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Le « bon » samaritain, le juge et l’avocat : un mauvais remake à l’aune de la loyauté de la preuve
Vérité versus loyauté : choix cornélien pour un juriste ! Doit-on faire prévaloir la vertueuse Vérité, la fin justifiant l’emploi de n’importe quel(s) moyen(s), ou doit-on privilégier la majestueuse Loyauté, symbole d’une justice procédurale ?
Tout le droit de la preuve oscille entre ces deux vertus qu’il faut concilier. Bien qu’il existe ce qu’on appelle un fonds commun processuel, les règles probatoires varient en fonction de la nature pénale ou civile du procès. Une affaire récente apporte une raison supplémentaire de critiquer ce traitement variable de la preuve.
Dans le cadre de l’affaire mettant en cause Jean-Jacques Defaix, ancien président de l’association d’aide contre les abus bancaires de Quimper, écroué pour escroqueries, un juge d’instruction, entre le 13 et le 20 avril 2011, a fait surveiller les allers et venus de deux avocats grâce à la surveillance de leurs portables. Le 9 juin 2011, l’un d’eux, Me Christine Courrégé avocate de M. Defaix, est mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’abus de biens sociaux ». Le juge lui reproche d’avoir organisé une réunion avec son client et des conseillers financiers pour la collecte de fonds et d’avoir poursuivi les activités de son client en Chine malgré l’interdiction du juge. Rien de bien condamnable, jusqu’au moment où l’on apprend de quelle manière ce dernier s’est procuré ces informations. Si le juge a pu connaître l’existence et le contenu de cette réunion, censée être protégée par le secret professionnel de l’avocat, c’est grâce à un enregistrement réalisé de manière déloyale par l’un des participants à cette réunion clandestine, « bon samaritain » au service du juge. Ce procédé déloyal n’est-il pas condamnable ?
On peut s’interroger, tout d’abord, sur la compatibilité d’un tel procédé avec le principe du secret professionnel de l’avocat. En vertu de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères, les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ». Il est vrai, cependant, que ce principe doit aujourd’hui être relativisé, la jurisprudence admettant, notamment, la captation et la retranscription, dès lors que le contenu de la conversation est de nature à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.
Plus grave est l’atteinte a priori portée à un principe fondamental du droit de la preuve : le principe de loyauté. En procédure civile, la loyauté l’emporte sur la poursuite de la vérité. Ainsi les preuves obtenues de manière illégale ou déloyale sont irrecevables. Le caractère fondamental de ce principe justifie qu’il ait été récemment étendu à la procédure devant l’autorité de la concurrence (Ass. plén. 7 janv. 2011, Sté Philips France). L’important n’est pas de trouver mais la manière de chercher.
Malgré la sagesse d’une telle devise, elle n’est pas (entièrement) partagée par la procédure pénale. En effet, en la matière, seules les autorités publiques sont soumises à cette exigence de légalité et de loyauté de la preuve (Crim. 4 juin 2008). Les particuliers, y compris un tiers à la procédure, peuvent adresser au juge un ensemble de preuves obtenues de manière déloyale. Reste que si le particulier a agi à l’instigation d’une autorité publique pour provoquer l’infraction, la déloyauté rend de nouveau la preuve irrecevable (Crim. 9 août 2006). La justification d’une telle recevabilité résiderait dans une contribution des particuliers à l’intérêt général. Cependant comme le souligne M. Ph. Comte, « ce que la société refuse aux policiers ou aux juges en dépit de l'intérêt général, elle ne peut l'accorder aux parties civiles au nom du même intérêt ». Quant au droit à la preuve de la victime, s’il est concevable, il ne devrait profiter ni aux témoins ni aux tiers. Enfin, l’effet pervers d’une telle règle est la tentation, fréquente en pratique, qu’un juge instructeur passe par l’intermédiaire d’une personne privée afin de surmonter l’obstacle auquel sont confrontées les autorités publiques. C’est de cette manière que semble avoir procédé le juge d’instruction dans cette affaire. Grâce à l’aimable participation de ce « bon » citoyen, le juge a pu se procurer le compte-rendu d’une réunion entre un avocat et son client.
L’affaire n’en restera pas là. Me Christine Courrégé a été placée sous contrôle judiciaire et a interdiction de voir son ancien client, qui a dû changer de défenseur. Maîtres Yann Choucq, Catherine Glon et François Saint-Pierre considèrent qu’il s’agit d’ « une atteinte grave au libre choix de son défenseur par une personne accusée » et ont introduit deux recours : un appel contre l’ordonnance de mise en examen et un recours en nullité de la procédure dans son ensemble.
Cette affaire confirme, une fois de plus, qu’il serait temps d’harmoniser les procédures. La vérité n’est pas plus essentielle en matière pénale qu’en matière civile. Le « droit à la loyauté » devrait être le même pour tous, spécialement dans un domaine où les droits et les libertés fondamentaux sont menacés. Cette exigence de loyauté est d’autant plus pressante dans le procès pénal qu’on envisage d’en renforcer le caractère accusatoire. Si les parties sont amenées, à l’avenir, à se livrer plus souvent à des investigations privées, ne serait-il pas opportun d’encadrer, un tant soit peu, cette quête de vérité qui risquerait de conduire à de nombreux dérapages (sur ce point, Le rapport du comité de réflexion sur la justice pénale, remis le 1er septembre 2009) ?
Dans ce monde de doute permanent qu’est le procès, il faut rappeler que le résultat importe moins que le respect des règles du jeu. Le sport est là pour nous le rappeler : la « main de dieu » mène le plus souvent à une victoire amère. Il faut raison garder et inviter le législateur à restaurer toute sa place au principe de loyauté sans distinction de procédure. Vérité sans loyauté ne vaut ! Telle devrait être la devise en matière probatoire.
Références
■ Article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques
« En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.
Ces dispositions ne font pas obstacle, à compter de la conclusion d'un contrat de fiducie, à l'application à l'avocat qui a la qualité de fiduciaire, de la réglementation spécifique à cette activité, sauf pour les correspondances, dépourvues de la mention " officielle ", adressées à cet avocat par un confrère non avisé qu'il agit en cette qualité.
Le présent article ne fait pas obstacle à l'obligation pour un avocat de communiquer les contrats mentionnés à l'article L. 222-7 du code du sport et le contrat par lequel il est mandaté pour représenter l'une des parties intéressées à la conclusion de l'un de ces contrats aux fédérations sportives délégataires et, le cas échéant, aux ligues professionnelles qu'elles ont constituées, dans les conditions prévues à l'article L. 222-18 du même code. »
■ Ass. plén. 7 janv. 2011, n° 09-14.316 et 09-14.667, P+B+R+I, Sté Philips France.
■ Crim. 4 juin 2008, Bull. crim., n° 141.
■ Crim. 9 août 2006, Bull. crim., n° 202.
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