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Le billet
Leçons de morale : de la morale à l’école à une école de la morale
L’école serait-elle devenue le nouveau lieu de la semence des mœurs ? Le ministre de l’Éducation nationale, Luc Chatel, en est convaincu.
À cette fin, en vue de revivifier l’arrêté du 9 juin 2008, il a adressé, fin août 2011, aux personnels de l’éducation nationale une circulaire afin de privilégier pour l’année 2012 les leçons de morale à l’école primaire. Luc Chatel cherche, à l’image d’un autre Luke, à empêcher nos chers bambins de tomber du côté obscur de la force !
Selon la circulaire de 2011, « À l’école, le développement moral de l’enfant doit faire l’objet d’une attention aussi soutenue que son développement intellectuel ou physique ». Il faut préparer l’enfant à devenir un « honnête homme », ce qui n’est pas sans rappeler la formule de Portalis selon laquelle, ce sont « les bons pères, les bons maris, les bons fils qui font les bons citoyens ». Pour ce faire, c’est dès l’école primaire qu’il convient d’éduquer nos futurs citoyens. N’oublions pas que ce sont les mêmes qui pensent qu’un délinquant en herbe peut être identifié dans ses trois premières années d’existence ! Belle ambition que de confier à un maître ou à une maîtresse d’école le soin d’expliquer à nos petites têtes blondes et brunes, le sens de la vie alors que beaucoup des enfants visés n’ont pas encore atteint l’âge de raison ! Si la Raison n’est pas une condition pour porter un jugement moral, il est moins question d’éducation que d’élevage.
Dans le principe, parler de morale à l’école relève plus de la provocation que de la conviction politique. Quoi qu’il en soit, si dans le principe on s’accorde à renforcer la morale des générations futures, quelle École de la morale faudra-t-il construire ?
Il paraît, a priori, impossible aujourd’hui d’enseigner la morale judéo-chrétienne, du moins officiellement, celle-ci ayant été mise au banc depuis le triste épisode du gouvernement de Vichy et le rejet social de mai 1968. La circulaire semble, à dire vrai, mêler différentes formes de morales. La première d’entre elles semble être la morale kantienne : « Il s’agit de transmettre les principes essentiels de la morale universelle, fondée sur les idées d’humanité et de raison, dont le respect peut être exigé de chacun et bénéficier à tous ». Je ne doute pas de la qualité de nos enseignants mais tout le monde n’est pas capable d’enseigner la morale kantienne qui plus est à des enfants qui ont entre 6 et 10 ans. Que les enseignants ne se découragent pas, la circulaire propose une autre forme de morale, d’ailleurs difficilement compatible avec la première : la morale discursive ou dialogique. La circulaire prévoit en ce sens : « Ainsi, les échanges permettent-ils d’expliciter les justifications présentées par les élèves, de les valider ou de les invalider au regard de la morale universelle et, en les classant, de leur donner une pleine qualification juridique, morale ou éthique ». Après avoir lu Kant et Jürgen Habermas, nos professeurs, qui devront solliciter l’actualité, seront également amenés à s’inspirer de la morale sociale, dite amorale, de L. Lévy-Bruhl et d’E. Durkheim : la morale universelle n’existe pas, la morale est un fait social. Est moral ce qui est normal !
Pour aider les professeurs des écoles, la circulaire met à leur disposition une liste de thèmes que le plus affûté des spécialistes de philosophie morale et le plus curieux des juristes confirmés auraient du mal à expliquer. Quatre catégories sont proposées : l’introduction aux notions de la morale, le respect de soi, la vie sociale et le respect des personnes, le respect des biens. Quelques exemples suffisent à prendre conscience de l’ampleur de la tâche qui attend nos enseignants : le vrai et le faux, la sanction et la réparation, la dignité, l’honnêteté par rapport à soi-même, la liberté individuelle et ses limites, la justice, le respect du bien d’autrui…
La circulaire suggère également de s’appuyer sur des « maximes morales » car les maximes permettent « une mémorisation aisée des préceptes moraux (…) les maximes dont la fonction est prescriptive ne sauraient se confondre avec les proverbes ou les dictons qui n’ont de caractère que descriptif ». On pense alors aux Fables de La Fontaine, aux maximes de La Rochefoucauld, peut-être aux adages populaires de Loysel. Cette dernière affirmation révèle les réelles ambitions de Luc Chatel : il faut encourager une morale normative, une morale qui impose une règle de comportement, une morale prescriptive. Probablement, derrière ces principes, c’est la morale d’État que l’on veut imposer. Mais a-t-on réellement besoin pour atteindre ce but de passer par la morale ?
Relevons, tout d’abord, que le droit moins polémique que la morale peut largement servir les objectifs poursuivis. Pourquoi ne pas enseigner le droit à l’école, au collège et au lycée : l’article 1382 du Code civil, l’enrichissement sans cause, l’abus de droit, les troubles anormaux du voisinage, la bonne foi, le respect de la parole donnée… Il s’agit finalement de faire du vin nouveau dans de vieilles outres car il n’y a rien de bien nouveau à vouloir utiliser la fonction pédagogique, la fonction morale du droit. Déjà au lendemain de la séparation de l’Église et de l’État, A. Marceron proposait de remplacer la morale chrétienne à l’école par l’enseignement du Code civil (La morale par l’État, Alcan, 1912) ! Ainsi à l’heure on l’on réfléchit à la mise en place des Écoles de droit à l’Université, on s’efforcerait à l’avenir de faire entrer le droit à l’école !
En réalité, les leçons de morale constituent un faux débat car l’échange, la discussion, la réflexion, la mise en situation que le ministre encourage sous le discours polémique des leçons de morale ne sont rien d’autres que le travail citoyen que fait à longueur de temps l’ensemble des professeurs des écoles, des collèges et des lycées avec les jeunes citoyens. N’est-ce pas là la vraie morale : « Travaillons donc à bien penser : voilà le principe de la morale » (B. Pascal) ?
Morale de l’histoire : « Nos vertus ne sont, le plus souvent, que des vices déguisés » (La Rochefoucault). Voici une maxime sur laquelle le ministre peut méditer, lorsqu’il se pare d’un discours vertueux sur le retour de la morale à l’école !
Références
■ Bulletin officiel de l’Éducation nationale n° 3 du 19 juin 2008.
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
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