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[ 2 février 2016 ] Imprimer

Le Grand Paris : désastre ou expression du génie français ?

Vous habitez Nogent-sur-Marne, Gennevilliers ou Châtenay-Malabry , eh bien, sans peut-être vous en apercevoir vous avez vécu le 1er janvier dernier une réforme administrative dont la France a le secret.

Jusqu’alors pour vous le « mille-feuilles » administratif français demeurait relativement digeste : commune / département / région / État, pour Gennevilliers, par exemple, liste à laquelle s’ajoutait une communauté d’agglomération pour les autres. Vous me direz, cela faisait déjà cinq feuilles. Mais depuis le 1er janvier 2016 pour tous les habitants de la petite couronne (pour faire simple), l’organisation administrative est la suivante : commune / établissement public territorial (EPT) / Métropole du Grand Paris / département / région / État, soit six feuilles pour tout le monde (sauf les parisiens qui échappent à l’EPT et ne désespèrent pas d’arriver à fusionner les institutions communales et départementales qui agissent sur le même périmètre).

Oui oui, vous avez bien lu, six niveaux d’administration pour un même territoire ! Et encore, je vous passe sur les détails techniques dans la répartition des compétences qui illustrent, jusqu’à la caricature, cet enchevêtrement. Allez si, quand même un exemple : La compétence « habitat », qui concerne donc toutes les problématiques publiques du logement et donc notamment du logement social. Elle est dévolue par la loi NOTRe (L. n° 2015-791 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République) à la Métropole du Grand-Paris, mais la tutelle sur les offices publics d’habitation, quant à elle, est dévolue aux établissements publics territoriaux. Ainsi, celui qui a la maîtrise de la politique n’a pas la tutelle sur les institutions, et vice et versa. 

Je ne m’étends pas davantage sur les incongruités de cette construction administrative, car chacun perçoit bien qu’avec autant de niveaux d’administration on aboutit fatalement à ce type de situation. Mais la question la plus importante est celle de se demander pourquoi et comment on est arrivé là ? Et pour cela il faut refaire rapidement l’histoire de cette construction métropolitaine.

Jusqu’en 2008, l’idée d’un Grand Paris fait l’effet d’un projet impossible : depuis le Plan d’aménagement de la région parisienne (PARP), qui est entré en vigueur le 1er octobre 1939, il y a une espèce de fatalité à ce que tous les projets de développements de la métropole capitale s’embourbent dans des discussions politico-administratives qui les rendent caducs avant même que d’être nés. Au point même que la politique d’aménagement francilienne de la deuxième moitié du XXe siècle a plutôt visé à une « démétropolisation » : la création des nouveaux départements de la petite couronne et la création de villes nouvelles en sont deux bons exemples.

C’est ici que se situe ce qui à l’origine était une intuition brillante du secrétaire d’État au Grand Paris nommé en 2008 : pour réussir à faire une métropole, il fallait surtout ne pas parler d’institutions, mais uniquement de projets et en particulier d’un projet de réseau de transports dont la philosophie générale est de contourner Paris pour mettre en relation entre eux les territoires périphériques. Cela sera inscrit dans la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris qui lance la mise en œuvre de ce réseau.

Hélas les préoccupations institutionnelles sont vite revenues sur le devant de la scène et dès 2014 était inscrite dans la loi MAPTAM (n° 2014-58 du 27 janv. 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) la création d’une structure administrative, la Métropole et en 2015, dans la loi NOTRe, les « territoires » qui avaient été prévus comme des arrondissements parisiens deviennent des structures intercommunales dotées de la personnalité morale. Tout cela est le produit de transactions administratives et politiques sur lesquelles il est inutile de s’étendre. 

Mais finalement, cet amoncellement de structures pose deux questions qui touchent d’abord le problème du périmètre de cette métropole et ensuite celui de l’exercice de ses compétences.

Le périmètre tout d’abord. Lorsque la loi MAPTAM est discutée, il est décidé d’adapter le périmètre de la Métropole de Paris sur le même critère que celui des autres métropoles provinciales à savoir celui de l’étendue de « l’aire urbaine », au sens que l’INSEE donne de ce terme. Pourtant, la Métropole créée s’avère nettement plus restreinte que la définition donnée par l’INSEE : 130 communes regroupant 7,1 millions d’habitants, contre 412 communes et près de 12 millions d’habitants pour l’INSEE. C’est qu’en réalité le périmètre de la Métropole a été restreint à l’ancien département de la Seine (pour simplifier) et correspond non pas à l’aire urbaine mais à la zone hyper dense d’urbanisation continue qui s’est développée à proximité de Paris.

Ce périmétrage pose un problème majeur dont les effets s’aggraveront à long terme. Il repose en effet sur une logique de séparation de l’urbain et du périurbain qui est une erreur majeure. Dans les précédents périmétrages de la capitale, deux tendances contradictoires se sont toujours confrontées : les périmètres « défensifs », marqués par la construction de séparation physiques ou juridiques (fortification, octroi ou plus récemment boulevard périphérique) qui enferment la ville sur elle-même, et les périmètres « constructifs » qui ouvrent la ville sur les interactions avec les espaces moins urbanisés pour les inscrire dans la dynamique de son développement. C’est le cas des « annexions » réalisées en 1860 par Hausmann, c’est encore le cas du PARP, précédemment cité, des années 30 qui, même s’il n’a pas été mis en œuvre dans son ensemble a donné lieu à des réalisations partielles (début du réseau autoroutier notamment).

Or, les périmétrages défensifs présentent un inconvénient majeur : en enserrant la ville dans des limites ils isolent également la richesse toute en projetant les externalités négatives vers l’extérieur (c’est ainsi que les centrales d’incinération, les stations d’épuration, les grands cimetières parisiens sont situés au-delà du périphérique…) et renforcent ainsi les inégalités entre le centre et la périphérie. C’est pourtant très exactement du contraire dont a besoin aujourd’hui l’aire urbaine de Paris : elle a besoin d’une reconnexion et d’un rééquilibrage à une échelle large pour éviter l’aggravement des inégalités voire de constitution de zones de relégation économiques et sociales. 

Concernant la question des compétences et de leur exercice ensuite, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que la dilution des compétences (et des financements correspondants) entre cinq ou six strates de collectivités va conduire à un phénomène d’entropie et de ralentissement des prises de décision. De telle sorte qu’à moyen terme, il sera nécessaire de repenser l’organisation générale si ce n’est que les féodalités suburbaines qui ont déjà si bien résisté au cours des dernières années seront encore renforcées en nombre et en influence par les nouvelles structures et résisteront donc encore mieux aux efforts de l’État. 

Il y a donc fort à craindre qu’à l’exception de quelques projets pilotés par l’État ou des établissements publics dynamiques, le projet du Grand Paris ne se résume finalement à un projet de transport en commun et qu’il faille remettre à bien plus tard l’ambition d’une véritable organisation métropolitaine.

Ainsi, en moins de dix années on est passé d’un espoir à un espoir déçu. Alors, désastre ou expression du génie français ? Les esprits pessimistes diront que de plus en plus souvent ces expressions sont malheureusement synonymes.

 

Auteur :Frédéric Rolin


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