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Le billet
Le régime de l’action en responsabilité du tiers-victime de l’inexécution d’un contrat : dénouement en vue ?
À quelles conditions, le tiers, victime de l’inexécution d’un contrat, peut-il obtenir réparation du débiteur fautif ? Cette question ne devrait plus se poser puisque la Cour de cassation y a répondu dans un arrêt d’Assemblée plénière du 6 octobre 2006 (n° 05-13.255).
Dans cet arrêt, que certains nomment Boot Shop et d’autres Myr’ho, la Haute juridiction avait décidé que « le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage ».
Dans cette affaire, la société Myr’ho était preneuse à bail commercial d’un local appartenant aux consorts X. Elle avait confié la gérance de son fonds de commerce à la société Boot Shop. Cette dernière, qui se plaignait des nombreux désordres qui affectaient le local dans lequel était exploité le fonds de commerce, décida d’agir en responsabilité à l’encontre du propriétaire bailleur. Puisqu’elle n’entretenait aucun lien contractuel avec ce dernier, elle fonda son action sur la responsabilité extracontractuelle pour faute. Reste que, pour caractériser la faute, elle se borna à invoquer l’inexécution, par le bailleur, de l’obligation contractuelle d’entretien que ce dernier avait souscrite au profit du preneur, c’est-à-dire de la société Myr’ho.
La Cour d’appel n’y trouva rien à redire. Le bailleur forma alors un pourvoi en cassation dans lequel il reprochait aux juges du fonds de n’avoir pas caractérisé sa faute délictuelle. En effet, jusqu’à l’arrêt Boot Shop, la Haute juridiction estimait que toute faute contractuelle n’était pas nécessairement délictuelle. En d’autres termes, s’il était possible qu’une faute contractuelle constitue également une faute délictuelle, encore fallait-il que le tiers-victime le prouve.
Or, dans l’arrêt Boot Shop, au moins si l’on s’en tient strictement à ses termes, la Cour de cassation a consacré l’identité des fautes délictuelle et contractuelle. Puisque le tiers peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, le manquement contractuel, c’est bien que ce manquement constitue nécessairement une faute délictuelle. En conséquence, le tiers n’a pas d’autre preuve à rapporter, au titre du fait générateur de responsabilité, que celle du manquement contractuel.
Cette décision a fait l’objet de nombreuses critiques doctrinales. Il faut dire qu’elle est particulièrement favorable aux tiers. Ces derniers peuvent, en effet, se prévaloir des stipulations contractuelles. Ainsi, si le débiteur a souscrit une obligation de résultat, le tiers pourra se contenter de rapporter la preuve de l’absence de résultat. En revanche, puisque l’action est fondée sur la responsabilité délictuelle, le débiteur ne pourra opposer au tiers aucune des clauses du contrat, ce qui déjouera ses prévisions.
Le tiers-victime peut donc se prévaloir d’un contrat… qui ne peut pas lui être opposé. Pour parler trivialement, il bénéficie du beurre et de l’argent du beurre !
Quoique contestable, le droit positif devrait être clair. Las, ce n’est pas le cas. La Haute juridiction a parfois rendu, sans aucune explication, des décisions incompatibles avec celle de l’arrêt Boot Shop en exigeant de la victime qu’elle démontre que le manquement contractuel constituait une faute délictuelle (Civ. 3e, 22 oct. 2008, n° 07-15.692 ; Civ. 1re, 15 déc. 2011, n° 10-17.691 ; Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-11.203).
Il fallait de la subtilité pour trouver de l’ordre dans ce chaos (V. D. Houtcieff, « Toute faute contractuelle n'est pas nécessairement délictuelle à l'égard du tiers », D. 2017. 1225), la Cour de cassation ayant par ailleurs rendu, en parallèle, des décisions conformes à la jurisprudence Boot Shop (Civ. 1re, 19 sept. 2018, n° 16-20.164).
Y avait-il un désaccord entre les chambres ? La Cour de cassation avait-elle énoncé, trop abruptement, le principe de l’unité des fautes contractuelle et délictuelle ?
Longtemps, on a cru que le salut passerait par la réforme du droit de la responsabilité civile. L’article 1234 de l’avant-projet de la Chancellerie entend, en effet, briser partiellement la jurisprudence Boot Shop.
En principe, les tiers-victime devraient agir en responsabilité délictuelle et en respecter le régime en démontrant l’existence d’une faute délictuelle (art. 1234, al. 1er : « Lorsque l'inexécution du contrat cause un dommage à un tiers, celui-ci ne peut demander réparation de ses conséquences au débiteur que sur le fondement de la responsabilité́ extracontractuelle, à charge pour lui de rapporter la preuve de l'un des faits générateurs visés à la section II du chapitre II. »
Par exception, les « tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat » pourraient se prévaloir du manquement contractuel, sachant qu’ils seraient alors soumis aux « conditions et limites de la responsabilité qui s’appliquent dans les relations entre les contractants » (art. 1234, al. 2 : « Toutefois, le tiers ayant un intérêt légitime à la bonne exécution d’un contrat peut également invoquer, sur le fondement de la responsabilité́ contractuelle, un manquement contractuel dès lors que celui-ci lui a causé un dommage. Les conditions et limites de la responsabilité́ qui s’appliquent dans les relations entre les contractants lui sont opposables. Toute clause qui limite la responsabilité́ contractuelle d’un contractant à l’égard des tiers est réputée non écrite »).
En somme, le tiers ayant un intérêt légitime pourrait certes se prévaloir du contrat, mais il pourrait alors se le voir opposer, ce qui mettrait fin à la situation actuelle du tiers à la fois dans le contrat pour ce qui l’intéresse, et hors du contrat pour ce qui pourrait lui nuire.
Malheureusement, et aux dernières nouvelles, le projet de réforme de la responsabilité civile ne serait plus parmi les priorités de la Chancellerie.
Pourquoi, alors, revenir sur cette irritante question ?
Parce que la Cour de cassation vient d’annoncer qu’elle se réunirait en Assemblée plénière le vendredi 13 décembre à 14h00 afin de traiter de la question de « l’action d’un tiers-victime d’un dommage causé par un manquement contractuel » !
Saisie sur renvoi par la chambre commerciale d’un pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis (que le signataire de ces lignes n’a pas trouvé dans les bases de données disponibles), la formation solennelle de la Cour de cassation va ainsi reprendre la parole pour, on l’espère, clarifier le droit positif.
Affaire à suivre donc !
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