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Le choix des ordonnances : déni ou appel à la démocratie ?
Emmanuel Macron n’a pas caché son souhait de recourir aux ordonnances pour agir vite une fois élu et entreprendre une réforme du droit du travail. Le débat n’a pas tardé sur les conséquences de ce choix et il s’est cristallisé sur l’incarnation d’une nouvelle forme de déni de démocratie après une utilisation décriée du « 49, al. 3 » sous la dernière législature et l’exclusion du Parlement. Il nous semble pour autant que le problème de fond réside plutôt dans le constat des limites de l’équilibre entre pouvoirs dans un régime parlementaire majoritaire qui offre tout l’espace à un « excès d’exécutif ».
Au titre de la Constitution de 1958, le pouvoir législatif incarné par l’Assemblée nationale et le Sénat est compétent pour voter la loi alors que le pouvoir exécutif (Président de la République et Gouvernement) agit par la voie réglementaire à travers notamment l’adoption de décret. L’étendue des compétences normatives de ces pouvoirs est précisée par la Constitution : l’article 34 énumère précisément les matières dans lesquelles la loi peut intervenir et l’article 37 prévoit que « les matières autres que celles qui sont du domaine de la loi ont un caractère réglementaire ».
Cette répartition des compétences est soumise au respect de la hiérarchie des normes qui accorde une valeur juridique aux différentes normes pouvant être adoptées et au titre de laquelle la loi a une valeur supérieure au règlement. L’article 38 de la Constitution bouleverse cette organisation en permettant au Gouvernement d’agir par ordonnances dans les domaines initialement réservés à la loi par l’article 34. Ce n’est pas une nouveauté introduite par la Constitution de la 5ème République. Au cours des Républiques précédentes, le pouvoir exécutif a fréquemment eu recours aux ordonnances, dénommées alors « décret-loi » quand bien même l’article 13 de la Constitution de 1946 en interdisait l’usage.
La procédure des ordonnances est encadrée par le texte constitutionnel en ces termes :
« Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi.
Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse.
A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. »
■ Une « loi » du Gouvernement sans l’avis du Parlement ?
La principale critique avancée pour contester le choix des ordonnances s’est centrée sur l’idée que les ordonnances permettraient au Gouvernement de légiférer sans passer par le Parlement. C’est une version raccourcie et erronée de la procédure de l’article 38. En effet, le Gouvernement n’agit pas comme il le souhaite et sans cadre. Au contraire, le Parlement doit tout d’abord voter une loi d’habilitation autorisant le Gouvernement à agir dans les domaines de la loi pendant un temps limité et, une fois ce délai écoulé, il doit ensuite ratifier de manière expresse les ordonnances par le biais d’une nouvelle loi dite loi de ratification. Cette seconde étape est essentielle. Si le Gouvernement ne veut pas voir les ordonnances frappées de caducité, il doit veiller à présenter le projet de loi de ratification au Parlement dans le délai fixé par la loi d’habilitation.
Cela signifie donc que le Parlement se prononce par deux fois sur l’action du Gouvernement dans les matières législatives et peut discuter de l’étendue de l’habilitation (voire même la refuser) ainsi que du contenu des ordonnances lors de ces deux étapes qui rythment la procédure de l’article 38. En conséquence, le Parlement n’est pas exclu de cette procédure, du moins pas formellement.
■ Une « loi » du Gouvernement pour conquérir le Parlement ?
L’intérêt de recourir aux ordonnances réside donc ailleurs et sans doute dans la rapidité d’action qu’elles offrent au Gouvernement. En effet, une fois la loi d’habilitation votée, les ordonnances entrent en vigueur après avoir respecté une série de formalités qui ne pose aucune difficulté dès lors que la cohésion existe au sein de l’exécutif (ce qui n’a pas été le cas en 1986 en période de cohabitation lorsque François Mitterrand a refusé de signer les ordonnances présentées par le Gouvernement de Jacques Chirac) : elles doivent être soumises pour avis au Conseil d’État, prises en Conseil des ministres, signées par le Président de la République au titre de l’article 13 de la Constitution puis publiées au Journal officiel.
A travers ce constat de rapidité et l’annonce anticipée par rapport aux élections législatives de recourir aux ordonnances, le nouveau Chef de l’État adresse un message de fermeté aux citoyens dans le but de conquérir la majorité absolue à l’Assemblée nationale et de contenir les futurs débats parlementaires et citoyens.
En effet, l’objectif poursuivi est certes la réforme du droit du travail mais c’est aussi, et surtout, la séduction d’une partie de l’électorat qui serait encore hésitante à soutenir le parti présidentiel et la transparence de ses positions. Les cartes sont distribuées : si les électeurs soutiennent les candidats de La République En Marche aux législatives, ils offrent au Président un soutien qui pourrait être sans faille à l’Assemblée. Il deviendra donc difficile pour les électeurs, de contester ensuite les réformes engagées et, pour les députés du parti présidentiel, de ne pas soutenir l’action gouvernementale que ce soit à travers les votes des lois d’habilitation et de ratification des ordonnances que dans le cadre de la procédure législative ordinaire.
En conséquence, nous ne sommes pas face à un déni de démocratie comme cela a pu être avancé suite à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution par le Gouvernement Valls puisqu’ici il ne s’agit pas de contraindre le vote de la chambre mais le débat en amont des élections et en aval. Nous sommes donc plutôt face à un appel à la démocratie puisque le choix des ordonnances sur la réforme du travail devrait sur le court terme nous responsabiliser dans nos vies de citoyens face aux urnes et sur le long terme, nous interroger sur l’équilibre des pouvoirs dans un régime parlementaire majoritaire et les limites du contrepoids parlementaires qui laisse à l’exécutif toute la latitude d’action qu’il souhaite.
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