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Le billet
Le référé liberté, ne sera pas la baguette magique du contentieux environnemental.
C’est désormais devenu une banalité que de souligner les profondes mutations qu’a connu le référé liberté depuis son introduction, un peu contrainte et forcée, dans le contentieux administratif par la loi du 30 juin 2000.
Au bout de la première décennie de son exercice, les railleurs le surnommaient « référé Front National », parce que la majeure partie des décisions favorables rendues concernaient les refus de prêt de salle à cette formation politique, jugés porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
C’est d’abord l’habileté des plaideurs, ou de leurs représentants, avocats ou associations, qui a contribué à faire évoluer les choses : on se souvient de cette décision de 2012 rendue à la requête de l’observatoire des prisons, imposant à l’administration de « prendre les mesures nécessaires » pour assurer la dératisation et la désinsectisation de la prison des Baumettes (CE, ord., 22 déc. 2012, n° 364584). Elle est tout à fait caractéristique de la « montée en intensité » du référé liberté par l’exploration de séries de mesures considérables demandées au juge.
Mais le juge lui-même s’est ensuite inscrit dans cette dynamique du référé liberté. La première décision Vincent Lambert (CE, ass., ord., 4 févr. 2014, n° 375081, 375090, 375091) marque sans doute une inflexion majeure : rendue après une décision avant dire droit ordonnant une expertise qui dura plusieurs mois, rendue dans la formation collégiale la plus solennelle du Conseil d’État, alors qu’en principe le juge des référés statue seul et dans un délai très bref elle manifeste que le référé liberté est devenu un outil permettant au juge de statuer très vite sur des questions de fond avec des pouvoirs bien souvent plus étendus que ceux dont il disposerait dans le cadre d’un recours en annulation .
Et enfin, la période de la crise sanitaire a transformé le référé liberté en recours de droit commun contre les décisions restreignant les libertés publiques pour lutter contre la propagation du virus. Très caractéristique de cette nouvelle évolution sont les décisions rendues par le Conseil d’État en septembre 2020 sur l’obligation du port du masque : plus rien ne différencie la nature du contrôle exercé sur une mesure de police administrative au fond ou dans le cadre d’un référé liberté.
Alors évidemment, dans le contexte de la discussion de la loi Climat, il était tentant de regarder par-dessus l’épaule de son petit camarade sanitaire pour se dire que la transposition de telles solutions en droit de l’environnement ferait pour beaucoup pour assurer son effectivité.
Tel était notamment l’objet de la « mission flash » confiée à deux députées à l’occasion du dépôt sur le bureau de l’Assemblée Nationale et qui a donné lieu à un rapport publié le 10 mars dernier
Parmi les propositions qu’il contenait figurait notamment celle « d’intégrer formellement les droits prévus par la Charte de l’environnement dans le champ du référé liberté ».
Une telle proposition aurait naturellement ouvert très fortement ouvert le champ des libertés fondamentales en matière environnementale, notamment en ce qui concerne le droit à la portée la plus générale, de vivre dans un environnement sain, mais aussi en matière de mise en œuvre du principe de précaution voire d’accès aux informations relatives à l’environnement.
Cette ouverture du référé liberté aurait sans doute d’ailleurs été moins utile pour contester des décisions administratives classiques, pour lesquelles le référé suspension donne assez largement satisfaction avec des conditions d’accès moins contraignantes, que pour des obligations d’agir mises à la charge de l’administration, à l’image par exemple de la solution retenue dans l’arrêt des Baumettes de 2012 cité plus haut.
À l’issue de l’examen du texte par l’Assemblée Nationale, ces propositions, qui avaient été soumises par voie d’amendement, n’ont pas été retenues. On retient des débats que le champ trop large de cette ouverture a sans doute inquiété.
La tendance globale du projet de loi en matière de de justice environnementale va plutôt dans le sens d’un renforcement de la répression pénale, notamment avec la création du délit « d’écocide » et, s’agissant des procédures d’urgence, de l’extension limitée du « référé pénal spécial » permettant au JLD de prononcer des mesures d’urgence en cas de violation de la loi pénale.
Cette première tendance que dessinent les débats parlementaires oblige à s’interroger sur le bien-fondé des équilibres de la « justice environnementale ».
En privilégiant la responsabilité pénale directe de l’auteur de l’atteinte à l’environnement, plutôt que la responsabilité de l’administration à ne pas prendre les mesures nécessaires à ce qu’il soit mis fin à de telles atteintes, la loi donne l’impression d’une fermeté répressive et sécuritaire qui est bien dans l’air du temps et qui prétend justifier une fermeté de l’action publique.
Ce n’est malheureusement qu’une illusion. En effet, la réalité de la répression environnementale est très loin d’être au niveau de l’intention des auteurs de textes législatifs. Ainsi, dans un passionnant article récemment paru à la revue Déviance et société, Sylvain Barone a procédé à une analyse de terrain sur plusieurs procès correctionnels relatifs à des atteintes à l’environnement, et il montre que la faiblesse des contrôles administratifs, le peu de familiarité des juges avec ce type de contentieux, le profils particulier des contrevenants et de stratégies d’acteurs conduisent à des sanctions très limitées ou transigées qui n’ont que peu d’incidences sur les comportements (Barone Sylvain, « L’environnement en correctionnelle. Une sociologie du travail judiciaire », Déviance et Société, 2019/4 (Vol. 43), p. 481-516).
Et l’histoire du barrage de Caussade, réalisé et mis en eau par la Chambre d’agriculture du Lot et Garonne pour permettre des agricultures irriguées, sans autorisation, malgré des mises en demeure, des scellées, et un nombre considérable de procédures judiciaires, (V. France Nature Environnement) montre bien que si l’action contre les personnes qui portent une atteinte illégale à l’environnement ne doit pas être négligée, c’est évidemment la mise en mouvement des pouvoirs publics qui est essentielle.
C’est la raison pour laquelle, en optant pour le renforcement de la répression pénale plutôt que le développement d’outils contentieux qui permettent de renforcer les contraintes pesant sur l’administration, le projet de loi produit davantage des effets d’image et de communication politique qu’il ne garantit la mise en place de « l’effectivité » du droit de l’environnement.
Cela fait désormais bien des années que les observateurs soulignent ces insuffisances du droit de l’environnement. Malheureusement, il semble que ne soit pas encore venu le jour où le législateur assumera que créer des délits nouveaux ne change strictement rien à cette situation.
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