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Le billet
L’avoir ou pas…
A la suite d’un viol présumé d’un jeune de cité par matraque microscopique maladroitement…utilisé par un policier lors d’un contrôle d’identité, les banlieues s’embrasent, comme de bien entendu. On aurait pu alors légitimement s’attendre à ce que, entre deux scandales, notre classe politique prenne le temps de la réflexion et s’arrête sur ce problème aussi récurrent que fondamental.
Mais au lieu de cela, avec un sens du timing qui laisse pantois, le Parlement est en passe de voter une loi dont l’objectif exclusif est de satisfaire les revendications des forces de l’ordre…et qui s’inscrit dans une politique de sécurité fortement teintée d’électoralisme.
Cette loi, dite de sécurité publique, qui résonne comme « une résignation du politique à la culture de l’ordre », ainsi que l’a relevé un parlementaire de la majorité, a plusieurs volets.
D’abord, le texte aligne les possibilités d’ouverture du feu des policiers sur celles des gendarmes. Ainsi, le législateur s’apprête à satisfaire une revendication déjà ancienne des policiers qui considéraient qu’il n’y avait pas de raison qu’ils soient, sur ce point, moins bien lotis que les gendarmes, la qualité de militaire des uns ne justifiant pas une telle discrimination.
Ensuite, désormais, les policiers et les gendarmes pourront bénéficier d’une possibilité d’anonymat pour les procédures ayant pour objet des faits passibles de trois ans d’emprisonnement. La mesure, qui était jusqu’alors réservée aux affaires de terrorisme, est avantageuse pour les forces de l’ordre, dont elle assure opportunément la protection. Mais, comme l’ont dénoncé le Barreau de Paris et la Conférence des Bâtonniers, en favorisant largement l’anonymat, elle porte atteinte au principe du respect du contradictoire, dont il n’est pas utile ici de rappeler qu’il constitue une liberté fondamentale de notre procédure pénale.
Enfin, le texte prévoit l’aggravation des peines en cas d’outrage et de rébellion à l’encontre d’un agent de la force publique. Quand on sait que ce genre d’infractions est très souvent invoqué lorsque des contrôles d’identité ou des interpellations plus ou moins bien fondées tournent mal, on pressent que cette mesure constitue une véritable aubaine pour les forces de l’ordre.
Qu’on ne se méprenne pas sur le sens de notre propos. Il ne s’agit pas de contester dans leur principe les mesures que comporte la future loi. Leur légitimité, leur bien-fondé, leur opportunité peuvent se réclamer du malaise des forces de l’ordre et de la nécessité de protéger celles-ci, qui ont elles aussi, ces derniers temps, payer un large tribut à la violence. Simplement, on peut regretter l’absence de sens du timing dont fait preuve le législateur en votant cette loi marquée du sceau de la sécurité et fortement teintée de relents électoralistes. On peut, en effet, douter qu’alors que des policiers, certes présumés innocents, sont suspectés d’avoir commis de graves actes de violences, le moment était bien choisi pour voter une loi qui n’a pas d’autre objet que d’assurer leur sécurité. Il faudra vraiment faire preuve de beaucoup de pédagogie pour expliquer aux jeunes des cités et des banlieues qui, à tort ou à raison, se plaignent du comportement des policiers à leur égard, que c’est la situation de ces derniers qui retient actuellement l’attention exclusive du législateur.
Oh, bien sûr, Monsieur « Moi Président » vient d’annoncer qu’il allait sortir de son palais présidentiel, franchir le périphérique et partir à la rencontre des jeunes des cités. A quelques semaines de l’échéance de son mandat, il était peut-être temps… et on doute qu’il reçoive un accueil très chaleureux de la part de ceux qu’il a, avec son gouvernement, superbement ignorés pendant des années. Il ne pourra s’en prendre qu’à lui-même et méditer sur la formule « avoir le sens du timing ou pas… ».
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