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Le 3e tour de la formation d'un Gouvernement : organisation des cabinets et décrets d'attribution
Pour le grand public, la formation d'un nouveau Gouvernement s'arrête avec la longue liste des ministres et de l'intitulé de leur ministère, annoncée sur leur perron du Palais de l'Élysée. Mais dans la sphère politico administrative, c'est à ce moment-là que tout commence. C'est qu'au-delà de l'affichage que constituent l'ordre protocolaire et les intitulés plus ou moins novateurs des départements ministériels, il va s'exercer, entre Matignon et les ministres, entre les ministres eux-mêmes, ou entre les ministres de plein exercice et ceux qui sont délégués auprès d'eux, des guerres de territoires et d'attributions qui vont révéler les véritables poids politiques des membres du Gouvernement, de la marge de manœuvre qui leur sera laissée.
Essayons de décrire, schématiquement, les principaux axes de ces stratégies.
1. Mise en tutelle ou liberté surveillée : le choix de son directeur de cabinet
Premier acte, essentiel, il s'agit de la manière dont un ministre va pouvoir choisir son directeur de cabinet, ou va être obligé d’accepter un choix qui lui est imposé. C'est que le directeur de cabinet va jouer dans l'avenir un rôle essentiel pour le ministre. C'est lui qui dirigera les conseillers du cabinet, lui qui mènera la mise en musique de la politique ministérielle, assurera l'interface aussi bien avec Matignon qu'avec les directeurs d'administrations centrales du ministère.
Avoir le libre choix de son directeur de cabinet, dans ce contexte, est l'apanage des ministres puissants : cela témoigne soit de la confiance que leur fait le Premier ministre, soit du rapport de force qu'ils sont en mesure d'établir. En revanche, des ministres plus faibles politiquement, ou inexpérimentés, ou dans des domaines jugés stratégiques par l'Élysée et/ou Matignon pourront se voir imposer un directeur de cabinet qu'ils ne connaissent pas, voire dont ils peuvent douter de la fidélité à leur égard. Corinne Lepage l'avait très bien raconté en son temps : ministre de l'Environnement suspectée de tiédeur à l'égard du programme nucléaire, elle s’était vue affubler d'un directeur cabinet issu des corps techniques de l'administration qui veillait au grain !
Il arrive même, surtout pour les secrétaires d’État où les ministres délégués, que le directeur de leur cabinet soit également membre du cabinet de leur ministre de tutelle. C'est dire qu'en pareille hypothèse leur marge de manœuvre est des plus restreintes.
2. Délimitation du pouvoir : les décrets d'attribution
Une autre réalité politico administrative mal comprise tient à ce que si le nombre, l’intitulé, l’organisation, des départements ministériels changent à chaque remaniement ou constitution d'une nouvelle équipe, l'administration, elle, demeure dans des structures globalement inchangées. Autrement dit, l'habillage politique nouveau dissimulera une continuité administrative très importante.
Dès lors, pour un ministre, il est essentiel de tenter d'obtenir la maîtrise de directions ou de directions générales qui vont constituer le socle administratif de leur pouvoir. Prenons un exemple : dans le nouveau Gouvernement, ministère du Logement et ministère du « Développement durable » sont disjoints. Or, il existe au plan administratif une seule « Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature ». D'après le site du ministère « elle élabore, anime et évalue les politiques de l’urbanisme, de la construction, du logement (aménagement des espaces, politiques urbaines de l’habitat, politique de la ville, politique de la construction). Elle est également en charge des politiques des paysages, de la biodiversité et de l’eau ».
On voit donc bien les enjeux : ou bien c'est le ministère du Logement qui possède la tutelle sur cette direction, et dans ce cas il prive le ministère de l'Environnement d'un de ses principaux leviers, ou bien c'est le contraire, et l'effet inverse est opéré. Ou bien les deux ministères reçoivent une tutelle identique sur cette direction et on aura alors un effet très classique : tiraillement entre les deux ministres et arbitrages interministériels par Matignon. Autrement dit, en créant une rivalité entre deux ministères le Premier ministre les neutralise au moins partiellement et prend la main sur les dossiers.
On retrouve la même configuration et les mêmes débats au sein du ministère des Finances : soit on crée un ministère des Finances qui maîtrise la direction du budget, et dans ce cas c'est un ministère fort. Soit on crée un ministère du Budget autonome et dans ce cas, le ministre de l'Economie est considérablement affaibli.
Dans les relations entre un ministre et son ministre délégué, les relations peuvent être encore plus rudes et hiérarchiques. Ainsi, par exemple, on pouvait lire dans le décret d'attribution d'un ancien secrétaire d'État à la jeunesse « elle connaît de toutes les affaires, en matière de jeunesse et de vie associative, que lui confie le ministre de l'Education nationale, de la jeunesse et de la vie associative, auprès duquel elle est déléguée ». Voici donc un membre du Gouvernement qui n'avait même pas le choix des sujets sur lesquels il pouvait travailler !
Cette course à la compétence et aux organismes administratifs se retrouve enfin, avec l'aptitude des ministères à obtenir la mise à disposition de services à forte valeur ajoutée : services d'inspection ou d'expertise, organismes de réflexion ... Si un ministre ne peut pas s'appuyer sur la matière grise administrative, il aura du mal à sortir des projets, à se positionner par rapport à ses collègues. Bref, il sera réduit à de l'agitation médiatique pour exister ou subira la rude loi de l'oubli progressif.
On le voit, la période de répartition des attributions est une période stratégique essentielle : les gagnants seront les poids lourds de la nouvelle équipe. Les perdants auront du mal à remonter la pente. Sauf à jouer le quatrième tour après les élections législatives et le remaniement gouvernemental qui ne manquera pas de se profiler.
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