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Le recours pour excès de pouvoir, une espèce en voie de disparition ?
Depuis quelques années, le nombre de contentieux soumis au juge administratif qui basculent de l’excès de pouvoir au plein contentieux s’accroît pour former une liste considérable : contrôle des sanctions administratives (sauf de celles infligées aux agents de l’administration), recours contre les contrats, reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, la liste est longue. Si l’on y ajoute ceux des régimes contentieux qui, au moment de leur création textuelle, sont également définis comme des recours de plein contentieux ou de pleine juridiction, elle le devient encore davantage.
Faut-il alors reprendre un refrain bien connu des administrativistes qui consiste à annoncer la mort du recours pour excès de pouvoir (V. par ex. J.-M. Woehrling, Vers la fin du recours pour excès de pouvoir, Mélanges en l'honneur de Guy Braibant, Dalloz, 1996, p. 777), même si les Cassandre ont jusqu’à présent eu tort ?
Quelques projets de réformes qui sont actuellement discutés dans les cénacles du Conseil d’État obligent à tout le moins à se poser de nouveau la question. Cette fois, c’est en effet le contentieux des refus de titre de séjour qui est l’objet d’une réflexion sur un possible passage de l’excès de pouvoir au plein contentieux, ce qui d’un point de vue quantitatif représente un volume d’affaires considérable. Mais plus qu’une évolution quantitative, ce qui frappe dans ces évolutions contemporaines, ce sont les justifications employées, justifications qui en réalité pourraient valoir pour de très nombreux types de contentieux et qui pourraient donc enclencher une dynamique de basculement généralisé, un peu à la manière de ce qui s’est produit dans les années 1970 lorsque le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation s’est étendu progressivement à tous les types d’actes de l’administration.
Jusqu’il y a quelques années, le passage de l’excès de pouvoir au plein contentieux reposait essentiellement sur une logique d’approfondissement du contrôle du juge : celui-ci n’était pas limité en termes d’étendue du contrôle, il ne l’était pas non plus en terme de prise en compte de circonstances antérieures ou postérieures à l’acte qui lui était déféré. Ce passage à un contrôle de pleine juridiction semblait induit ou tout au moins influencé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, même si le Conseil d’État s’en est toujours défendu.
Aujourd’hui les choses sont toutes différentes. L’arrêt « Tarn et Garonne » sur le contentieux contractuel (CE, ass., 4 avr. 2014, Dpt de Tarn-et-Garonne, n° 358994), et les projets actuels en droit des étrangers, en sont une bonne illustration.
Les deux intérêts essentiels qui sont reconnus au recours de pleine juridiction sont les suivants.
D’abord, puisque dans ces recours le juge substitue son appréciation à celle de l’administration et prononce donc une décision à sa place, cela permet de neutraliser dans de nombreux cas tout ou partie des moyens de légalité externe, évitant ainsi de prononcer des annulations purement formelles.
Ensuite le juge a le pouvoir de statuer non seulement sur la décision de l’administration mais même sur l’attribution du droit ou de la qualité demandée par un administré. Ainsi par exemple, pour la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, il ne se bornera pas à annuler la décision de refus de l’administration, mais statuant sur la demande, il attribuera lui-même cette qualité si les conditions en sont remplies.
On le voit ce sont donc désormais des logiques de célérité, colorées de sécurité juridique qui constituent la justification de la mise en œuvre d’un contrôle de pleine juridiction, logiques que l’on pourrait appliquer dans maints autres contentieux : contentieux du permis de construire, contentieux des droits statutaires des agents publics, etc.
Sans donc réitérer des prophéties qui ne se sont pas réalisées, force est tout de même de constater que le champ du recours pour excès de pouvoir est clairement en voie de réduction au point que peut-être un jour comme les espèces animales ou végétales fragilisées, il entrera en voie de disparition.
Référence
■ CE, ass., 4 avr. 2014, Dpt de Tarn-et-Garonne, n° 358994, Lebon avec les conclusions ; AJCT 2014. 375, obs. S. Dyens ; AJCA 2014. 80, obs. J.-D. Dreyfus ; RFDA 2014. 425, concl. B. Dacosta ; ibid. 438, note P. Delvolvé ; RTD com. 2014. 335, obs. G. Orsoni.
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