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[ 13 juin 2016 ] Imprimer

Le mécanisme de l’habilitation familiale : la protection des majeurs vulnérables à l’épreuve de la simplification et de la modernisation du droit de la famille

L'ordonnance n° 2015-1288 du 15 octobre 2015 portant simplification et modernisation du droit de la famille, autorisée par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, insère aux articles 494-1 à 494-12 du Code civil un nouveau mode de protection pour les majeurs vulnérables : l'habilitation familiale, entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Son décret d’application n° 2016-185 a été promulgué le 23 février 2016.

Ce billet permettra de s’interroger sur les difficultés d’interprétation et d’application des nouveaux articles du Code civil et plus généralement sur les dangers d’un tel mécanisme pour les personnes vulnérables.

Ce mécanisme permet depuis le 1er janvier dernier au juge des tutelles de désigner tout membre de la famille d’un majeur hors d’état d’exprimer sa volonté, aux fins d’accomplir tout acte d’administration, de conservation ou de disposition de manière ponctuelle ou générale pendant une durée pouvant aller jusqu’à dix ans, voire vingt ans en cas de renouvellement, et ce sans aucune autorisation préalable quelle que soit la gravité de l’acte (hormis pour les actes de disposition à titre gratuit), ni aucun contrôle ou reddition des comptes.

À la lecture de l’article 494-1 du Code civil traitant de l’habilitation judiciaire, on s’aperçoit tout d’abord que le critère relatif à l’état de la personne vulnérable justifiant l’ouverture de cette mesure de protection diffère très sensiblement de ce qui est mis en place à l’article 425 du même Code pour l’ouverture d’une curatelle, d’une tutelle ou encore la mise en œuvre d’un mandat de protection future.

En effet, là où le critère de l’article 425 est celui, pour la personne vulnérable, d’une « impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté », on voit apparaître pour l’habilitation familiale un critère qui est celui d’une personne « hors d’état de manifester sa volonté », « pour l’une des causes prévues à l’article 425 du Code civil ».

Le critère pour la demande aux fins de désignation d’une personne habilitée, inspiré de celui applicable à l’habilitation judiciaire entre époux, apparaît incontestablement plus restrictif dans la mesure où cette désignation, si elle est appliquée par le juge en respectant à la lettre les termes de l’article 494-1, ne pourrait intervenir que dans des hypothèses très limitées où la personne est hors d’état de manifester sa volonté en raison d’altérations corporelles ou mentales : accident grave, coma, maladie d’Alzheimer avancée…

Dans ce cas, on s’interrogera alors également sur l’utilité de prévoir systématiquement pour cette désignation l’audition du majeur à protéger puisqu’il devrait normalement être hors d’état de manifester toute volonté et donc de s’exprimer si cette mesure est appliquée stricto sensu.

Il semble néanmoins que cette rédaction restrictive rappelant les contours de l’habilitation entre conjoints ne soit pas fidèle à l’esprit de la loi qui semble vouloir ouvrir cette mesure de protection comme une alternative à la tutelle et à la curatelle dans des contextes familiaux non conflictuels.

En effet, la particularité notable de l’habilitation familiale est liée au caractère par hypothèse consensuel de cette mesure.

Le juge doit constater l'adhésion ou « l'absence d'opposition légitime » des personnes visées à l’article 494-1 du Code civil qui entretiennent des liens étroits et stables avec la personne ou qui manifestent de l'intérêt à son égard et dont il connaît l'existence au moment où il statue.

Ce critère d’absence d’opposition légitime donnera inévitablement lieu en pratique à de nombreux débats...

Au-delà de ces interrogations que la pratique et la jurisprudence ne manqueront pas de soulever, comment ne pas craindre et porter un regard critique sur ce qui semble être plus généralement un désinvestissement de l’État dans sa fonction de protection des majeurs vulnérables ?

En effet, l’augmentation de la durée de la vie avec son corollaire de troubles psychiques et de dépendance a pour conséquence que de plus en plus de personnes auront a un moment de le leur vie ou pour leur fin de vie besoin d’être assistées ou représentées dans les actes de la vie civile.

Il semble que l’État, dépassé par ces besoins nouveaux et leur coût, oublie que la protection des personnes vulnérables est « un devoir des familles » mais aussi celui « de la collectivité publique » comme le rappelle très justement l’article 415, alinéa 4 du Code civil.

Plutôt que de renforcer ses moyens en formant du personnel qualifié (magistrats, greffiers, greffiers en chef, mandataires judiciaires à la protection des majeurs) et formé pour assurer un rôle de garde-fous, la problématique est renvoyée à la charge des familles.

En effet, une fois l’habilitation accordée, laquelle peut ne concerner que certains actes mais également être générale, la personne désignée n’a plus de compte à rendre en cours de gestion et n’a plus à solliciter une quelconque autorisation afin de procéder à des actes graves comme les actes de disposition si ce n’est pour ceux à titre gratuit.

Il a même été prévu que si l'habilité ne peut effectuer un acte pour lequel il se trouve en conflit d'intérêts avec l'intéressé, le juge peut néanmoins l'autoriser à accomplir l'acte, sans avoir à désigner un habilité ad hoc.

Ainsi, sans contrôle de sa part, on ne pourra rechercher la responsabilité de l’État si des détournements ont lieu.

Une intervention du juge des tutelles est certes prévue en cas « de difficultés dans la mise en œuvre du dispositif » mais encore faut-il qu’il soit saisi en temps utile pour éviter les spoliations et détournements que l’habilitation familiale rend plus aisés en l’absence de contrôle, surtout si l’on considère qu’elle a vocation à s’appliquer aux personnes les plus fragiles à savoir celles « hors d’état de manifester leur volonté » comme les textes le prévoient.

Pourtant, il semble que l’habilitation ponctuelle avec la sauvegarde de justice dite « autonome » de l’article 433, alinéa 1er du Code civil ou encore l’article 512 du Code civil qui décharge le tuteur familial de son obligation de rendre compte de sa gestion en cas de modicité des revenus et du patrimoine de la personne protégée tout en maintenant le contrôle préalable du juge sur les actes de disposition étaient autant de mécanismes qui permettaient déjà d’alléger les procédures.

Le mécanisme de l’habilitation familiale qui se veut plus général, plus souple et plus pratique pour les familles -mais qui ne réduit pas pour autant les délais de procédure devant le juge des tutelles- semble en définitive une tentative supplémentaire de déjudiciarisation injustifiée, si ce n’est que pour d’uniques motivations de restrictions du budget de la justice, et un véritable risque de danger pour la liberté et la protection des personnes les plus fragiles.

 

Auteur :Philippe Assor


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