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[ 24 février 2014 ] Imprimer

Le préjudice d’affection : le « thriller » de l’affaire Michael Jackson

Certains fans de la popstar Michael Jackson ont plus souffert que les autres de sa brutale disparition le 25 juin 2009. Cette souffrance est telle qu’elle a reçu l’onction du droit par l’intermédiaire d’un juge de proximité du tribunal d’Orléans qui a jugé le 11 février 2014 que certains d’entre eux pouvaient se prévaloir d’un préjudice d’affection et obtenir ainsi un euro symbolique du médecin responsable de la mort du chanteur. Voici une nouvelle illustration des dérives de l’idéologie de la réparation qui invite à rappeler l’« ABC » du préjudice d’affection.

Pour la petite histoire, le médecin personnel de Michael Jackson, Conrad Murray, avait injecté une dose mortelle d’anesthésique et a pour cela été condamné en 2011 pour homicide involontaire à quatre années de prison. La décision a été confirmée en appel en janvier 2014. Certains fans du chanteur défunt ont constitué une association, la Michael Jackson Community. En 2011, considérant que la star était partie trop tôt et trop brutalement, « Gone too soon » diraient les fans, trente-quatre de ses membres ont engagé une action en justice.

L’objectif immédiat et secondaire de ces actions était la reconnaissance par les tribunaux de leur souffrance. L’objectif médiat et le plus important à leurs yeux est la possibilité une fois ce statut de victime reconnu de pouvoir se recueillir sur la tombe de la popstar dont l’accès est réservé aux seuls proches et aux victimes.

Seulement cinq d’entre eux ont obtenu gain de cause grâce à des « témoignages » et à la production de certificats médicaux établissant leur état dépressif et l’existence de crises d’angoisse. « They don’t care about us », tel aurait pu être le mot d’ordre de ces fans. Les « élus » sont deux Suisses, un Belge et deux Français — un Girondin et un habitant du Pas-de-Calais. Le juge a ainsi considéré que la preuve d’un préjudice d’affection avait été établie et qu’il devait être alloué par Conrad Murray un euro symbolique, soit 1,34 dollar US, à chacune des victimes.

L’instrumentalisation du droit de la responsabilité civile pour permettre à certains fans d’accéder à la sépulture de Michael Jackson reste anecdotique mais elle révèle encore une fois que rien n’est impossible en droit dès lors qu’on le conçoit comme un instrument, froid et détaché de toute axiologie, au service des multiples fins, aussi burlesques soient-elles, poursuivies par les sujets de droit et justiciables.

Pour la grande histoire, le jugement n’innove pas sur le principe même du préjudice d’affection, bien connu de la jurisprudence française. Le préjudice d’affection est un préjudice « médiat », réfléchi, par ricochet subi par « les proches », en ce qu’il est la conséquence du préjudice immédiat causé à la victime directe.

Toute l’histoire jurisprudentielle du préjudice d’affection est en dents de scie. Elle est marquée par la volonté d’en limiter le champ d’application afin d’éviter les dérives qu’illustre parfaitement l’affaire Michael Jackson. La Cour de cassation a tenté, en ce sens, d’en restreindre l’étendue en réservant ce chef d’indemnisation aux parents et en exigeant, par la suite, un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation (Cass. req., 2 févr. 1931). Il fallait alors un intérêt juridiquement protégé. Toute l’évolution qui a suivi a été marquée par une extension des contours du préjudice d’affection.

La survie de la victime directe, atteinte d’infirmité par exemple, ne faisait plus obstacle à la réparation du préjudice d’affection. Limitée à l’intensité du lien d’affection puis à la gravité du préjudice causé à la victime directe, la réparation du préjudice d’affection est aujourd’hui admise sans réserve (Civ. 2e, 23 mai 1977). Ce qui faisait figure de simples assouplissements du préjudice d’affection peut aujourd’hui être qualifié de laxisme, dont la décision commentée constitue incontestablement une preuve par l’absurde.

Progressivement, la Cour de cassation n’exigera plus la preuve d’un lien d’affection effectif entre la victime directe et le demandeur en indemnisation. C’est alors le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice d’affection qui en prend un coup. Cette condition est réduite à une peau de chagrin et le préjudice d’affection se réduit parfois à un simple préjudice éventuel. Certes, en l’espèce, le juge de proximité a pris soin d’établir par des certificats médicaux l’état dépressif et les crises d’angoisse des victimes. L’hypothèse entre ainsi dans les rares cas défendus par une partie de la doctrine qui soutient que ce préjudice devrait être réservé aux personnes qui peuvent établir un trouble dans les conditions d’existence.

Quant au principe même de l’indemnisation de ces fans, il est à vrai dire tout aussi légitime que celui de ce propriétaire obtenant la réparation d’un préjudice d’affection à la suite de la perte de son cheval « Lunus » (Civ. 1re, 16 janv. 1962).

Quant à ceux qui critiquent le « prix de la douleur » et contestent le fait qu’on puisse « battre monnaie de ses larmes », l’attaque est peu pertinente en l’espèce où un seul euro symbolique a été octroyé. L’être semble ici l’emporter sur l’avoir ; encore que si tous les fans obtiennent un euro symbolique, la somme pourrait au total être lourde à supporter pour le médecin Conrad Murray !

À dire le vrai, le problème est ailleurs. Il réside dans le caractère très hypothétique du lien de causalité entre la faute du médecin et le préjudice d’affection. En effet, les causes d’une telle dépression peuvent être multiples et le lien avec la faute de ce médecin américain reste très hypothétique. À défaut, à l’avenir, tout préjudice causé à une personne ayant une certaine notoriété peut justifier l’octroi à ceux et celles qui l’appréciaient et qui sont psychologiquement fragiles d’une indemnisation, ne serait-ce que symbolique. Or, telle n’est pas la fonction de la responsabilité civile. La responsabilité civile n’a pas de vocation thérapeutique, même si le procès de responsabilité a parfois un effet cathartique !

Gageons que cette décision du « bon juge d’Orléans » demeure une simple anecdote, alimentant les cours d’amphithéâtre d’exemples plus légers que l’affaire « Perruche ». Ce caractère anecdotique semble très probable à la lecture de la nomenclature Dintilhac qui limite le préjudice d’affection aux seuls « proches ». Selon la nomenclature, au-delà des parents les plus proches, pour lesquels le lien d’affection est présumé, les autres « personnes dépourvues de lien de parenté, dès lors qu’elles établissent par tout moyen avoir entretenu un lien affectif réel avec le défunt », doivent pouvoir être indemnisées » (p. 45). Quant au projet Terré, il dresse également une liste limitative des victimes d’un tel préjudice (art. 63 : « Le conjoint, les père et mère de la victime ainsi que ses enfants peuvent demander l’indemnisation de leur préjudice d’affection, ainsi que les autres proches de la victime habitant avec elle au moment du dommage »). L’hémorragie de la fonction thérapeutique que l’on voudrait attribuer à la responsabilité civile devrait ainsi être stoppée.

Il faut se rappeler que les bons sentiments font rarement du bon droit !

Références

■ F. Rome, « Pour 1,34 dollar de plus… », D. 2014. 417.

Cass. req., 2 févr. 1931, D. 1931. I. 38.

Civ. 2e, 23 mai 1977, Bull. civ. II, n° 139.

Civ. 1re, 16 janv. 1962, D. 1962. 199.

Nomenclature Dintilhac : www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/064000217/0000.pdf

F. Terré (dir.), Pour une réforme du droit de la responsabilité civile, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2011.

 

Auteur :Mustapha Mekki


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