lors de la conclusion du contrat, il existe un déséquilibre manifeste entre les prestations par suite de l’abus par l’une des parties de circonstances liées à la position de faiblesse de l'autre partie ».
Cette disposition est bien plus compréhensive que l’article 1143 du Code civil, tel que modifié par la loi de ratification du 20 avril 2018. C’est bien la faiblesse d’une partie, et non la dépendance d’un contractant « à l’égard » de l’autre, qui sert de critère de mise en œuvre à ce mécanisme.
Ainsi, « les circonstances d’infériorité (…) peuvent découler tant de caractéristiques personnelles, comme l’état de nécessité physique, moral ou financier, les faiblesses, l’ignorance ou l’inexpérience de la victime que de circonstances de supériorité économique ou fonctionnelle dans le chef de la partie commettant l’abus, qui se trouve, par exemple, dans une position de monopole ou de force » (« exposé des motifs », p. 63).
En droit français, puisque la dépendance doit être analysée « à l’égard » du cocontractant, au moins depuis la loi de ratification du 20 avril 2018, il ne semble pas possible que soient prises en compte les situations de vulnérabilité dites « intrinsèques », telle la faiblesse d’une des parties due à une maladie par exemple. Seules devraient être prises en compte les situations de dépendance (affectives, économiques, technologiques…) d’un contractant vis-à-vis de l’autre.
Telle est au moins l’intention affichée par les sénateurs qui sont à l’origine de la modification de l’article 1143 du Code civil, acceptée par l’Assemblée nationale lors de l’examen de la loi de ratification de l’ordonnance du 10 février 2016. On sait en effet que ce sont les craintes des « milieux économiques » qui ont conduit le Sénat à proposer de réduire le champ d’application de l’article 1143.
Ces craintes ne se sont pas, pour l’instant, manifestées en droit belge. Sans doute est-ce parce que la jurisprudence belge avait déjà consacré la « lésion qualifiée », alors que la Cour de cassation française n’avait admis que la contrainte économique, et que les juges belges faisaient usage de la lésion qualifiée avec une « grande circonspection » (« exposé des motifs », p. 60).
L’intervention du juge n’a pas non plus effrayé les rédacteurs de l’avant-projet belge puisque le juge est doté du pouvoir de réviser le contrat, aussi bien lorsque le déséquilibre est dû à l’abus des circonstances par une partie lors de la conclusion du contrat (art. 5.41), qu’à la survenance, au cours de l’exécution du contrat, d’un changement de circonstances (art. 5. 77).
Toujours est-il que la réforme du droit des obligations belge constitue un instrument précieux dont les étudiants et les chercheurs (en particulier les doctorants) devront s’emparer pour affiner leurs analyses et leurs interprétations des mécanismes mis en place par l’ordonnance du 10 février 2016, modifiée par la loi de ratification du 20 avril 2018.
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