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Les arrêtés « père Noël » de décembre : premier bilan à froid
Comme chaque fin d’année, certains maires ont rivalisé d’imagination pour rédiger des arrêtés municipaux destinés à faciliter le travail du père Noël. En ce mois de janvier, faisons le bilan de décembre 2023 et des autres mois de décembre passés : levée des restrictions de stationnement pour faciliter les livraisons de jouets, interdiction de nourrir les rennes pour ne pas ralentir la tournée, levée des limitations de vitesse afin d’assurer les livraisons en temps et en heure, autorisation de stationner sur les toits, autorisation de survol de la commune, dérogations au droit du travail frisant l’esclavage des lutins, etc. Il ne manque que l’interdiction des feux de cheminée (on comprend bien pourquoi et pourtant aucun maire n’y a pensé).
Bien sûr, ces arrêtés ne sont pas à prendre au sérieux. Ils manifestent la volonté de certains maires de se faire plaisir, de démontrer leur sens de l’humour, d’appeler leurs administrés à oublier leurs soucis quotidiens, et souvent de faire parler de leur commune dans les journaux régionaux qui se régalent de ces running law-gags.
Et si on y croyait ? Au père Noël. Ce serait un beau cas pratique. Des sites très sérieux (L’appel Expert de Lefebvre Dalloz, tout de même !) sont interrogés sur la possibilité pour le préfet de déférer ces arrêtés devant le tribunal administratif. Il est incontestable que ces arrêtés posent un problème de légalité. Pas seulement parce que les visas sont souvent farfelus (« Vu le Code du Ciel, Vu le Code des Enfants Sages »), qu’il n’y a pas de signature, que leur objet est impossible ou illicite, ou parce qu’il n’y a pas eu transmission au préfet, d’où absence de caractère exécutoire.
Mais il y a plus : ces arrêtés prévoient une multitude de dérogations aux lois et règlements. Or, les seules entités bénéficiant de telles dérogations au code de la route où aux réglementations de police en général, sont certaines entités en charge d’un service public (police, secours). Le père Noël serait-il donc en charge d’un service public ?
Examinons les critères classiques du service public (CE 22 févr. 2007, APREI, n° 264541). L’activité du père Noël est d’intérêt général, totalement désintéressée voire socialement redistributrice, mais ce n’est pas suffisant pour en faire un service public, sinon les Restos du Cœur en seraient un. À en croire les spécialistes (Martyne Perrot, Ethnologie de Noël, Grasset, 2000), le père Noël naît aux États-Unis dans un poème, sous la plume d’un pasteur (Clément Clarke Moore). Ce n’est donc pas une personne publique qui est à l’origine de cette création, et le père Noël n’est pas soumis à un contrôle de l’administration (les arrêtés en question n’imposent pas de jouets spécifiques, et ne priorisent pas certains enfants par rapport à d’autres en fonction de leur situation sociale). Enfin, pas non plus de prérogatives de puissance publique, si ce n’est ce monopole de fait du père Noël, qui ne lui est disputé que par Saint Nicolas le 6 décembre, et par Hanoukka qui certaines années tombe en même temps.
L’activité de père Noël n’est donc pas un service public, au contraire des festivités organisées par la commune pour l’accueillir par exemple. Tant mieux, car s’il s’agissait d’un service public (administratif par définition puisque gratuit), il faudrait alors le subventionner (le costume redessiné par Coca-Cola dans les années 1930 commence à dater) et la commune serait responsable de tout accident ou abus (et s’il buvait trop de vin chaud pendant sa tournée ?).
Mais alors, s’il n’est pas un service public, le père Noël ne saurait bénéficier de tant de dérogations aux réglementations de police, sans créer d’inégalités injustifiées. D’autant qu’un maire ne peut alléger une réglementation étatique de police, par exemple en autorisant la circulation aérienne avec des rennes : il ne peut que prendre des mesures plus rigoureuses (CE 18 avr. 1902, Commune de Néris-les-Bains, n° 04749). Enfin, permettre par arrêté municipal au père Noël de circuler comme bon lui semble, par voie terrestre, aérienne et même sur les toits, pose un véritable problème de sécurité.
Alors, en attendant le 25 décembre 2024, vous avez moins d’un an pour : trouver moyen de favoriser l’action du père Noël tout en le faisant entrer dans la légalité. Ne perdez pas de temps, la tâche sera complexe : selon certaines mauvaises langues, le père Noël serait, par ailleurs, un fieffé délinquant (Raphaël Costa, Le procès du père Noël, Enrick B Editions, 2022).
Références :
■ CE 22 févr. 2007, APREI, n° 264541 A : AJDA 2007. 793, chron. F. Lenica et J. Boucher ; RFDA 2007. 803, note C. Boiteau ; RDSS 2007. 499, concl. C. Verot ; ibid. 517, note G. Koubi et G. J. Guglielmi.
■ CE 18 avr. 1902, Commune de Néris-les-Bains, n° 04749 A
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