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Le billet
Le droit minier refait surface
Alors que les ressources naturelles n’ont jamais fait l’objet de tant de spéculation financière au regard du contexte politique, l’Europe est bien démunie en termes d’indépendance énergétique, d’accès aux métaux et aux matières premières de toutes sortes.
Le sous-sol européen n’est pourtant pas si pauvre qu’on veut bien le croire. Nous avons simplement abandonné l’exploitation de nos ressources naturelles pour diverses raisons. Il y a d’abord le coût financier de la main-d’œuvre, hautement qualifiée, loin de l’image des mines de Germinal exploitées par des enfants, images pourtant si actuelles dans certains pays en voie de développement. Nos matières premières ne sont donc pas compétitives.
Il y a ensuite le coût environnemental de l’extraction : même accompagné de précautions, l’activité minière défigure un paysage et l’enlève à la Nature pour très longtemps. C’est pourquoi, si beaucoup d’entre nous se dotent du dernier iPhone à la mode, ce n’est pas pour autant que nous accepterions une exploitation de métaux rares nécessaires à sa fabrication dans notre village (phénomène bien connu du Not In My Backyard). Si nous souhaitons tous rouler électrique, nous nous révoltons contre l’idée d’abîmer une zone Natura 2000 en Bretagne, dont le seul défaut est de reposer sur une abondance de lithium. Nous défendons bec et ongles la biodiversité de nos fonds marins, qui regorgent de nodules polymétalliques (manganèse, cobalt ou nickel), notamment au large de l’îlot Clipperton. Le plan « Macron » d’octobre 2021 prévoit de consacrer des sommes considérables à l’exploration sous-marine.
Enfin, il y a le coût social de l’industrie extractive : la dévalorisation des zones environnantes, et parfois le bouleversement des modes de vie traditionnels. Ce phénomène existe surtout dans les territoires arctiques, dans certains pays africains ou en Océanie, ou des populations autochtones sont chassées ou parquées dans des logements collectifs non loin des lieux d’extraction, autant de terrains qui auparavant étaient dédiés à la chasse ou de transhumance, et qui étaient parfois des lieux sacrés. Dans une moindre mesure, ce coût social existe en France, notamment en Guyane.
Contraints et forcés, nous allons vers une relance de l’exploitation minière en France et en Europe en général. Il n’est qu’à examiner le « portail français des ressources minérales, v. ici » pour se rendre compte des richesses encore enfouies. Face à cela, notre droit minier est obsolète. C’est le Conseil constitutionnel même qui l’affirme, en déclarant contraire à la Constitution l’article L. 144-4 du code minier au motif qu’il permet de prolonger une concession sans tenir compte du droit constitutionnel à un environnement favorable à la santé (Cons. const. 18 févr. 2022, n° 2021-971 QPC).
La loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (dite « Loi Climat »), prévoit l’élaboration d’un inventaire des ressources à jour. Connaître l’étendue des ressources, ce n’est probablement pas pour les laisser gésir. Surtout, cette loi a enclenché un processus de réforme profonde du code minier français, posant les grands principes et renvoyant dans le détail à une ordonnance, qui vient de paraître : l’ordonnance n° 2022-536 du 13 avril 2022 modifie le modèle minier et les régimes légaux relevant du code minier. Ce code prévoit désormais une « politique nationale des ressources et des usages du sous-sol (qui) a pour objectif de déterminer les orientations nationales de gestion et de valorisation des substances » minières (C. minier, art. L. 100-4). Il s’agit en effet de « fixer des orientations assurant que les approvisionnements en ressources primaires et secondaires en provenance d'un État non-membre de l'Union européenne répondent à des exigences sociales et environnementales équivalentes à celles applicables en France » (même article).
Reste donc à exploiter « proprement » ces ressources – car cela se fera, avec ou sans l’accord des populations environnantes –, avec un encadrement légal et réglementaire apte à protéger les intérêts sociaux et environnementaux (gestion minière durable), tout en tendant vers l’indépendance en matière minière et la transition écologique. Érigé par le rapport précédant l’ordonnance en « modèle minier français », le droit minier ne sera donc plus le droit de la seule mine, mais celui de l’activité minière en elle-même et de toutes ses implications externes. Un droit de la mine et de l’après-mine (déchets, réhabilitation des sols), un droit de l’environnement et de la santé, un droit social, un droit de police, mais aussi un solide droit de contrats, un droit internationalisé, avec de nombreux traités et une soft law transnationale en plein essor, un droit qui tend à évincer le juge national au profit de l’arbitrage. Vaste programme, d’autant que le Code minier étend son champ aux carrières, à la géothermie et au stockage souterrain (hors déchets nucléaires).
Or, l’enseignement du droit minier est en friche en France. Les jeunes juristes se forment « sur le tas », dans les grands cabinets d’avocats ou les entreprises minières. Quant aux éditeurs, face à cette remise au goût du jour du droit minier, ils semblent aussi à la peine : face à un marché de niche, imaginer une revue de droit minier n’aurait pas de sens économique, d’autant qu’il faut ensuite trouver les auteurs. La dernière revue francophone de droit minier était belge (֤Éditions Lamertin) : elle a cessé de paraître en 1960. On peine à trouver quelques rubriques dans le Dictionnaire Permanent (Éditions Législatives, Lefebvre-Dalloz) ou encore au JurisClasseur administratif (Lexis-Nexis).
En somme, un droit encore bien trop mineur dans les universités, pourtant si développé dans le monde et aux enjeux si majeurs. L’Europe redescendra à la mine, il faut être prêt.
Références :
■ Cons. const. 18 févr. 2022, n° 2021-971 QPC : AJDA 2022. 376 ; D. 2022. 356, et les obs.
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