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[ 24 juin 2019 ] Imprimer

Le délicat équilibre entre la protection de la fonction présidentielle et l’égalité des citoyens devant la justice

Nicolas Sarkozy sera finalement jugé dans plusieurs mois, dans le cadre de l’affaire dite « des écoutes ». Il sera le premier Président de la Ve République à être jugé pour corruption. Depuis la fin de son mandat, il a été cité dans plusieurs procédures judiciaires et visé par différents actes d’instruction, conformément au régime de responsabilité du Président de la République française. Ce renvoi devant le tribunal correctionnel, suite à la décision de la Cour de cassation le 18 juin, nous donne l’occasion de revenir sur le statut pénal du chef de l’État et les problématiques que soulève la responsabilité de la classe politique.

Ce sont les articles 67 et 68 de la Constitution qui organisent le régime de responsabilité du chef de l’État qui a été révisé par la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007 comme l’avait promis le candidat Chirac lors de la campagne pour sa réélection.

Conformément à la tradition des régimes parlementaires, l’article 67, alinéa 1er réaffirme l’irresponsabilité présidentielle pour tous les actes accomplis par le chef de l’État en cette qualité. Cette irresponsabilité politique subsiste à l’issue du mandat pour cette catégorie d’actes. Ensuite, pour les actes non liés aux fonctions présidentielles, l’article 67, alinéa 2, confirme le principe d’inviolabilité pendant la durée du mandat. Le président ne peut, « devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. » Comme le dit Robert Badinter, le Président est « mis sous globe » pendant son mandat. C’est donc bien dans un esprit de protection que le régime de responsabilité a été conçu.

L’article 67 de la Constitution prévoit cependant des exceptions à ce principe de protection. Tout d’abord, l’irresponsabilité prévue pour les actes accomplis en qualité de Président cède en cas de génocide, crime contre l’humanité ou de guerre conformément à l’article 53-2 de la Constitution. qui reconnaît la compétence de la Cour pénale internationale. Elle cède également dans l’hypothèse d’une destitution, organisée à l’article 68 de la Constitution et par la loi organique du 24 novembre 2014 (adoptée tout de même sept ans après la révision). Le Président de la République peut être destitué « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour… ». Ensuite, le principe d’inviolabilité a bien une durée d’action limitée au mandat présidentiel. Un mois après la fin de son mandat, le Président redevient un citoyen ordinaire. Il peut alors faire l’objet de tout acte de procédure et être jugé par les juridictions de droit commun. La reprise de la vie judiciaire est rendue possible par la suspension des délais de prescription et de forclusion pendant la durée du mandat, en vertu de l’article 67, alinéa 2 de la Constitution.

Ainsi repensé en 2007, ce régime s’articule donc autour des principes d’irresponsabilité et d’inviolabilité qui sont dits « fonctionnels » car ils sont destinés à protéger la fonction présidentielle et non le titulaire de la fonction. La frontière est évidemment étroite et soulève régulièrement des débats.

Depuis le 15 juin 2012, soit un mois après la fin de son mandat, l’ancien Président Nicolas Sarkozy a été impliqué dans plusieurs affaires judiciaires (affaire Bettencourt, affaire dite « Bygmalion », financement illégal de sa campagne électorale et recel de fonds publics libyens, usage régulier d’argent liquide en grosses coupures). Dans l’affaire dite « des écoutes », il est soupçonné d’avoir demandé des informations secrètes à un magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, dans une procédure concernant la saisie de ses agendas en marge de l’affaire Bettencourt. Ces demandes auraient été faites par l’intermédiaire de son avocat, Thierry Herzog, en contrepartie d’un poste à Monaco que le magistrat n’a finalement pas obtenu. Ces actions ont été révélées par des écoutes téléphoniques des conversations entre l’ancien Président et son avocat, écoutes diligentées dans le cadre de l’affaire du financement libyen de la campagne présidentielle de 2007. À l’issue de l’instruction, les juges ont suivi les réquisitions du parquet national financier (PNF) et ont décidé la tenue du procès de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert pour les mêmes chefs d’inculpation, « corruption » et « trafic d’influence ». Les trois hommes ont déposé un recours contre les réquisitions du PNF et contre la décision des juges de les renvoyer en correctionnelle, devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris. Ces recours rejetés, ils se sont pourvus en cassation. Le 18 juin, la Cour de cassation a elle-même rejeté les recours. Le procès aura donc bien lieu.

L’ensemble de ces poursuites interroge sur le bien-fondé et l’étendue du régime de responsabilité présidentielle. En effet, le principe même d’irresponsabilité politique du Président se justifie traditionnellement dans un régime parlementaire en raison de son origine monarchique puis du rôle effacé que ce régime confère au chef de l’État. Elle est officialisée par la règle du contreseing et le transfert de la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement. Ce principe d’irresponsabilité n’a jamais soulevé de débats dès lors que le président règne mais ne gouverne pas comme le veut la formule. Sous la Ve République cependant, le Président est sorti de ce rôle effacé. En conséquence, l’irresponsabilité politique a régulièrement été critiquée et la polémique a pris une teneur particulière avec l’arrivée de Jacques Chirac à l’Elysée.

Malgré la révision de 2007, le régime reste à parfaire notamment afin de résoudre d’une part, le paradoxe entre un Président inviolable pendant son mandat mais acteur en justice (Nicolas Sarkozy l’a amplement démontré : demande d’arrêt de la commercialisation d’une poupée vaudou à son effigie, plainte contre le Nouvel Obs suite à la publication d’un sms envoyé à son ex-épouse, référé contre Ryanair, etc.) ce qui serait une atteinte aux règles du procès équitable et exigerait que le principe d’inviolabilité soit levé du statut présidentiel. D’autre part, c’est un éternel tiraillement que de vouloir protéger le Président, Chef de l’État, garant de l’indépendance judiciaire au titre de l’article 64 de la Constitution d’une quelconque procédure juridictionnelle qui pourrait être le fait d’une manœuvre visant à le déstabiliser politiquement sans pouvoir tolérer pour autant que la protection ne le fasse se sentir au-dessus des lois. François Hollande avait fait de ce paradoxe un thème de campagne : « Président de tout, chef de tout, responsable de rien.» (La commission sur la rénovation et la déontologie de la vie publique présidée par Lionel Jospin, avait proposé de supprimer l’inviolabilité du Président au cours de son mandat pour les actes sans lien avec la fonction. Le projet de loi constitutionnelle présenté en ce sens en Conseil des ministres le 13 mai 2003 s’est toutefois limité à la levée de l’immunité présidentielle au civil. Il a finalement été abandonné.). Emmanuel Macron en a abusé après les révélations des actions d’Alexandre Benalla en se disant responsable et en proposant que « l’on aille le chercher » alors qu’il se sait intouchable. Les exemples se succèdent donc pour rappeler que le régime de responsabilité du Président et la moralisation de la vie politique reposent sur des équilibres éthiques et déontologiques bien délicats.

 

Auteur :Karine Roudier


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