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Le billet
Le Conseil constitutionnel continue de filtrer le moustique et laisse passer le chameau.
Nouvelle illustration de la célèbre formule de Jean Rivero, la décision du 9 novembre 2021 relance la réflexion sur le rôle de la justice constitutionnelle en général, en France en particulier, et sur la vitalité démocratique de nos institutions. Elle soulève un certain malaise puisqu’il est impossible de se réjouir de cette non-conformité partielle quand les dispositions les plus discutables de la loi sont validées à la suite d’un raisonnement classique désormais mais toujours peu convaincant.
Connue pour avoir commenter la décision n° 80-127 DC du 20 juin 1981 sur la loi dite Sécurité Liberté – et profitons de ce rappel pour noter que le débat sécurité/liberté était déjà présent au début des années quatre-vingt – la formule avait permis à Jean Rivero de souligner que la censure de quelques dispositions législatives ne devait pas faire oublier que les juges de la rue Montpensier avaient validé tout le reste du texte et par ainsi, une évolution certaine de la politique pénale en France. En d’autres termes, le doyen Rivero préconisait de rester prudent face à une déclaration de non-conformité partielle de la loi.
Reprise par certains commentateurs de la décision n° 2015-713 DC du 23 juillet 2015 – alors que le débat sécurité/liberté était relancé en France suite aux attentats du mois de janvier – la formule peut être de nouveau exploitée ici alors que le débat est sorti du champ strictement sécuritaire pour aller se mêler au terrain sanitaire.
Un projet de loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire a été déposé par le Gouvernement au bureau de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2021. Sans grande surprise, la procédure accélérée a été engagée sur le texte. Les débats au sein des deux assemblées parlementaires ont été très vifs, tout au long de la procédure et sur plusieurs articles du texte. Conformément à la possibilité offerte à l’article 45, alinéa 4 de la Constitution, une commission mixte paritaire a été convoquée dès la fin de la première lecture, le 29 octobre. En nouvelle lecture, le Sénat a simplement rejeté le texte sans en débattre en votant une motion préalable comme le lui autorise l’article 44, alinéa 3 de son règlement. Le texte a donc été soumis à l’Assemblée nationale en lecture définitive. Le scrutin, organisé avec 208 votants, a permis de recenser 118 voix pour l’adoption et 89 contre.
Une adoption assez « molle » donc, prévisible toutefois et qui justifie quatre saisines du Conseil constitutionnel (deux saisines par deux groupes de députés et deux saisines par deux groupes de sénateurs).
Si la décision n° 2021-828 DC du Conseil constitutionnel mérite un commentaire détaillé, elle a cependant déjà fait les premiers titres pour souligner la censure de l’article qui autorisait l’accès des directeurs d’établissement aux informations médicales relatives aux élèves et le traitement de ces informations. Le cadre trop flou qui encadrait cette autorisation et les garanties insuffisantes relative au secret médical ont conduit le Conseil a jugé que l’article 9 de la loi portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.
Or, si la censure est à noter, elle n’a d’une part rien de surprenant et elle est même inquiétante. En effet, la jurisprudence du Conseil met en avant que, de plus en plus fréquemment, il se contente de vérifier le degré de précision des mesures aménageant les droits et la présence de garanties pour évaluer la constitutionnalité d’un article. Il veille en quelque sorte à ce que le législateur prévoit bien une sorte de « base » minimale. Peu surprenante donc, ce faible degré de contrôle de la part du juge constitutionnel inquiète car il exprime implicitement que le Conseil constitutionnel se limite à une vision théorique de l’État de droit : il valide un texte dès lors que le législateur a bien prévu les garanties « suffisantes » pour compenser l’aménagement des droits soit un recours juridictionnel, et que le cadre de l’aménagement des droits est globalement précis pour éviter l’arbitraire de la part de l’autorité compétente. Or, la réalité est bien différente comme le détaille parfaitement Paul Cassia dans une contribution extérieure reçue au greffe du Conseil le 6 novembre 2021, dans laquelle il développe le lien entre le recours juridictionnel effectif et la séparation des pouvoirs en période de circonstances exceptionnelles. Une autre illustration de cette vision théorique se retrouve aux paragraphes 19 et 20 de la décision lorsque le Conseil décrit la fonction de contrôle du Parlement. C’est à nouveau la confrontation entre théorie et réalité qui saute aux yeux du lecteur puis le constat d’un juge constitutionnel qui se focalise sur une vision très idéalisée de nos institutions.
Enfin, la décision de non-conformité est surtout trompeuse car elle finit par occulter la banalité de l’argumentation qui conclut à la constitutionnalité des deux autres articles tant débattus au Parlement (art. 1er, durée de la prolongation de l’état d’urgence sanitaire et art. 2, maintien du « passe sanitaire ») qui mériteraient un débat de fond, en dehors du seul Parlement.
En effet, c’est toujours sur la base d’un raisonnement identique que le Conseil constitutionnel conclut que le législateur n’a pas méconnu « l’étendue de sa compétence ni aucune autre exigence constitutionnelle » en maintenant le cadre juridique de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 juillet 2022 ou encore que les dispositions prolongeant le passe sanitaire « opèrent une conciliation équilibrée entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République ». Certes, le contrôle de constitutionnalité en France est abstrait.
Cependant, il serait très utile de repenser l’office du Conseil constitutionnel au prisme de l’essence de la justice constitutionnelle et la réalité au risque de le confirmer dans un rôle de gardien « mou » des valeurs de la Constitution en période de crise, entourés de chameaux.
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