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[ 21 novembre 2011 ] Imprimer

Le droit et la morale (propos sur quelques exemples d’actualité)

Les rapports qu’entretiennent le droit et la morale sont bien connus des étudiants en droit, ou devraient tout du moins bien l’être… Il s’agit en effet d’un thème incontournable du cours d’Introduction au droit, dispensé au premier semestre de la Licence 1 dans la quasi-totalité des Universités françaises. Ce thème donnera d’ailleurs sans doute lieu, ici ou là, à un sujet d’examen dans les prochaines semaines. Or, l’actualité immédiate pourrait opportunément servir à enrichir une copie, en illustrant le propos.

On ne saurait en effet que trop conseiller à un étudiant en général, et à un étudiant en droit en particulier, de s’intéresser à l’actualité. À l’actualité purement juridique évidemment, mais pas uniquement. Les connaissances acquises à la faculté permettent en effet de mieux comprendre la Société dans laquelle nous vivons et de décrypter les débats contemporains. Par un choc en retour, l’étudiant qui saura, lorsque le sujet s’y prête, intégrer avec justesse et parcimonie des exemples tirés de l’actualité montrera à l’évaluateur qu’il a, non seulement des connaissances « livresques », mais également une bonne compréhension du sujet traité. Soit dit en passant, cela permettra à la copie de « sortir du lot », et de ne pas infliger au correcteur la litanie des exemples poussiéreux qu’il peut lire, année après année, surtout sur un thème aussi classique que le droit et la morale. Nul juriste ne peut ainsi ignorer que le droit et la morale sont deux systèmes normatifs distincts. Ces deux systèmes, qui voisinent encore avec la religion et les mœurs (pour ceux qui arrivent à distinguer ces dernières de la morale), s’influencent réciproquement, sans se recouvrir totalement.

D’abord, la morale peut ne pas s’offusquer de ce que le droit réprouve. Une bonne illustration peut être trouvée dans la passe d’arme récente entre Mme Éva Joly, candidate Europe Écologie-Les Verts à l’élection présidentielle, et M. Henry Guaino, conseiller du président de la République. Lors d’un débat à la radio, Mme Joly s’est étranglée en entendant M. Guaino qualifié M. Charles Pasqua, ancien ministre de son état, de « grand républicain ». Pour elle, M. Pasqua étant un « criminel », définitivement condamné par la justice de son pays, on ne pourrait pas dire de lui qu’il est un « grand républicain ». En vérité, Mme Joly s’est un peu laissée emporter dans son élan. Il semble, mais l’auteur de ces lignes avoue avoir eu quelques difficultés à retracer le long parcours judiciaire de M. Pasqua, que ce dernier a été condamné pour des délits. Comme le corrigea elle-même Mme Joly, M. Pasqua est donc un délinquant, non un criminel. De son côté, M. Guaino s’est également laissé emporter en niant que M. Pasqua puisse être qualifié de délinquant. Condamné pour avoir commis un délit, M. Pasqua est, comme un voleur de mobylette, un délinquant. Reste que M. Guaino s’est rattrapé in fine, précisément en distinguant la morale et le droit. Il a en effet répondu « j’ai tout à fait le droit Mme [de qualifier M. Pasqua de grand républicain]. Mettez le droit à sa place. La Cour de cassation rend une décision en droit, moi je forme un jugement moral ». C’est là sans doute montrer la supériorité, au moins technique, du droit sur la morale : il n’y a qu’un droit pour tous, mais chacun a sa morale. Ainsi, la question de savoir si M. Pasqua est, ou non, un « grand républicain » sur le terrain de la morale ne peut pas être tranchée, puisqu’il n’existe pas de critères moraux reconnus par tous permettant de vider la controverse.

Ensuite, le droit peut n’avoir rien à redire à ce que la morale réprouve ou, plutôt, comme on l’aura compris, à ce qu’une certaine morale réprouve. Là encore les exemples actuels abondent, et on mettra de côté les frasques de DSK de peur de se voir reprocher une atteinte à la vie privée... Le cas de M. Jean-Pierre Chevènement est de toute façon topique. À peine sa candidature à l’élection présidentielle annoncée, ce dernier se trouve empêtré dans une « affaire » relative au logement qu’il occupe. Ce logement appartient en effet à la régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), et il est qualifié juridiquement d’ « immeuble à loyer normal » (ILN). En vérité, le loyer de ces logements n’a rien de normal, il est très souvent bien inférieur à la valeur locative des logements similaires afin de permettre aux classes moyennes, qui cherchent notamment à se loger dans des appartements dits « familiaux », d’accéder au centre des grandes villes où les loyers ont depuis longtemps dépassé les bornes du ridicule. Pourtant, légalement, M. Chevènement est dans son bon droit. Les ILN ne sont pas soumis à un plafond de ressources, et la durée de la location n’est pas limitée. D’un point de vue moral, cette situation pourra cependant choquer, alors que M. Chevènement occupe ce logement depuis 1983, et qu’il aurait les moyens de payer un logement équivalent au prix du marché, aussi indécent qu’il puisse être par ailleurs. Reste que M. Chevènement n’est pas le seul dans cette situation. M. George Tron, ancien secrétaire d’état à la fonction publique, a eu à connaître sa « première épreuve » lorsque le canard enchaîné a révélé, en 2010, qu’il occupait également un ILN. Gageons qu’il aurait préféré que cette première épreuve soit la dernière... Toujours est-il que la multiplication des « scandales » relatifs aux ILN poussera, peut-être, à une évolution de la législation. On aurait alors un nouvel exemple, aux petits pieds, de l’influence de la morale sur le droit.

 

Auteur :Mathias Latina


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