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Les « 500 signatures » pour l'élection présidentielle, un problème moins anecdotique qu'il n'y paraît
Il y a, dans chaque campagne précédant l'élection présidentielle, un « marronnier », pour reprendre le vocabulaire journalistique : c'est la question des fameuses 500 signatures d'élus, encore qualifiées de parrainages, qui sont nécessaires pour pouvoir être candidat à cette élection.
Il faut ici, justement, s'éloigner un peu du langage journalistique pour souligner que le terme de parrainage, comme celui de signature, sont impropres : l'article 3 alinéa 2 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République, qui organise ce dispositif évoque le terme de « présentation » : il faut que 500 élus locaux ou nationaux présentent la candidature considérée pour que celle-ci soit valablement formulée.
La fonction première de ce dispositif est évidente : elle vise à éviter la multiplication des candidatures plus ou moins fantaisistes et à resserrer la compétition électorale autour des principales tendances politiques du pays. La France ne se singularise d'ailleurs pas des autres pays qui élisent leur président au suffrage universel direct, et qui, quasiment tous, ont institué un tel mécanisme de sélection des candidatures, pour des raisons analogues. Le principal contre-exemple vient des États-Unis, mais on sait que le bipartisme, ainsi que l'institution des primaires suppléent à cette carence puisque traditionnellement le nombre de candidats à l'élection présidentielle américaine n'excède pas 5 ou 6.
Mais, et c'est ici que les choses commencent à devenir plus complexes et conduisent à des solutions divergentes selon les pays : si la sélection des candidatures apparaît une nécessité, le choix du mode de sélection traduit l'expression de conceptions et de traditions politiques différentes.
Il y a tout d'abord des États qui s’appuient sur une sélection résultant de la signature d'un certain nombre de parlementaires (comme en Irlande), ce qui constitue un mode de régulation « politique » qui admet comme candidats les membres des courants politiques qui sont parvenus à obtenir des représentants au Parlement. Dans certains cas, le droit de présentation est réservé aux « partis politiques », quelle que soit leur représentation au Parlement. C'est notamment le cas au Brésil.
Il y a ensuite des États qui s'appuient sur une présentation des candidats par une pétition d'électeurs recueillant un certain nombre de signatures (comme au Portugal, en Lituanie, en Autriche ou en Pologne), ce qui constitue un mode de régulation « populaire ». Ici, c'est donc l'aptitude à mobiliser des citoyens, et donc à représenter un courant politique structuré même s'il n'est pas nécessairement représenté au Parlement, qui est valorisée. Et l'on comprend que, selon la taille du pays et le nombre des signatures requises, cette contrainte joue de manière plus ou moins importante : les 6 000 signatures autrichiennes et les 15 000 portugaises sont ainsi plus faciles à obtenir que les 100 000 polonaises.
Enfin, d'autres États pratiquent des systèmes « mixtes ». Ainsi en Finlande peuvent être candidats les membres des partis disposant d'au moins un député, ou les personnes qui recueillent 20 000 signatures d'électeurs.
La France s'inscrit donc d'une manière particulière dans ce panorama. On pourrait y voir un système dit de sélection politique, à l'instar de ceux évoqués plus haut. Pourtant, la qualité des personnes susceptibles de présenter un candidat, ainsi que le nombre des signatures requises conduit à en faire un dispositif principalement entre les mains des élus locaux : 36 000 maires, 6 000 conseilleurs régionaux et généraux, quelques centaines d'élus des assemblées des collectivités d'outre-mer, quelques dizaines de présidents d’intercommunalités qui ne feraient pas partie d'une des catégories précédentes, 577 députés, 348 sénateurs et 74 députés européens. Ainsi, les élus nationaux représentent tout au plus 2 à 3 % des 44 000 parrains potentiels.
Ce particularisme n'est pas le produit d'une volonté nettement exprimée au moment de l'adoption du principe de l'élection du président de la République au suffrage universel direct : lorsque, en 1962, au cours de la rédaction de la révision de la Constitution et des lois organiques qui l'ont complétée, la question de la sélection des candidatures a été posée, le général de Gaulle, comme Michel Debré, ont avant tout voulu éviter le risque de retour à un « régime des partis » qui aurait été favorisé par la maîtrise partisane de cette sélection. Et la décision de confier ce pouvoir aux élus locaux est alors apparue comme le seul substitut envisageable, selon la même logique qui confiait le soin d'élire le président de la République, avant la réforme de 1962, à un collège composé essentiellement d'élus locaux. Mais en 1962, le nombre de ces parrainages était limité à 100, le général de Gaulle ayant expressément refusé de le porter à un nombre plus important malgré la sollicitation de Georges Pompidou : « Est-ce que la démocratie, ce n'est pas, précisément, que tout le monde puisse se présenter à une élection ? le Peuple fera le tri », selon la citation rapportée par Alain Peyrefitte, dans C'était de Gaulle, (tome I, éd. Gallimard).
Dans la perspective initiale, l’objectif était donc d'ouvrir la candidature le plus largement possible et le filtre ne visait donc qu'à exclure les fantaisistes. Le dispositif a totalement changé de logique à partir de sa réforme, en 1976, et le passage aux 500 signatures.
D'un point de vue strictement mathématique, cette évolution aurait pu demeurer d'un effet assez limité : avec une jauge de 45 000 parrains potentiels, et même en tenant compte des obligations de répartition par département (des parrains dans 30 départements et pas plus de 50 parrains par département), on atteint un nombre de candidature théorique très important.
Mais, et cet aspect des choses est tout à fait essentiel, les grandes formations politiques se sont saisies de ce dispositif et en font fait un instrument très important de leur stratégie électorale par l'utilisation de trois tactiques.
La première de ces techniques est celle dite de l'assèchement. Elle consiste à demander à ses soutiens plus de parrainages que nécessaires, de sorte que le vivier des signataires potentiel soit asséché pour les autres candidats, et notamment pour les possibles dissidents de son propre camp.
C'est ainsi, par exemple, qu'a procédé la gauche en 2007 : tirant les leçons de 2002, puisqu'on sait que l'absence d'un candidat de gauche au second tour était largement due à la multiplication des candidatures dissidentes, le parti socialiste a fortement ainsi les élus locaux de gauche à parrainer en nombre le candidat socialiste. Le même système semble à l’œuvre, quoique l'on ne puisse le savoir que de manière assez indirecte, en 2012.
La seconde technique est celle de la pression. Le Front national s'en fait régulièrement l'écho. Les élus seraient soumis à des pressions visant à ce qu'ils ne parrainent pas un candidat qui risque de mordre sur l'électorat de la famille politique de tel ou tel candidat. Là encore, il est difficile d’avoir une certitude sur la réalité de ce phénomène. Il semble toutefois, dans le contexte de la campagne en cours, que cette pratique puisse être regardée comme avérée. Évidemment, le fait que les parrainages soient rendus publics ajoute à l'intensité de cette pression, qui reposerait sur des menaces de rétorsions électorales ou financières.
La troisième technique, enfin, est celle du « coup de pouce ». À l’encontre des deux autres, elle vise à faciliter une candidature, notamment en aidant un candidat d'un camp politique adverse à se présenter. Ainsi, par exemple, on a pu prétendre, sans que cela ne soit nettement avéré, que le Front national aurait pu bénéficier de soutiens discrets pour l'aider à atteindre la barre des 500 signatures, ou encore que la multiplication des candidatures de gauche en 2002 aurait pu être « aidée » par des élus de droite.
En d'autres termes, ce dispositif, du fait de la publicité donnée aux parrainages, de sa complexité, et sans doute aussi du fait qu'il n'est pas le produit d'une liaison logique, car les élus locaux n'ont aucune légitimité pour parrainer des candidats à une élection nationale a généré des stratégies d'acteurs, qui se le sont appropriés voire, si l'on en fait une lecture pessimiste, l'ont dévoyé.
Face à cette situation, trois perspectives sont envisageables.
La première est que le système soit maintenu en l'état en considération du fait qu'il rend les services qu'on attend de lui à savoir éviter les candidatures trop nombreuses. Il convient de souligner qu'en France, du fait des modes de scrutin des élections nationales qui empêchent l’expression des courants minoritaires, l'élection présidentielle, surtout intervenant tous les cinq ans, est une excellente tribune qui permet de faire tendre ses idées voire, si une élection promet d'être serrée, d'essayer de peser, sur son issue. Il y a donc un risque que les candidatures se multiplient si l'on desserre la contrainte.
La seconde perspective serait celle d'un maintien global du système en l'état avec simplement le déverrouillage d'un des éléments les plus problématiques. On pourrait ainsi imaginer, comme certains l'ont suggéré l'abandon de l'anonymat, par exemple si le Conseil constitutionnel déclarait ce mardi que cet anonymat méconnaît la Constitution, ou sinon dans une loi qui viendrait modifier le texte de 1962. On pourrait encore imaginer de supprimer la contrainte de répartition départementale.
La troisième perspective, enfin, consisterait à abandonner le système actuel au profit d'une sélection, soit parlementaire, soit populaire, soit mixte, des candidatures. Mais il faudrait alors opter entre deux tendances contraires. Soit revenir à l'esprit du général de Gaulle et faciliter l'accès à la candidature. Soit au contraire tenter de trouver un système qui garantisse un nombre maximal de candidats s'approchant de celui qui se trouve actuellement à chaque élection. Mais alors, il faudra prendre des décisions qui seront lourdes de conséquences.
Si on limite l'accès aux partis ayant une représentation parlementaire, on court le risque d'une très forte réduction du nombre des candidatures possibles et l'on rend du même coup sans doute nécessaire une réforme du mode de scrutin aux élections législatives pour permettre une plus large représentation des partis.
Si on passe par une présentation populaire, il faudra arriver à un niveau de signatures très important, car n'importe quel groupe un peu structuré pourra trouver cent mille signatures, et cela supposera une machinerie considérable. De ce point, l'expérience des primaires socialistes de l'automne dernier montre à la fois l'intérêt et les limites d'un tel système. Intérêt car la participation montre que les citoyens sont intéressés au choix du candidat de leur tendance politique, limite car une telle organisation est très coûteuse, aussi bien financièrement qu'en ressources organisationnelles, et l'on ne doit pas sous estimer le risque d'irrégularités ou de complications qui nuiraient à la crédibilité du dispositif.
Au total, nous nous trouvons placés là devant une question classique de l'apprenti réformateur : vaut-il mieux laisser en état ou modifier un dispositif peu cohérent mais qui remplit sa fonction ?
Et si on le modifie, vaut-il mieux jouer à la marge pour l'adapter ou le transformer totalement, sachant que dans les deux cas il existe des risques de nouvelles dérives ?
À la fin d'un « Billet » Dalloz Actu Étudiant il est fort tentant de conclure par un professoral : « vous avez trois heures ... »
Référence
■ Extrait de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel
L'ordonnance n° 58-1064 du 7 novembre 1958 portant loi organique relative à l'élection du Président de la République est remplacée par les dispositions suivantes ayant valeur organique.
I. Quinze jours au moins avant le premier tour de scrutin ouvert pour l'élection du Président de la République, le Gouvernement assure la publication de la liste des candidats.
Cette liste est préalablement établie par le Conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées par au moins cinq cents citoyens membres du Parlement, des conseils régionaux, de l'Assemblée de Corse, des conseils généraux des départements, de Mayotte, des conseils territoriaux de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin et de Saint-Pierre-et-Miquelon, du Conseil de Paris, de l'assemblée de la Polynésie française, du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie, de l'assemblée territoriale des îles Wallis-et-Futuna, maires, maires délégués des communes associées, maires des arrondissements de Lyon et de Marseille ou membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger. Les présidents des organes délibérants des communautés urbaines, des communautés d'agglomération, les présidents des communautés de communes, le président de la Polynésie française, le président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et les ressortissants français membres du Parlement européen élus en France peuvent également, dans les mêmes conditions, présenter un candidat à l'élection présidentielle. Les présentations doivent parvenir au Conseil constitutionnel au plus tard le sixième vendredi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures. Lorsqu'il est fait application des dispositions du cinquième alinéa de l'article 7 de la Constitution, elles doivent parvenir au plus tard le troisième mardi précédant le premier tour de scrutin à dix-huit heures. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d'au moins trente départements ou collectivités d'outre-mer, sans que plus d'un dixième d'entre eux puissent être les élus d'un même département ou d'une même collectivité d'outre-mer.
(…) »
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