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[ 4 octobre 2021 ] Imprimer

Le régime de responsabilité financière des gestionnaires publics : un projet vidé de sa substance

La perspective d’une réforme des régimes de responsabilité financière, initiée en 2019 par le Premier président Migaud, a pris forme avec son successeur, Pierre Moscovici. L’objectif est ambitieux : mettre en place un régime de responsabilité financière unifié permettant tout à la fois, de remédier aux insuffisances actuelles du régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics et d’assurer une mise en œuvre effective de la responsabilité des administrateurs que le système actuel, impliquant la Cour de discipline budgétaire et financière, ne permettait pas.

Particularité : c’est par ordonnance que le Gouvernement entend mettre en place ce nouveau régime de responsabilité financière, obtenant avec la loi de finances pour 2022, habilitation en ce sens de la part du Parlement.

Comme souvent lorsqu’une ordonnance est utilisée, la question se pose de la pertinence de l’outil utilisé, en particulier lorsqu’est concernée une réforme d’importance, à l’image de celle visant à mettre en place un régime de responsabilité visant ceux qui sont en charge de l’emploi des fonds publics.

D’ores et déjà, on peut regretter que le Parlement n’aura ainsi pas la possibilité de discuter de cette réforme, pourtant essentielle et indispensable. Au final, il faut s’en remettre au Gouvernement, à son projet d’ordonnance avec le risque, avéré en l’occurrence, que le projet soit bien en-deçà des attentes.

Première insuffisance : le champ des justiciables. Le texte envisage de laisser en dehors du champ de compétences du juge financier, les ordonnateurs locaux. Ils échappaient déjà à la CDBF, ils échapperont tout autant au nouveau juge financier.

La logique voudrait que tous les ordonnateurs aient à répondre de l’emploi des fonds publics mis à leur disposition. Sans exception. Ceci aurait dû conduire à ce que les ministres, y compris, deviennent justiciables du juge financier.

Lorsque la CDBF avait été créée en 1948, ces mêmes ministres et ordonnateurs locaux avaient déjà été écartés du champ de ses justiciables – et ce sont bien des considérations politiques qui sont à l’origine de cette décision.

Depuis, la discussion avait été lancée sur la nécessité de les inclure dans le périmètre de compétences du juge financier. Sans succès. On se souvient du sort du projet de réforme des juridictions financières de 2009, à ce sujet.

Le projet d’ordonnance récidive en excluant ministres et ordonnateurs locaux. Ainsi en est-il afin d’assurer la viabilité politique du projet… Ceci constitue toutefois, et en particulier au niveau des ordonnateurs locaux, nombreux, qui ne disposent pas forcément de l’encadrement dont peuvent bénéficier les ministres et qui sont, en conséquence et globalement, plus sujets à des erreurs de gestion, une insuffisance notable du texte à venir. Laissant subsister l’impression qui ressortait de la jurisprudence de la CDBF, d’une justice concernant les seconds couteaux, laissant échapper les principaux responsables.

Le projet tente une parade en encadrant les lettres de couverture lesquelles, signées par les ministres ou les élus, devront mentionner la règle à laquelle il est dérogé et le motif d’intérêt général motivant cette dérogation.

Mais on peut le comprendre, ceci est de bien peu de poids en considération de la concession conduisant à renoncer à inclure les ordonnateurs locaux dans le périmètre des compétences du juge financier.

Le projet d’ordonnance entreprend également de cibler ce qui constituera le noyau dur des interventions du juge financier : la faute grave reprochée au gestionnaire public.

La gravité de la faute était un attendu de ce projet de réforme. Elle s’inspire des pratiques de juridictions européennes comparables comme le Tribunal de contas du Portugal, le Tribunal de cuentas espagnol ou encore la Corte dei conti en Italie.

Il ne saurait, en effet, être question de paralyser l’action publique par la crainte d’une sanction qui pourrait apparaître systématique. La nuance doit être apportée dans l’analyse des manquements reprochés et doit conduire à ne sanctionner que les fautes les plus graves, ceci afin d’éviter que par une extension trop générale des possibilités d’engagement de la responsabilité financière des gestionnaires publics, ces derniers en deviennent trop frileux.

Sur ce point, le projet va dans le bon sens. Malheureusement, il a également choisi de coupler cette faute grave à la nécessité d’un « préjudice financier significatif ». On ne s’y prendrait pas mieux pour tuer dans l’œuf, ce régime de responsabilité financière.

Car bien évidemment, cela laisse deviner que seuls les préjudices les plus graves pourront être sanctionnées. Le Gouvernement a ainsi étendu à la totalité du schéma, la nécessité d’une qualification en termes de gravité. La faute doit être grave, le préjudice doit l’être tout autant, laissant bien sûr entière, la difficulté à identifier ce que sera un préjudice « significatif ». On peut d’ores et déjà en conclure que le nouveau régime de responsabilité financière ne répondra pas aux attentes légitimes de ceux qui accordent de l’intérêt au contrôle de l’emploi des fonds publics.

A l’inverse, et bien évidemment, le Gouvernement a très bien entrevu les limites que de telles formulations allaient introduire – sans le dire ouvertement. Il suffit de lire quelques articles de presse, insuffisamment documentés sur le sujet, pour comprendre que le projet a été perçu comme une avancée significative en termes de responsabilité des gestionnaires publics, ce qu’il n’est pourtant pas…

Au niveau des sanctions, le projet enfonce le clou.

Alors qu’il deviendra quasiment impossible d’engager la responsabilité des comptables publics, il n’était pas difficile pour le Gouvernement de donner l’apparence de céder sur la remise gracieuse en prévoyant sa suppression. De même que sont supprimés, selon la même logique, le débet et l’obligation d’assurance.

Le tout est remplacé par une amende dont le maximum est limité à six mois de salaire à laquelle le juge financier, pourra ajouter une peine d’interdiction d’exercice pour un ordonnateur ou un comptable sanctionné.

Tout ceci irait totalement dans le bon sens si le schéma n’avait pas été cadenassé au niveau du champ des justiciables et des infractions et erreurs sanctionnables.

En l’état, ce projet dévoile le dessein inavoué de Bercy de reprendre d’une main insidieuse ce qu’il donne l’apparence de donner par ailleurs.

Mais ce n’est pas tout. Le projet entreprend également de revoir le schéma juridictionnel qui jusqu’alors associait la Cour des comptes, la Cour de discipline budgétaire et financière et les chambres régionales et territoriales des comptes.

Ces dernières y perdent leurs compétences juridictionnelles. Elles seront autorisées à instruire des affaires, à les transmettre à la Cour des comptes, laquelle les examinera dans sa section contentieuse dédiée (la 7e chambre créée en sept. 2021).

Le change est donné en prévoyant que des magistrats de CRTC participeront aux travaux de cette 7e chambre. Indéniablement, cela revient ici à revenir sur les apports de la loi de mars 1982 laquelle visait à rapprocher le juge financier des territoires.

C’est un recul certain qui pourrait d’ailleurs, être très dangereux pour la Cour des comptes. N’oublions pas que le rapport Bassères proposait de supprimer les compétences juridictionnelles de la Cour des comptes et des CRTC, tout en expliquant que cela ne remettait pas en cause le statut de magistrats de ses membres… Une argumentation bien curieuse et qui ne pouvait séduire que ceux qui faisaient peu de cas des compétences juridictionnelles de ce juge. En acceptant ce nouveau schéma juridictionnel, c’est un premier rempart qui cède. Et alors que l’on peut deviner qu’avec le nouveau régime de responsabilité financière envisagé, les cas de mise en cause de gestionnaires publics seront peu fréquents, cela va réduire d’autant le volet juridictionnel des compétences de ces « magistrats » financiers.

Quand on sait que le projet est couplé à une reconfiguration de la CDBF, qui devient une cour d’appel financière, intervenant en appel des décisions qui seront rendues par la 7ème chambre de la Cour des comptes, on voit le champ juridictionnel se réduire à portion congrue.

 Au final, ce projet de réforme donne toutes les impressions d’un monument historique auquel on ne conserve que la façade pour en revoir totalement l’agencement intérieur. Si d’apparence et sur une approche superficielle, le projet laisse rêveur en prévoyant la mise en place d’un régime de responsabilité financière des gestionnaires publics, les détails dévoilent l’art et la manière avec lesquels le gouvernement entend vider ce même régime, de sa substance.

 

Auteur :Stéphanie Damarey


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