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Le Nutella, l’huile de palme et les codes de bonne conduite
L’amendement dit « Nutella », destiné à taxer fortement les produits faisant usage d’huile de palme, a suscité une réaction vigoureuse de la Société Ferrero. Cette dernière n’a en effet pas tardé à se défendre en mettant en ligne une page Internet dans laquelle elle prend divers engagements éthiques (www.nutellaparlonsen.fr).
En particulier, la Société Ferrero déclare appartenir à la RSPO (Roundtable of Sustainable Palm Oil), groupement aux contours un peu flous, dont le but est de garantir un approvisionnement « durable » en huile de palme. La Société Ferrero annonce ainsi publiquement qu’elle n’achète pas d’huile de palme en Indonésie, pays connu pour pratiquer la déforestation massive, et que 100 % de l’huile de palme qu’elle achètera en 2015 proviendra d’huile de palme durable « ségrégée », c'est-à-dire traçable jusqu’à la plantation.
Une question vient immédiatement à l’esprit du juriste. Quelle est la valeur des engagements spontanés pris par une société commerciale, engagements qui vont au-delà de ce que la loi impose ? Plus précisément, que se passerait-il si une société venait à violer les engagements auxquels elle s’est volontairement soumise ? Cette question est aujourd’hui d’autant plus fondamentale que les chartes éthiques et autres codes de bonne conduite ont tendance à se multiplier. Ces chartes s’inscrivent en effet dans le concept émergent de « responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise ».
La Commission européenne, qui s’est intéressée à ce concept dans un Livre vert, a ainsi défini la responsabilité sociale de l’entreprise comme « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes (salariés, partenaires commerciaux, clients…) ». Le Livre vert en question reste cependant muet sur la valeur de ces engagements. Or, précisément, il est souvent affirmé que ces engagements seraient purement moraux, leur sanction étant destinée à rester en dehors de la sphère du droit. Autrement dit, la responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise serait une émanation de l’autorégulation, dont la sanction ne pourrait provenir que du marché.
C’est ici oublier que le droit ne se laisse pas facilement écarter. Il a même un effet attractif, sous l’impulsion du législateur, voire même du juge. Le législateur communautaire semble ainsi avoir pris la mesure de la multiplication des engagements éthiques. En particulier, le non-respect des engagements éthiques affichés par une entreprise peut tomber sous le coup des pratiques commerciales trompeuses. En effet, une pratique commerciale est trompeuse, au sens de l’article L. 121-1 du Code de la consommation, lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant notamment sur les qualités substantielles du bien, ou sa composition. Par exemple, si le bois dont est fait le meuble acheté ne provient pas, comme cela est parfois affirmé, d’une forêt exploitée « durablement », la pratique du marchand de meubles peut être qualifiée de trompeuse.
En outre, est réputé trompeur le fait, pour un professionnel, « de se prétendre signataire d’un code de conduite alors qu’il ne l’est pas », « d’afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire », ou « d’affirmer qu’un code de conduite a reçu l’approbation d’un organisme public ou privé alors que ce n’est pas le cas » (C. consom., art. L. 121-1-1).
Reste, qu’en la matière, la seule sanction prévue est pénale (C. consom., art. L. 121-6). Le législateur est en effet resté muet sur la sanction civile. Pire, puisque les pratiques commerciales agressives entraînent expressément la nullité du contrat (C. consom., art. L.122-15), il est possible d’en déduire, a contrario, que le contrat passé en vertu d’une pratique commerciale trompeuse n’est pas automatiquement nul. Pour obtenir la nullité, le consommateur devra alors recourir au droit commun des vices du consentement…
Quant aux juges, ils ne s’estiment pas liés par la qualification donnée par les parties à leurs engagements. On se souvient ainsi que la Cour de cassation a pu considérer qu’un engagement « moral » de ne pas copier n’avait pu être pris que sous les sanctions du droit (Com. 23 janv. 2007). En outre, et même si la jurisprudence est pour le moment quasi inexistante sur ce point, la Cour de cassation pourrait user de deux méthodes pour assurer la juridicité des engagements éthiques.
La première serait de considérer que ces engagements constituent de véritables obligations civiles issues d’un engagement unilatéral de volonté. Certes, cette source d’obligations est controversée en doctrine. Toutefois, la jurisprudence n’hésite pas à reconnaître la réalité de ce type d’engagement lorsque celui qui les a pris n’a pas besoin de protection particulière, comme l’employeur qui a unilatéralement promis une prime par exemple (Soc. 28 juin 2000), ou lorsque le professionnel mérite une sanction, comme l’organisateur d’une loterie publicitaire trompeuse (Civ. 1re, 28 mars 1995).
La seconde serait de transposer aux chartes éthiques la jurisprudence relative aux documents publicitaires. Il existe en effet une tendance, en jurisprudence, à faire entrer dans le champ contractuel tous les éléments qui ont servi à déterminer le consentement des parties (Com. 17 juin 1997). Pourquoi les chartes éthiques, lorsqu’elles sont largement diffusées et suffisamment précises, ne subiraient-elles donc pas le même sort que les documents publicitaires ?
On voit ainsi que la surenchère éthique à laquelle les entreprises se livrent actuellement pourrait ne pas être sans incidence sur le terrain du droit…
Références
■ Livre vert : Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM/2001/0366 final.
■ Code de la consommation
« I.-Une pratique commerciale est trompeuse si elle est commise dans l'une des circonstances suivantes :
1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;
2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants :
a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;
e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n'est pas clairement identifiable.
II.-Une pratique commerciale est également trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle ou lorsqu'elle n'indique pas sa véritable intention commerciale dès lors que celle-ci ne ressort pas déjà du contexte.
Dans toute communication commerciale constituant une invitation à l'achat et destinée au consommateur mentionnant le prix et les caractéristiques du bien ou du service proposé, sont considérées comme substantielles les informations suivantes :
1° Les caractéristiques principales du bien ou du service ;
2° L'adresse et l'identité du professionnel ;
3° Le prix toutes taxes comprises et les frais de livraison à la charge du consommateur, ou leur mode de calcul, s'ils ne peuvent être établis à l'avance ;
4° Les modalités de paiement, de livraison, d'exécution et de traitement des réclamations des consommateurs, dès lors qu'elles sont différentes de celles habituellement pratiquées dans le domaine d'activité professionnelle concerné ;
5° L'existence d'un droit de rétractation, si ce dernier est prévu par la loi.
III.-Le I est applicable aux pratiques qui visent les professionnels. »
« Sont réputées trompeuses au sens de l'article L. 121-1 les pratiques commerciales qui ont pour objet :
1° Pour un professionnel, de se prétendre signataire d'un code de conduite alors qu'il ne l'est pas ;
2° D'afficher un certificat, un label de qualité ou un équivalent sans avoir obtenu l'autorisation nécessaire ;
3° D'affirmer qu'un code de conduite a reçu l'approbation d'un organisme public ou privé alors que ce n'est pas le cas ; (…) »
« Les pratiques commerciales trompeuses sont punies des peines prévues au premier alinéa de l'article L. 213-1.
L'amende peut être portée à 50 % des dépenses de la publicité ou de la pratique constituant le délit.
Les dispositions de l'article L. 213-6 prévoyant la responsabilité pénale des personnes morales sont applicables à ces infractions. »
« Lorsqu'une pratique commerciale agressive aboutit à la conclusion d'un contrat, celui-ci est nul et de nul effet. »
■ Com. 23 janv. 2007, pourvoi n° 05-13189 ; RTD civ. 2007. 340, obs. Mestre et Fages.
■ Civ. 1re, 28 mars 1995, Bull. civ. I, n° 150, n°93-12.678 ; RTD civ. 1995. 886, obs. Mestre et Fages.
■ Soc. 28 juin 2000, Bull. civ. V., n° 258, n°98-42.147 et 98-42.148.
■ Com. 17 juin 1997, Bull. civ. IV, n° 195 ; D. 1998. 248, note Pignarre et Paisant ; RTD civ. 1998. 363, obs. Mestre.
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