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[ 27 septembre 2021 ] Imprimer

Le débat sur la légitimité de la Cour de justice de la République relancé

La mise en examen de l’ancienne ministre de la santé par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République soulève de nouveau la question du jugement des politiques en démocratie. C’est l’occasion de revenir sur une juridiction peu connue dont la suppression est régulièrement proposée.

Issus de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993, les articles 68-1 et 68-2 de la Constitution organisent la responsabilité pénale des membres du Gouvernement. Ces derniers sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés de crime ou délit par le Code pénal. C’est la Cour de justice de la République (CJR) qui est compétente pour les juger. Cette juridiction est composée de douze parlementaires élus au sein de chaque chambre, en nombre égal, et de trois magistrats du siège de la Cour de cassation. Un de ces trois magistrats préside la Cour. 

La procédure devant la Cour de justice de la République est précisée par les articles 13 et suivants de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993. Tout particulier qui s’estime lésé par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l’exercice de ses fonctions, peut déposer une plainte auprès de la commission des requêtes qui va examiner les faits reprochés au ministre et apprécier les suites à donner à la plainte. La commission des requêtes est composée de sept magistrats (de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes). Elle peut faire procéder à toutes les investigations utiles conformément aux prévisions du code de procédure pénale. Elle sert de filtre puisqu’à l’issue de cette première phase, la commission des requêtes peut soit classer la plainte sans suite, soit poursuivre la procédure en transmettant la plainte au procureur général près la Cour de cassation afin de saisir le Cour de justice de la République. Une deuxième étape s’ouvre si la plainte est déclarée recevable. Elle va être traitée par une commission d’instruction, composée de trois magistrats de la Cour de cassation. C’est après avoir entendu les plaignants et la ou les personnes visées par la plainte que cette commission décide de la ou les renvoyer devant la Cour de justice de la République.

C’est à ce stade que se trouve Agnès Buzyn. Parmi les plaintes déposées auprès de la commission des requêtes à compter de mars 2020 mettant en cause le Gouvernement dans la gestion de la crise sanitaire, neuf ont été regroupées par le parquet général près la Cour de cassation aux fins d’ouvrir, en juillet, une information judiciaire qui a été confiée à la commission d’instruction de la Cour de justice de la République pour le chef d’abstention de combattre un sinistre (C. pén., art. 223-7). 

Elle n’est pas la seule ministre à être visée par des plaintes mais elle est la première a avoir été convoquée devant les juges de la commission d’instruction. A l’issue de son audition le 10 septembre dernier, elle a été mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui » et placée sous le statut de témoin assisté pour « abstention volontaire de combattre un sinistre ». L’instruction se poursuit désormais afin de relever si des indices graves et concordants permettent d’établir la responsabilité de l’ancienne ministre et de la renvoyer, ou pas, devant la formation de jugement de la Cour de justice de République.

La procédure est d’ores et déjà très commentée : critiquée par certains, qui y voient une justice politique ou une perte de temps ; soutenue par d’autres qui considèrent qu’il est normal que la procédure suive son cours en vertu des règles du jeu démocratique.

Cette opposition de point de vue relance le débat de la légitimité de cette instance juridictionnelle. Créée en 1993 pour essayer de trouver un juste équilibre entre liberté d’action politique et responsabilité pénale des membres de l’exécutif, la Cour de justice de la République a rendu six jugements qui ont le plus souvent déçus les citoyens. En effet, les condamnations faibles des ministres et des secrétaires d’État ont conforté l’idée d’une protection excessive de la classe politique et donc, d’une justice à deux vitesses. François Hollande puis Emmanuel Macron ont proposé de la supprimer pour permettre aux ministres d’être jugés par les juridictions pénales de droit commun (projet de loi constitutionnelle du 14 mars 2013) ou par la Cour d’appel de Paris (projet de loi constitutionnelle du 29 août 2019). Ces projets n’ayant pas abouti, il est possible que les affaires en cours remettent en exergue les contradictions de cette juridiction et que son avenir se rediscute pendant la campagne présidentielle.

 

Auteur :Karine Roudier


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