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Le billet

[ 19 septembre 2016 ] Imprimer

Le droit de l’environnement est dans l’air du temps…

 

Un vent de réformes souffle sur le droit de l’environnement depuis quelques mois. En toile de fond réapparaît le débat sur la construction d’un droit privé de l’environnement amenant les acteurs privés et les acteurs publics à collaborer au service d’une nouvelle gouvernance écologique.

1. Écologisation du droit civil et privatisation du droit de l’environnement. Qu’on ne s’y trompe pas, il n’est pas question dans ces quelques lignes d’une énième réflexion sur la pollution du droit civil par le droit de l’environnement ou sur la « marchandisation » du droit de l’environnement par le droit privé. L’objectif est de penser un droit transversal de l’environnement, de concevoir l’intérêt général environnemental comme le résultat d’un certain arbitrage entre les intérêts privés et publics. Ce « nouveau » droit de l’environnement prend la forme d’une dialectique. Deux réformes mettent en lumière cet enrichissement réciproque : l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations  et la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. D’un côté, le droit de l’environnement est mis à l’épreuve d’une réforme fondamentale du droit privé. De l’autre côté, le droit privé est mis à l’épreuve d’une réforme fondamentale du droit de l’environnement.

2. Le droit de l’environnement à l’épreuve de l’ordonnance du 10 février 2016. Beaucoup ont à ce jour déjà écrit sur les incidences directes et indirectes de l’ordonnance du 10 février 2016 sur les différentes branches du droit : droit des sociétés, droit du travail, droit d’auteur, droit de la distribution, droit bancaire, droit des assurances, droit de la propriété industrielle et même droit de la famille… Le droit de l’environnement n’échappe pas à ce jeu d’influence. Il peut d’autant plus difficilement y échapper qu’on observe depuis de nombreuses années une privatisation du droit de l’environnement au moyen notamment de la technique contractuelle. Sans exhaustivité, plusieurs dispositions phares de la réforme du droit des obligations pourraient à la fois enrichir et perturber la boîte à outils des environnementalistes.

L’enrichissement réside, tout d’abord, dans la consécration de la cession de dette (C. civ., art. 1327 s., en vigueur le 1er oct. 2016). Cette opération translative devrait à l’avenir s’avérer très utile dans les ventes de sites pollués afin de permettre, sous réserve des règles spéciales (notamment applicables aux installations classées pour la protection de l'environnement : ICPE), le transfert d’une dette environnementale à un tiers acquéreur ou à un aménageur-dépollueur. En outre, les rapports entre un bailleur et un preneur exploitant une activité polluante (ICPE ou non) vont également se trouver enrichis par l’article 1195 du nouveau Code civil sur la révision pour imprévision. Le changement imprévisible de la réglementation environnementale au moment de la conclusion du contrat qui rend l’exécution excessivement onéreuse n’est pas rare. Le même intérêt existe dans les grands projets immobiliers de construction pour lesquels le changement de la norme environnementale peut s’avérer très coûteux. Que l’on songe encore à l’article 1100 alinéa 2 du Code civil qui dispose que les obligations naissent également de l’exécution volontaire ou de la promesse d’exécuter un devoir de conscience envers autrui. Cette disposition ne pourrait-elle pas permettre de « juridiciser » un certain nombre d’engagements « purement éthiques » pris par certaines multinationales dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises ? Interprétation audacieuse mais qui est juridiquement fondée. L’article 1132 du nouveau Code civil qui traite de l’erreur sur les qualités substantielles de la prestation ne pourrait-il pas demain fonder, lorsque le passif environnemental de la société est très important, la nullité d’une cession de droits sociaux. Certes, la nullité est pour le moment dans ce cas de figure exclue, mais l’utilisation du mot « prestation » ne pourrait-il pas inviter les juges à une prise en considération plus importante de l’actif et du passif de la société dont une partie ou la totalité des parts est cédée ? L’interprétation serait surprenante mais l’idée n’est pas saugrenue.

A vrai dire, l’ordonnance du 10 février 2016 va surtout être une source de perturbation. Commençons par aborder l’article 1112-1 du nouveau Code civil qui prévoit une obligation précontractuelle d’information. Dans les hypothèses où le Code de l’environnement ne prévoit pas d’obligation d’information spéciale, ne peut-on pas combler ce vide en se référant à cet article pour obliger le vendeur à informer l’acquéreur de l’existence d’un site pollué ou potentiellement pollué. On pense à la vente d’une ICPE en cours de fonctionnement qui n’a donc pas encore cessé son activité (inapplicabilité de l’article L. 514-20 C. envir.), à la vente d’une ICPE simplement déclarée pour laquelle l’article L. 514-20 n’est pas applicable, à la cession d’un fonds de commerce ou à une cession de droits sociaux pour laquelle il n’existe pas d’obligation spéciale d’information. On pense encore aux ventes opérées par le liquidateur judiciaire (art. L. 623-1 C. com.) qui doit établir notamment un bilan économique social et environnemental de la société qui n’a pas à être aujourd’hui communiqué à l’acquéreur. Ne devrait-il pas demain être communiqué à l’acquéreur en vertu de l’article 1112-1 du Code civil ? Autre source de perturbation, l’article 1170 du Code civil qui répute non écrite la clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle. En présence d’une clause de garantie de passif environnemental qui peut, en définitive, coûter au cédant plus cher que le prix qu’il a obtenu, si l’absence de cause hier n’a pas été retenue par la Cour de cassation, ne pourrait-on pas demain admettre qu’une telle clause prive de sa substance l’obligation essentielle au fondement de l’article 1170. Le raisonnement se tient. Quant à l’article 1171 qui, dans les contrats d’adhésion, répute non écrite la clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Lorsqu’il est question de baux dont les conditions générales sont déterminées unilatéralement sans négociation comportant une clause mettant à la charge du locataire, exploitant, la prise en charge financière de tous les travaux de mise en conformité environnementale, n’est-ce pas, si l’article R. 145-35 du Code de commerce issu de la loi Pinel n’est pas applicable, une clause qui pourrait être sanctionnée à l’aune de l’article 1171 du nouveau Code civil ? Les clauses de non-garantie, nulles lorsqu’elles concernent l’obligation légale du dernier exploitant, sont parfaitement valables lorsqu’elles profitent au vendeur non exploitant. Cependant, cette clause évinçant toute garantie alors que l’acquéreur ne peut utiliser le bien conformément à l’usage convenu, sans véritable contrepartie, n’est-elle pas une clause abusive ?

Le droit de l’environnement n’est pas le seul à être à l’épreuve du droit privé. C’est aussi ce dernier qui est à l’épreuve du droit de l’environnement.

3. Le droit privé à l’épreuve de la loi du 8 août 2016. La loi sur la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages est une grande loi, même si elle comprend encore quelques imperfections. Une tendance majeure se dessine à la lecture des principales dispositions de cette loi : l’instrumentalisation du droit privé au service de l’intérêt général environnemental. D’importants piliers du droit civil ont été sollicités par le législateur. La préservation de la biodiversité peut, tout d’abord, compter sur le droit de la responsabilité civile. Les articles 1246 et suivants du nouveau Code civil consacrent le préjudice écologique pur et mettent en place un système novateur et rigoureux : hiérarchisation des modes de réparation, affectation des dommages et intérêts, instauration d’un nouveau délai de prescription… On trouve cependant quelques ratés tels que cet article 1248 Code civil qui prévoit que l’action peut être exercée par toute personne ayant « qualité et intérêt à agir » et donne ensuite une liste dont on ne sait si elle est limitative. Le « telle que » en début de liste doit laisser penser qu’elle n’est pas exhaustive. Si c’était le cas, ce serait admettre que tout individu est une sorte de dépositaire, de fiduciaire de ce patrimoine commun qu’est la nature, patrimoine commun de la Nation d’ailleurs enrichi par la loi (C. envir., art. L. 110-1).

La protection de la biodiversité peut, ensuite, s’appuyer sur le droit des biens. La fonction environnementale du droit des biens est à l’honneur au sein de la loi du 8 août 2016 qui consacre une obligation réelle environnementale (C. envir., art. L. 132-3). Le propriétaire peut conclure un contrat avec certaines personnes morales ayant pour objet la création sur son fonds d’une obligation réelle avec pour finalité « le maintien, la conservation, la gestion ou la restauration d'éléments de la biodiversité ou de fonctions écologiques ». Cette arlésienne de l’environnement est désormais une réalité. Son efficacité reste cependant à démontrer: peu d’incitations fiscales, exigence d’un accord du preneur à bail rural, préservation des droits liés à l’exercice de la chasse, préservation des droits relatifs aux réserves cynégétiques. Cette innovation tout de même importante pourrait d’ailleurs s’appuyer sur le droit réel de jouissance spéciale revitalisé par un arrêt du 8 septembre 2016 (n° 14-26.953). Plus souple et sans contrainte, ce droit réel de jouissance spéciale pourrait devenir un outil environnemental des plus précieux.

Enfin, c’est le contrat qui semble être le principal moteur de cette « reconquête » de la biodiversité. Le contrat de partage des bénéfices pour lutter contre la bio piraterie (C. envir., L. 412-10 s.) et surtout le contrat de compensation. L’obligation légale de compensation est généralisée (C. envir., art. L. 163-1) et peut être exécutée directement par le débiteur (le maître d’ouvrage) ou par l’intermédiaire d’un « contrat » (rappr. C. envir., L. 512-21 et L. 541-1). Cette convention est conclue soit entre le débiteur de l’obligation et un « opérateur », soit par l’acquisition « d'unités de compensation » dans le cadre d'un site naturel de compensation défini à l'article L. 163-3, soit encore, si les mesures portent sur un terrain n’appartenant ni au débiteur de l’obligation légale ni à l’opérateur désigné, avec le propriétaire « et, le cas échéant, le locataire ou l'exploitant ». La contractualisation du droit de l’environnement est une caractéristique majeure de la loi du 8 août 2016.

En cette rentrée universitaire, le droit de l’environnement a donc le vent en poupe. Les innovations probables de l’ordonnance du 10 février 2016 et les innovations notables de la loi du 8 août 2016 confirment ce proverbe coréen qui dit que « le vent n’a pas de mains, et pourtant il secoue les arbres ».

Référence

■ Civ. 3e, 8 sept. 2016, n° 14-26.953 P.

 

Auteur :Mustapha Mekki


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