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Le projet de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche
Attendu, le projet de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche, dit « ESR », a été présenté en Conseil des ministres le 20 mars dernier par Mme Geneviève Fioraso. Déjà, les réactions les plus contrastées se font jour, certains saluant les modifications envisagées, d’autres criant à la marchandisation de l’enseignement supérieur.
Il n’est pas possible de commenter, dans le cadre d’un billet, ce projet de loi dans sa totalité. De manière arbitraire, le signataire de ces lignes évoquera cinq « mesures » : deux louables, une salutaire, pourvu que sa mise en œuvre se fasse avec intelligence, et deux réellement critiquables.
La première mesure qui peut être saluée est la création de places réservées aux titulaires de baccalauréats professionnels et technologiques dans les BTS et les IUT. La situation actuelle est en effet désespérante. Si l’Université n’a pas le droit de sélectionner ses étudiants, les formations courtes le peuvent. Initialement prévus pour permettre à des étudiants issus des filières technologiques et professionnelles de poursuivre leurs études après le baccalauréat, les BTS et les IUT sont aujourd’hui trustés par les étudiants provenant des filières générales, massivement sélectionnés par les responsables des formations courtes… De fait, les étudiants des filières technologiques et professionnels exclus se retrouvent par défaut à l’Université alors qu’ils ne possèdent pas les prérequis nécessaires à leur réussite. Comment un étudiant qui n’a pas pratiqué la dissertation dans le secondaire peut-il espérer acquérir les bases de la dissertation juridique en quelques mois ? Le taux de réussite des étudiants issus des filières technologiques et professionnelles à l’Université est ainsi de moins de 5 %. Leur réserver des places dans des formations où ils seront en mesure d’acquérir des compétences nouvelles favorisera ainsi leur réussite et leur insertion professionnelle future.
La seconde mesure intéressante a trait à la valorisation du doctorat. Nous ne reviendrons pas ici sur les attaques que le doctorat, notamment en droit, a subies dans la période récente. Reste que le constat est accablant. Dans la grande majorité des cas, un docteur a fourni un travail de qualité, suivi une formation dispensée par son école doctorale, et acquis des compétences qu’il n’avait pas à l’issue de son master. Pourtant, s’il échoue à devenir universitaire, ce qui n’a rien d’infamant compte tenu, notamment, du faible nombre de places offertes, son doctorat ne lui sera pas d’une grande utilité, si l’on excepte la passerelle vers l’école d’avocat. Il y a là un paradoxe. À l’étranger, les docteurs, qui n’ont souvent pas à fournir un travail d’aussi longue haleine qu’en France, sont considérés comme des « demi-dieux ». En France, les docteurs sont regardés, au mieux, avec une certaine curiosité, au pire, avec une certaine condescendance. Reste à savoir cependant quelle forme prendra cette valorisation du doctorat.
Une mesure est également potentiellement salutaire. Notre ministre va partout annonçant la suppression de 5 800 intitulés de spécialisations de masters. Les communicants du ministère ont bien travaillé en donnant à Mme la ministre des exemples de spécialisation ubuesque tel ce master entreprise « mention : ingénierie de l’information, de la décision et des connaissances ; spécialité : information élaborée ». Les étudiants se perdent ainsi dans le maquis des spécialisations, parfois simplement inventées par des enseignants-chercheurs désireux de ne faire leur service de cours que dans « leur » formation et dans « leur » domaine. Cette déviance se doit d’être éradiquée. Une formation n’est pas faite pour les enseignants, mais pour les étudiants, ce que certains ont réussi à perdre de vue…
Il faut cependant préciser, d’abord, que cette sur-spécialisation a également été favorisée par l’AERES. Cette agence d’évaluation, supprimée dans le projet de loi, mais remplacée par une autre…, a poussé les Universités à se démarquer les unes des autres en créant des spécialités nouvelles. Pour maintenir un master, les petites Universités devaient en effet masquer une formation généraliste derrière un intitulé novateur, sous peine de se voir répondre par l’AERES que la formation généraliste en question étant déjà dispensée dans la grande Université régionale, il n’y avait donc pas lieu de la maintenir, et ce, même si la demande étudiante existait…
Ensuite, la suppression des intitulés n’a, en elle-même, pas grand sens… Dira-t-on qu’il est interdit de maintenir un master intitulé « droit de la distribution » ? Ce master s’appellera alors « droit des affaires », mais seuls les étudiants avertis pourront reconnaître, à l’examen des matières enseignées, la spécialité de la formation. En d’autres termes, les intitulés simplifiés pourront se révéler déceptifs et recouvrir des réalités distinctes, ce qui n’est pas un progrès. Ce n’est donc pas tant l’intitulé d’une formation qui pose problème, que son contenu… Or, l’autonomie des Universités, et la spécialisation des Universités à laquelle ces dernières sont poussées, s’opposent à des contenus de formation élaborée nationalement… Dés lors, la simplification des intitulés, dont l’objectif est salutaire, pourra s’avérer globalement décevante. Tout dépend donc encore de la mise en œuvre de cette mesure. La communauté universitaire attend ainsi avec fébrilité que lui soit « révélée » la liste des intitulés maintenus… Gageons qu’il y aura quelques surprises…
Deux mesures sont, enfin, réellement dangereuses. D’abord, le projet envisage de renoncer à la nécessaire représentation des grands secteurs de formation dans les différents conseils de l’Université. Autant dire que des listes disciplinaires s’affronteront lors des élections, élections qui tourneront toujours, dans les Universités pluridisciplinaires, en faveur de l’armée mexicaine des professeurs apparentés aux sciences dures (ou inhumaines, c’est selon). Ainsi, les enseignants dont le secteur aura perdu, en sciences humaines donc, verront leur avancement, et leurs travaux évalués par des non-spécialistes de la matière qui, l’expérience nous l’apprend, ne font souvent pas beaucoup d’efforts pour s’adapter aux spécificités des autres disciplines.
Ensuite, il est prévu de décloisonner les licences, afin de spécialiser progressivement les études et de mettre en place une continuité entre le Lycée et l’Université. Reste que, derrière ce programme alléchant, se dissimule mal la mort des licences actuelles... Il ne pourrait simplement plus y avoir de licence de droit, mais une licence en sciences humaines par exemple, dans laquelle les étudiants feraient un peu de tout, et surtout beaucoup de rien. Certes, en prenant l’option « macramé », le double bonus de sport, et l’unité cuisine « Top chef » dispensée par le CROUS, le taux de réussite étudiant augmentera mécaniquement. Peut-être qu’un jour, il se trouvera alors un ministre pour se réjouir du taux de réussite en licence, comme certains se réjouissent du taux de réussite au baccalauréat. Reste que si ces licences « club-méditerranée », pour reprendre l’expression du professeur Antonmattei, feront progresser les taux de réussite, elles ne serviront ni le Savoir, ni l’insertion professionnelle des étudiants.
Toujours est-il que le Parlement a du pain sur la planche…
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