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Le casse-tête des procurations
Il ressort parfois des crises des conséquences inattendues, dont l’une peut apparaître paradoxale : l’amélioration sensible du « taux de présence » des membres élus dans les réunions des différentes instances des universités et la baisse concomitante des procurations. Cette constatation vaut sans doute pour nombre d’établissements publics et autres structures. La procuration est sans nul doute un mécanisme utile, puisqu’il permet d’assurer une participation d’un membre à une instance, sans qu’il soit présent. Il confie à un autre membre un mandat, lui permettant de se prononcer par vote en son nom.
Le recours à la procuration a pour effet de garantir que le quorum est atteint et que la réunion pourra se tenir. Les décisions à l’ordre du jour pourront alors faire l’objet d’une délibération. Cependant, les procurations lorsqu’elles se multiplient dévoient l’essence même de ces instances qui doivent être un lieu de débat, d’échanges, mais qui ont aussi pour rôle d’amender parfois les textes proposés avant vote. Les procurations affaiblissent la diversité des positions et surtout semblent pour partie inappropriées par rapport au contenu des compétences et des pouvoirs confiés à ces différentes instances. De manière schématique, les questions mises à l’ordre du jour des instances, quel que soit l’établissement ou la structure, peuvent être classées en deux grandes catégories :
- la première est relative à des sujets qui peuvent être appréhendés comme des questions fermées, se limitant à l’approbation d’un texte ou d’une décision qui ne peut faire l’objet de modifications. Les éléments étant connus en amont de la réunion, le porteur de la procuration à la tâche facile, la consigne de vote ayant pu être clairement donnée ;
- la seconde catégorie est celle où les échanges vont avoir une incidence sur le vote, puisqu’ils sont indispensables à la prise de connaissances du point à l’ordre du jour et à sa compréhension complète. Dans cette seconde catégorie entrent les dossiers qui sont présentés par des rapporteurs, ces derniers ayant à charge d’exposer le contenu et d’émettre un avis. Seule cette écoute permet de voter de manière éclairée, les consignes de vote préalable sont dès lors moins pertinentes. Il en est de même dans les cas où un vote intervient après une audition de candidats pour une fonction élective. Comment le membre à l’origine de la procuration pourrait-il donner des consignes de vote sans avoir entendu les candidats, sauf à considérer que cette procédure est formelle ? Dans cette hypothèse, la légitimité des décisions est nécessairement posée, d’autant plus lorsque le nombre de procurations est supérieur au nombre de membres présents, hypothèse où chaque présent peut détenir jusqu’à deux procurations.
Parallèlement, la procuration conduit à modifier le lien entre le membre élu et les représentés, dès lors que la procuration déleste de la responsabilité du vote, le mandataire étant celui qui vote réellement et qui devra assumer le choix des votes.
Différents moyens sont disponibles pour remédier à cette situation, comme le prévoit déjà parfois la loi dans certaines situations. Ainsi, il pourrait être systématiquement prévu le respect d’un quorum établi à partir des personnes présentes, sans prendre en compte les procurations détenues pour ouvrir la réunion. Dans le cas d’une élection interne, fondée sur l’audition de candidats devant l’instance, il devrait être possible d’écarter le vote par procuration. Enfin lorsque certaines questions ont une incidence sur l’ensemble des personnes travaillant au sein de l’établissement, voire sur les usagers, ils devraient être sans doute imposés qu’un minimum de représentants de chaque catégorie d’électeurs soient réellement présents. En l’absence de quorum, il pourrait être envisagé que le blocage ne soit que temporaire, ouvrant la voie à la convocation d’une seconde réunion dans les délais de huit ou quinze jours, sans quorum exigé cette fois. Cette règle est déjà appliquée pour certaines structures, elle devrait être généralisée.
Ces mécanismes auraient le mérite de responsabiliser les élus. Pour une meilleure présence, il faudrait également réfléchir à l’organisation des établissements, dont le fonctionnement conduit à multiplier le nombre de réunions des instances et les prises de décisions. La disponibilité ne peut être permanente. Peut-être faudrait-il aussi maintenir la possibilité de participer par voie de visioconférence aux réunions.
Cette phase de la crise sanitaire a pu conduire à une prise de conscience, qui ne doit pas être une parenthèse. Elle doit au contraire être un tremplin pour modifier le cadre juridique, de manière à restreindre les procurations, et à améliorer nos pratiques afin de ne pas nuire à l’élaboration et à la validité de la norme pour qu’elle soit acceptée et appliquée au sein de toute organisation.
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