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Le droit de vote est-il un droit attaché à la nationalité ?
Les débats que suscite la proposition de loi récemment discutée et adoptée par le Sénat et relative à la possibilité de conférer le droit de voter aux élections locales aux étrangers qui ne seraient pas ressortissants de l’Union européenne, invitent à quelques réflexions juridiques sur le statut du droit de vote et ses relations avec la nationalité.
On peut essayer d'apporter des informations assez simplement sous la forme d'une série de questions/réponses :
▪ Y a-t-il des pays qui autorisent le droit de vote des étrangers aux élections locales ?
La réponse est oui : si l'on s'en tient aux seuls pays de l’Union européenne, 12 pays sur les 27 États de l'Union accordent sans restriction le droit de vote aux ressortissants étrangers aux élections locales (et cela sans compter les citoyens européens qui bénéficient de ce droit sur la base des traités ; v. thèse H. Andrès). Cela montre que la liaison entre droit de vote aux élections locales et nationalité n'a pas la force de l'évidence, très loin de là.
▪ En France, y a-t-il des cas où les étrangers votent ?
La réponse est oui : on ne le sait pas assez, ou bien on feint de l'oublier, mais les résidents étrangers se voient accorder le droit de vote dans de nombreuses circonstances. D'abord dans les élections professionnelles. Ainsi, les avocats étrangers, les médecins étrangers, les pharmaciens étrangers élisent leurs représentants au sein des conseils de l'ordre, qui assurent la gestion de ces professions.
Ensuite, les chefs d'entreprises étrangers et les artisans étrangers désignent également leurs représentants dans les chambres de commerce et chambres de métiers. De mêmes, les usagers étrangers de services publics peuvent voter et être élus dans les organes représentatifs des usagers.
Bien davantage, les salariés étrangers participent aux élections prud’homales alors qu'il s'agit pourtant ici de désigner des juges, qui rendent d'ailleurs la justice « au nom du peuple Français ».
On le voit, il existe donc une sorte de « citoyenneté sociale » qui est ouverte aux ressortissants étrangers et qui leur confère un droit de vote dans de nombreuses situations.
▪ Y a-t-il un obstacle juridique, en France, à reconnaître le droit de vote aux élections locales aux personnes de nationalité étrangère ?
La réponse est peut-être : statuant sur le droit de vote accordé aux ressortissants de l’Union européenne aux élections locales, le Conseil constitutionnel avait considéré qu'il n'était contraire à la Constitution que dans la mesure où il risquait de les faire participer à la désignation des sénateurs, et donc à l'élection d'une Assemblée qui, elle, est connectée sur une notion de souveraineté nationale (v. Cons. const. 9 avr. 1992).
Cependant, pour appliquer l'obligation contenue dans les traités européens d'accorder ce droit aux ressortissants de l'Union résidant en France, on a inscrit dans la Constitution un article 88-3 dont on pourrait considérer, quoique ce point soit débattu, qu'il réserve, sauf révision constitutionnelle, le droit aux élections locales à ces seuls ressortissants européens.
En voici le texte qui est pour le moins ambigu et qui permettra à nos lecteurs étudiants d'avoir un exercice pratique d'interprétation de texte à se mettre sous la dent : « Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France ».
Est-ce que « seuls » renvoie à « citoyens de l'Union » sous-entendu « en excluant les non-Européens » ou à « citoyens de l'Union résidant en France », sous-entendu, « pas les autres citoyens européens qui ne résideraient pas en France », cela est indécidable de sorte que la seule interprétation qui prévaudra sera celle du Conseil constitutionnel si un jour il est saisi de cette question.
▪ Que peut-on en conclure ?
De ces brèves observations il ressort que la liaison entre droit de vote et nationalité n'est en aucun cas une donnée indiscutable du droit. Dans certains pays, elle est totalement écartée, dans d'autres elle est en partie remise en cause.
Il est certain qu'en France il existe une tradition, explicite ou implicite dans les textes constitutionnels de lier droit de vote et nationalité. C'est d'ailleurs sur cette base qu'on a refusé le droit de vote aux ressortissants indigènes des pays colonisés par la France…
Mais cette liaison vaut essentiellement pour les questions de souveraineté nationale et par conséquent pour les élections parlementaires et présidentielles. Pour le reste, et surtout à l'époque récente, on a de plus en plus facilement admis le droit de vote des étrangers à des élections de nature sociale administrative et juridique.
Dans ces conditions de quel côté de cette distinction faut-il faire passer les élections locales ?
Cela est affaire d'appréciation personnelle et aucunement d'obligation ou d'interdiction juridique. On pourra simplement noter que la liaison entre question de souveraineté et droit de vote est passablement fragile en ce qui concerne les élections locales.
Références
■ Données extraites de la thèse de sciences politiques de Hervé Andrès, Le droit de vote des étrangers - État des lieux et fondements théoriques, 2007, consultable : http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00130445.
■ Cons. const. 9 avr. 1992, n°92-308 DC.
■ Article 88-3 de la Constitution du 4 octobre 1958
« Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs. Une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées détermine les conditions d'application du présent article. »
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