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Le logement : une nouvelle préoccupation de l’Union dépourvue de toute compétence explicite
Tout discours peut réserver quelques surprises dans son contenu. Celui sur l’état de l’Union européenne, prononcé le 10 septembre 2025 par la Présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, devant le Parlement européen, est de ceux-là.
La Présidente de la Commission européenne y a abordé, en bonne place, le sujet du logement alors même que l’Union européenne n’a pas de compétence directement attribuée liée à ce domaine. L’appréhension de cette question peut ainsi interpeller, alors même que les voies d’action sont incertaines et les résultats hypothétiques. Quel est le sens à donner à cette démarche ?
Pour revenir rapidement sur le contexte du discours, il s’agit d’une prise de parole habituelle et annuelle, qui est semblable au discours effectué par le Président des États-Unis devant le Congrès chaque mois de janvier. Dans les deux cas, les discours visent à présenter le programme de l’année à venir. Le logement a ainsi été traité avec la perspective d’agir pour la Commission européenne afin de répondre au constat, d’une part, de l’existence d’une pénurie du logement et, d’autre part, d’une augmentation des prix à la construction de près de 40 %, mais également des loyers de 20 % entre 2015 et 2023, touchant l’ensemble des États membres.
La Présidente de la Commission a indiqué que cette situation n’est pas anodine pour la cohésion au sein de l’Union, pour le tissu social européen, mais aussi pour la compétitivité de l’Union. Pour la Commission européenne, cette problématique doit dès lors être frontalement appréhendée en s’interrogeant sur les moyens de résoudre la crise avec entre autres, la modification du régime des aides d’État pour ce secteur et le recours à une meilleure maîtrise des locations de courtes durées.
La crise du logement est une attention forte de Ursula Von der Leyen puisqu’elle a intégré cette question au rang de priorité pour l’Union européenne pour son second mandat en juillet 2024. De même, un commissaire européen s’est vu confier ce sujet au sein de son portefeuille. Aussi la Commission européenne doit-elle présenter un « plan européen pour le logement abordable », début 2026 dans le but de déployer différentes actions. Ce plan s’appuie notamment sur une consultation publique, intégrant les résidents, les entreprises et les autorités pour définir les actions stratégiques. Cette consultation a démarré au printemps 2025 et vient de se terminer début octobre 2025 avec 6321 avis valides, dont 90 % des avis émanent des citoyens, 1052 contributions provenant de France. Parallèlement, le Parlement européen a voté la création d’une commission spéciale sur la crise du logement (HOUS) en décembre 2024.
Le déploiement de ces efforts traduit pleinement la reconnaissance d’une crise européenne de ce secteur avec ses conséquences sociales et économiques pour l’Union. Cependant, l’absence de compétence attribuée, par les traités de l’Union européenne, paralyse la capacité d’action des institutions européennes. Ces dernières ne peuvent s’en remettre qu’aux États membres, en dehors des hypothèses de propositions de textes en lien avec la lutte contre le dérèglement climatique et la politique de l’énergie. Or ces champs d’intervention aboutissent généralement à l’adoption de normes plus contraignantes et plus onéreuses qui participent elles-mêmes à renforcer la crise.
La question du logement montre tout le paradoxe et l’ambiguïté de la construction européenne et appelle à plusieurs réflexions :
■ tout d’abord les États membres ont souhaité dans le traité de Lisbonne de 2007 réaffirmer le principe de l’attribution des compétences pour l’Union européenne afin de préserver, voire de protéger, leurs propres compétences. Au sujet du logement, les démarches entamées par la Commission européenne ont été effectuées avec l’aval des États membres, manifestement bien moins catégoriques sur les frontières d’intervention de chacun. Bien loin d’être en opposition, les États membres ont la nécessité de s’appuyer sur l’Union européenne. En effet, toutes les crises récentes ont montré que le niveau européen était pertinent, sans pour autant que l’Union cherche à se substituer aux États et les priver de leurs prérogatives. Le logement invite à réinterroger ainsi la place de l’Union européenne, y compris pour les États les plus réservés sur la construction européenne ;
■ ensuite cette séquence démontre la capacité de la Commission européenne, mais également du Parlement européen en résonance, à se saisir des crises également sociales qui surgissent au sein du marché intérieur dès lors que les États membres n’ont pas su y répondre efficacement. Le dépassement des traités sur les dispositions liées aux compétences devient ainsi une nécessité pour identifier de nouvelles actions en bonne intelligence. Les États ont intérêt à cet appui pour élaborer de nouveaux outils plus efficaces et répondre aux besoins de leur population et à l’accompagnement de l’économie ;
■ la troisième réflexion est liée aux choix des options de travail de la Commission. Ces options concernent l’adaptation du régime des aides d’État, l’élaboration de mécanisme de financements avec la Banque européenne d’investissement ou encore les fonds structurels. Les propositions possibles sont ainsi principalement, voire quasi exclusivement financières. Le risque est dès lors de percevoir l’Union uniquement comme un guichet financier, bien loin des enjeux de mobilisation plus large. Le paradoxe serait néanmoins que cette approche justifierait davantage l’importance des contributions des États membres aux politiques de l’Union ;
■ enfin, la dernière réflexion est la difficulté d’établir a priori des actions stratégiques sans compétence reconnue pour l’Union européenne, même s’il est certain que l’action de l’Union européenne ne pourra venir qu’en appui des autorités locales, régionales et étatiques. Les freins apparaissent d’autant plus grands qu’il n’est pas à douter que les situations soient très différentes selon les zones géographiques au sein de l’Union. Les réponses alors à apporter sont complexes. Les mécanismes habituels des politiques européennes liées au marché intérieur, fondés entre autres sur l’harmonisation, la reconnaissance mutuelle, la suppression des obstacles, semblent moins pertinents sauf à vouloir réguler l’ensemble de l’accès au logement. Cette approche apparaît peu probable au risque de se confronter directement aux règles juridiques des États membres et aux schémas économiques qui découlent de la propriété. De plus, elle est dépourvue de tout fondement juridique évident.
Ainsi si l’intention est louable, la crise réelle et les actions nécessaires, il n’est pas certain que la voix engagée soit couronnée de succès sans une base juridique identifiée dans les traités, c’est-à-dire un fondement juridique adéquat et non conflictuel, y compris pour intervenir en complément des États membres. Il aurait peut-être utile de s’en préoccuper préalablement sauf si le soutien a vocation à n’être que financier, ce qui serait d’une utilité très relative.
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