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Le billet
Le Renard et le Cornichon
L’affaire Pierre Perret contre Sophie Delassain ou quand la mémoire peut jouer un tour de cochon.
L’affaire commence à faire grand bruit. Pierre Perret, l’auteur interprète très connu de Lily, La cage aux oiseaux et Le Zizi, a assigné en diffamation une journaliste du Nouvel Observateur qui a soutenu que ses rencontres évoquées depuis près de 40 ans avec l’écrivain Paul Léautaud dans les années 1950 dans plusieurs de ses livres (Le Café du Pont, Adieu Monsieur Léautaud publié en 1972 et réédité en 1986), seraient un pur mensonge. Dans les procès en diffamation, le défendeur doit tenter de convaincre sinon de la véracité des faits allégués, du moins de sa bonne foi. S’en suit alors un procès où le fait domine le droit témoignant, plus que dans d’autres matières, que c’est souvent le fait qui fait le droit. C’est moins l’affaire en elle-même qui nous préoccupe dans ces quelques lignes que le témoignage plutôt original d’un collègue de la défenderesse, M. Delfeil de Ton, un des chroniqueurs les plus connus du Nouvel Observateur.
Lors de ce témoignage, qui a eu lieu le 23 mars 2011, devant la 17e chambre correctionnelle de Paris, M. Delfeil de Ton s’est efforcé, sans ménager le chanteur, de ridiculiser les récits que Pierre Perret fait de ses rencontres avec l’écrivain. Pour avoir une idée, sans jeu de mots, du ton du témoignage, en voici quelques extraits : « Perret dit qu’ils vont chez Gibert Jeune pour acheter des livres. Mais si Paul Léautaud avait dû acheter des livres, il serait allé chez les bouquinistes de la rue de Médicis ou de la rue de Tournon. Jamais chez Gibert ! ». L’avocat, ténor du barreau, Me Szpiner, se contente de sourire sans réagir. Le chroniqueur-témoin enfonce le clou et ajoute que « Dans ce livre, on n’apprend rien sur Léautaud qui n’ait déjà été raconté ailleurs. C’est simple, chez tous ceux qui connaissent bien Léautaud, pas un ne croit à ces rencontres avec Perret ! » Manifestement le Ton est dur !
En réponse, l’avocat Me Szpiner sort délicatement d’une chemise une feuille comportant un texte écrit en 1982 qu’il se met à lire d’un ton (encore lui) neutre à un rythme relativement lent. Les mots parlent d’eux-mêmes décrivant la sincérité des liens que Pierre Perret avait pu tisser avec Léautaud : « Perret avait 20 ans. Il arrivait de sa province pour faire son service militaire à Paris. L’admiration le poussait. Il s’est présenté, “le 26 août 1954 exactement” chez Paul Léautaud. Lequel, alors âgé de 82 ans et célèbre depuis peu (…) le reçut une fois, deux fois, une dizaine de fois, l’accompagne dans les librairies du Quartier latin pour lui procurer les livres qu’il devait connaître. Dans Adieu Léautaud, que réédite Lattès, Pierre Perret raconte comment il chantait à Léautaud, qui ne le connaissait pas, le répertoire de Brassens et comment, en retour, Léautaud lui récitait du Francis Jammes ».
Le journaliste, outré de ses propos et avec un détachement plein de mépris, interpelle l’avocat et lui balance avec dédain : « Qui a écrit ça ? ».
L’avocat, rusé comme un renard, lui répond à deux reprises : « M. Delfeil de Ton ».
Le journaliste surpris, paniqué, désœuvré, désarmé et finalement résigné, donne en guise de dernière réplique qui parle d’elle-même : « Je ne m’en souviens pas. Vraiment, je ne m’en souviens pas. Si je m’en étais souvenu, je ne serais pas venu faire le cornichon ici ! ».
Morale de l’histoire : en matière de diffamation, une bonne lettre vaut parfois plus qu’un bel esprit.
Attendons maintenant la décision du 13 mai prochain afin de savoir quelle sera la fin de cette drôle de fable du Renard et du Cornichon.
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